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Durcissement des émissions dans les zones SECA, levier de développement du GNL Marin ?

Le temps est au changement pour les armateurs Européens. Ceux-ci sont soumis depuis le 1er janvier 2015 à de nouvelles contraintes sur les émissions de soufre de leurs bateaux. Ils vont ainsi être fortement incités à abandonner le fioul lourd, carburant bon marché mais très polluant.

Pour beaucoup, ce changement pourrait être l’impulsion nécessaire au développement  de la filière du GNL carburant. Ce carburant, dont l’écart de prix avec le pétrole se réduit de plus en plus et qui permet de respecter les limitations sur les émissions à venir, est en effet en plein développement dans le secteur maritime mais aussi dans les secteurs routiers et fluviaux.

Un changement prochain de législation qui inquiète les armateurs

Depuis l’adoption en octobre 2006 par l’Organisation Maritime Internationale (IMO) de l’annexe VI de la convention Marpol (pour Maritime Pollution), les armateurs maritimes se préparent au durcissement des émissions de soufre à l’intérieur des zones dites SECA (Sulphur Emission Control Area). Ces zones, qui en Europe concernent la Manche, la mer du Nord et la mer Baltique, sont définies sur demande des états concernés[1]. Ainsi, alors que la teneur en soufre des carburants marins doit depuis 2010 être inférieure à 1%, cette limite va passer à 0,1% dès le 1er janvier 2015. En 2020, un seuil de 0,5% devrait être appliqué à l’ensemble des mers et océans (contre 3,5% aujourd’hui).  

Selon les armateurs, les solutions technologiques permettant de satisfaire ces conditions sont soit insuffisamment développées, soit trop chères et provoqueraient une augmentation de leurs coûts d’au moins 40%[2] [3]. Cela provoquerait un report modal vers le transport routier, plus polluant et déjà saturé. Les armateurs militent donc pour un allongement des délais qui leur permettrait notamment de réunir les financements nécessaires à la conversion de leur flotte. La flotte française étant particulièrement jeune (7,9 ans en moyenne) par rapport à la moyenne mondiale (16,5 ans)[4], les armateurs français ne pourront profiter du renouvellement de la flotte pour s’adapter et devront effectuer des modifications sur leurs bateaux existants. Le français Brittany Ferries précise de plus que, devant immobiliser un navire 3 à 5 mois pour effectuer les modifications nécessaires, ils ne pourront pas modifier plus de 2 navires par an[5].

En mars 2012, les armateurs français ont réussi à obtenir le soutien du gouvernement face au parlement européen afin d’obtenir l’adoption d’exemptions qui leur permettraient sous certaines conditions de ne pas être pénalisés s’ils ne respectaient pas les contraintes imposées[6]. Malgré cela, après l’adoption de la directive européenne en novembre 2012, ces cas dérogatoires n’ont pas été retenus, accentuant la pression sur les armateurs[7] qui continuent néanmoins a multiplié récemment les conférences et les lettres ouvertes pour expliquer leur position.

Trois solutions techniques pour lutter contre les émissions de soufre

La solution la plus simple d’accès technologiquement est l’utilisation du gazole marin (MGO), carburant sensiblement similaire au diesel et offrant une forte réduction des émissions de polluants par rapport au fioul lourd (HFO). L’adaptation des moteurs HFO au MGO ne nécessite que peu d’investissements tout en permettant au navire de repasser au fioul lourd lorsque celui-ci sort des zones SECA (en installant deux réservoirs distincts).

En revanche, ce carburant étant distillé, il est plus cher que le fioul lourd (environ 60% de plus aujourd’hui[8]). Les bateaux circulant au MGO ont donc des coûts d’exploitation très élevés, ne les rendant intéressants que pour les navires ne passant que peu de temps en zone SECA tels que les portes conteneurs effectuant de très longs trajets (on parle alors de «deep sea»).

Les  capacités de raffinage du gazole en France sont déjà déficitaires de 11 millions de tonnes par an[9]. L’augmentation de l’utilisation du diesel par les navires augmenterait ainsi mécaniquement la part des importations de diesel et accentuerait la tension sur les prix de ce carburant aussi bien pour les navires que pour les véhicules routiers.

Une autre solution acceptée par la directive européenne est l’installation de filtres sur des navires circulant au fioul lourd. Ces filtres suppriment la plupart des émissions de SOx permettant ainsi de respecter les futures contraintes des zones SECA. Néanmoins, contrairement aux autres alternatives, la plupart de ces filtres n’agissent que sur les émissions de SOx et ne seraient pas en mesure de répondre à une probable règlementation future sur les émissions de NOx. Aujourd’hui, un seul système (le CSNOx de la société Singapourienne Ecospec) agit sur ces deux types d’émissions mais les informations concernant son coût sont encore floues.

Les filtres sont de plus limités par leur coût élevé (coût d’achat, d’installation et augmentation de la consommation de carburant du bateau de 1 à 3%[10]) et ont une compatibilité réduite. L’association Interferry a ainsi estimé que seul 60% des navires actuels pourraient techniquement utiliser de tels filtres forçant ainsi les 40% restants à choisir une autre alternative[2].

La dernière solution technique consiste à utiliser du gaz naturel liquéfié (GNL) comme carburant. Ce carburant, disponible à un coût inférieur au MGO et au HFO (en €/MWh) présente l’avantage de réduire très significativement les émissions de polluants (SOx, NOx) et de CO2 (voir pour cela notre article précédent sur le potentiel du GNL routier). Même si la nature du gaz (composé presque uniquement de méthane) et la nécessité de le conserver à très faible température (-160°C) induisent des coûts de transformations importants au niveau du stockage et de la motorisation du navire, cette solution est généralement considérée comme la plus intéressante financièrement, aussi bien pour les navires neufs (principalement ceux circulant plus d’un quart de leur temps en zone SECA) que pour la conversion des navires existants (si leur durée de vie restante n’est pas inférieure à 5 ans)[11]. Pour les navires trop âgés, les filtres seront généralement considérés comme l’option la plus intéressante.  Cette limite d’âge sera essentiellement dépendante de l’évolution des prix du HFO et du GNL dans les années à venir.

Le principal frein pour les armateurs reste néanmoins les incertitudes concernant la filière d’approvisionnement en GNL. Aujourd’hui peu de ports sont capables d’avitailler des navires en GNL même si l’offre se développe de plus en plus. Face à cette contrainte, les ferries et navires rouliers effectuant des trajets réguliers et dont l’avitaillement peut être facilement anticipé sont vus comme les cibles privilégiées pour se convertir au GNL. 

Les navires de plus grande taille (tanker et porte-conteneurs) n’évoluant qu’en partie en zone SECA peuvent également bénéficier de paybacks très faibles courts grâce à leur forte consommation de carburant même si le caractère aléatoire de leurs escales crée un besoin de gestion beaucoup plus complexe pour les ports avitailleurs.

Le GNL est donc vu comme une option privilégiée pour la plupart des armateurs des zones SECA. Pour mettre en place les conditions nécessaires au développement de la filière dans ces zones mais aussi dans le reste du monde, de nombreux ports, ceux équipés de terminaux méthaniers en tête, lancent actuellement des projets de construction d’infrastructures d’avitaillement. La mise en place d’un vrai réseau de GNL carburant permettrait en effet de rassurer fortement les armateurs mais les délais associés et l’imminence des évolutions réglementaires pourraient encourager certains à opter pour une solution plus chère mais offrant des délais de réalisation plus courts.

Baptiste Possémé, Thomas Samson