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Eco-Emballages face à l’émergence d’acteurs concurrents

Les agréments attribués à Eco-Emballages en 2011 pour le traitement des emballages ménagers est actuellement en cours de réattribution. A l’occasion de ce renouvellement, de nouveaux acteurs se sont positionnés pour concurrencer le monopole historique d’Eco-Emballages sur la filière depuis 23 ans.

En France, le dispositif de tri et de recyclage des déchets ménagers est majoritairement piloté par des éco-organismes privés agréés par l’Etat. Les agréments délivrés par le Ministère de l’Energie, de l’Environnement et de la Mer portant généralement sur une durée de cinq à six ans, celui attribué à Eco-Emballages en 2011 pour le traitement des emballages ménagers est actuellement en cours de réattribution. De nouveaux acteurs se sont donc positionnés pour concurrencer le monopole historique d’Eco-Emballages.

Cette situation inédite est favorisée par un contexte propice à l’émergence de concurrents au sein du dispositif de la Responsabilité élargie du producteur (REP) pour la filière des emballages. En effet, le renouvellement des agréments intervient après une période marquée par l’apparition de tensions entre Eco-Emballages et certaines collectivités territoriales (ou associations représentant les collectivités comme l’association AMORCE ou l’Association des communautés de France) concernant la revalorisation des montants qui leur sont alloués pour la collecte, le tri et le recyclage de leurs déchets.

Le dispositif de la Responsabilité Elargie du Producteur (REP) pour la gestion des déchets : Eco-Emballages à la rencontre des entreprises et des collectivités

La REP est le mécanisme d’application du principe de « pollueur-payeur ». Ce dispositif établit que les fabricants, distributeurs et importateurs, qui mettent des produits générant des déchets sur le marché, en portent la responsabilité tout au long de leur cycle de vie, depuis la commercialisation jusqu’au traitement en aval de la consommation. Aujourd’hui, la France est le pays qui a le plus recours à ce modèle de gestion des déchets[i] : il s’applique à une vingtaine de types de déchets traités de manière différenciée au sein de filières distinctes.

Le schéma d’application de la REP pour la filière des emballages ménagers s’inscrit dans une logique de gestion collective des déchets où les éco-organismes agissent comme une interface entre les entreprises qui mettent sur le marché des produits générant des déchets et les collectivités territoriales en charge de leur gestion. En France, les éco-organismes sont des entreprises à but non lucratif. Ce modèle permet de prévenir les risques de conflits d’intérêt entre les éco-organismes chargés de réduire le tonnage de produits générateurs de déchets et les entreprises de traitement qui voient leur activité renforcée par des volumes de déchets importants.

Eco-Emballages et sa filiale Adelphe sont actuellement les seuls éco-organismes agrémentés par l’Etat pour assurer le traitement des emballages ménagers. Ce gisement représentait 4,8 millions de tonnes de déchets en 2014[ii]. Afin d’en assurer le traitement, Eco-Emballages perçoit une éco-contribution correspondant aux produits mis sur le marché. Le montant de l’éco-contribution est déterminé par le poids du produit mis en circulation, ses unités d’emballage, et un bonus-malus dépendant du type de matériau utilisé.  En 2014, Eco-Emballages a ainsi perçu 670 millions d’euros d’éco-contributions de la part de plus de 50 000 entreprises. Ces fonds ont majoritairement été mobilisés pour soutenir les collectivités territoriales assurant la collecte séparée ou le regroupement des produits usagés issus des ménages par le biais de prestataires privés ; ce sont ainsi 567 millions d’euros, soit 89% des dépenses réalisées par Eco-Emballages, qui leur ont été consacrés.

L’émergence de nouveaux acteurs pour concurrencer Eco-Emballages

A l’occasion du renouvellement de l’agrément pour la période commençant en 2017, plusieurs organismes ont émis la volonté de concurrencer Eco-Emballages. Parmi ces entreprises, c’est la société française Valorie, filiale du groupe allemand Reclay, qui tient le statut de principal challenger avec pour objectif d’atteindre progressivement 20% de part de marché. Valorie a lancé en juin 2015 la Mission Neo 2017, une plateforme visant à présenter les engagements du groupe ainsi que les bénéfices issus de sa nouvelle offre de service. Cette offre qui s’adresse à tous les acteurs de la filière, s’articule notamment autour d’une simplification du barème adressé aux entreprises payant l’éco-contribution, d’une plus grande proximité dans l’accompagnement des collectivités territoriales, d’un partage de l’information permettant aux pouvoirs publics de mesurer plus efficacement les résultats des éco-organismes. Afin de définir son offre de prestations, Valorie s’est appuyé sur des sondages réalisés en 2015 selon lesquels 82% des collectivités et des entreprises contributrices seraient favorables à une ouverture de la REP à la concurrence[iii]. Parmi la centaine d’entreprises interrogées, 95% se déclaraient même prêtes à envisager de changer d’éco-organisme pour la gestion du recyclage de leurs emballages.

Une autre société, ERP France, filiale de l’allemand Landbell, se présente comme un « aspirant candidat » à l’agrément. Si les groupes d’outre-Rhin et leurs filiales sont les plus à même de concurrencer Eco-Emballages, c’est parce que le modèle allemand a également connu une transition vers un système concurrentiel en 2004. En Allemagne, ce sont une dizaine d’entreprises qui sont aujourd’hui actives dans la gestion des déchets issus d’emballages ménagers aux côtés de l’opérateur historique Duales System Deutschland GmbH.

2017 : une année de transition vers un modèle concurrentiel ?

La rédaction du cahier des charges pour l’agrément 2017-2022 ayant pris du retard, il apparait désormais impossible d’établir un nouveau système à compter du 1er janvier 2017. Cette année charnière avant le lancement de l’agrément quinquennal en 2018 sera néanmoins nécessaire pour établir des mécanismes de contrôle évitant les dérives rencontrées en Allemagne au milieu des années 2000. Lors de la mise en concurrence de DSD Gmbh en Allemagne, le dispositif de traitement des emballages (le Dual System) a connu des abus de la part des producteurs et distributeurs d’emballages du fait de contrôles insuffisants (en effet, en cas de résiliation d’un contrat de licence avec un éco-organisme, il est difficile de s’assurer que l’entreprise a contracté une licence avec un nouvel organisme : il ne peut donc pas être garanti que tous les producteurs aient effectivement payé pour le recyclage de leurs emballages[iv]). Cette phase transitoire en France est néanmoins dénoncée par le président de Valorie, Pascal Gislais qui y voit une « distorsion de concurrence » et l’opportunité pour Eco-Emballages de fidéliser ses partenaires actuels par le biais de nouveaux contrats.

Face à l’émergence de ces nouveaux acteurs et aux transformations imminentes de la filière de la REP, les conseils d'administration d’Eco-Emballages et d’Ecofolio (éco-organisme de la filière papiers graphiques) ont annoncé le 20 avril dernier, l’ouverture de discussions dans la perspective d’un rapprochement des deux sociétés. Ce rapprochement stratégique consacre deux années de collaboration et de travaux communs qui ont permis d’identifier les synergies pouvant accroitre l’efficacité économique et environnementale des deux groupes : meilleure intégration de la chaîne industrielle, modernisation et spécialisation des centres de tri, création d’une offre intégrée combinant traitement des emballages et des papiers, maîtrise des coûts, harmonisation et facilitation du geste de tri des habitants… Ce rapprochement vient s’ajouter à d’autres impératifs règlementaires (comme la nécessité de constituer des provisions importantes) qui constituent un « ticket d’entrée » élevé selon Valorie[v].

L’ouverture du marché comme gage d’efficacité pour la filière ?

Malgré les obligations exposées dans le cahier des charges provisoire, Valorie a réitéré sa volonté de répondre à l’agrément pour la période 2018-2022. La mise en place d’un schéma concurrentiel au sein d’un dispositif de la REP ne serait toutefois pas une première en France. Certaines filières comme le traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) connaissent déjà des situations de concurrence depuis plusieurs années. Pour autant, l’existence d’un système concurrentiel permet-il d’optimiser le traitement et la valorisation des déchets ?

Les derniers objectifs nationaux pour le recyclage des déchets issus des emballages ménagers ont été établis par le Grenelle de l’environnement en 2012. Pour la période d’agrément 2011-2016, le Grenelle a fixé à 75% l’objectif de recyclage tous emballages confondus, contre 67,2% recyclés actuellement. Dans son rapport sur le fonctionnement des éco-organismes[vi], la Cour des comptes réfute la causalité systématique entre concurrence des éco-organismes et atteinte des objectifs en matière de recyclage. Parmi les filières étudiées par la juridiction, certaines ont atteint leurs objectifs bien qu’un seul éco-organisme soit présent (filière médicaments) alors que des filières en situation concurrentielle sont toujours en deçà (filière DEEE). La Cour des comptes justifie ces résultats par le caractère parfois « irréalisable » de certains objectifs établis par le ministère, comme c’est le cas pour la filière emballages ménagers. 

Néanmoins certains changements structurels induits par l’ouverture du marché pourront amorcer des évolutions répondant aux recommandations émises par la Cour des comptes. Il s’agit par exemple d’établir une plus grande proximité entre les éco-organismes et les collectivités territoriales. Aujourd’hui, les éco-organismes doivent couvrir 80% des « coûts nets de référence d’un service de collecte et de tri optimisé » engagés par les communes. Afin de réduire leurs dépenses, les collectivités feront appel à l’organisme le plus à même de prendre en compte leurs spécificités afin de mettre en œuvre des systèmes optimisés de reprise et de recyclage des déchets. En fonction des territoires, de leur caractère urbain ou rural, ou bien encore du mode de collecte, il existe d’importantes variations des coûts de gestion des déchets pour les communes. A titre d’illustration, pour la gestion des déchets en verre, les coûts supportés par les collectivités peuvent être multipliés par 2,5 variant de 46€ à 124€ par tonne[vii]. Une communication accrue entre les éco-organismes et les acteurs de la REP serait également profitable aux entreprises qui verraient le mode de calcul de l’éco-contribution clarifié. Le système de déclaration des emballages mis sur le marché est aujourd’hui relativement complexe et la mise en concurrence des éco-organismes les forcerait à développer des outils simples afin d’établir des partenariats durables avec les producteurs. En ce sens, à la fois les collectivités territoriales et les entreprises commercialisant des produits générateurs de déchets pourraient tirer profit de l’ouverture du dispositif à la concurrence.

La Cour des comptes relève également que l’une des faiblesses du dispositif en vigueur réside dans l’incapacité de l’Etat à appliquer des sanctions à l’encontre des éco-organismes ne respectant pas les engagements fixés par le cahier des charges. Actuellement, deux types de pénalités sont applicables en cas de manquement des éco-organismes[viii] : le paiement d'une amende d’un montant maximum de 30 000 euros (soit 0,0045% des contributions perçues par Eco-Emballages en 2014) ou la suspension/retrait de l’agrément octroyé par l’Etat (impossible à appliquer lorsque l’éco-organisme est en position de monopole).

 

Le statut particulier d’Eco-Emballages et à sa notoriété auprès du grand public favorisent la médiatisation de l’ouverture à la concurrence du dispositif de la REP pour les emballages. Pour autant, les évolutions provoquées par l’apparition de nouveaux éco-organismes ne bouleverseront sans doute ni l’organisation globale du dispositif ni la position d’Eco-Emballages comme leader des éco-organismes français.

Néanmoins, cette évolution pourrait redonner de la crédibilité aux sanctions prévues par la loi, à condition qu’elles soient réévaluées et effectivement appliquées. Ces sanctions devant s’appliquer aux éco-organismes qui ne respectent pas les objectifs établis par le cahier des charges, elles les pousseraient à renforcer encore davantage les dispositifs de traitement des déchets afin de se rapprocher des niveaux de recyclages fixés à l’échelle nationale, si tant est qu’ils soient cette fois-ci atteignables dans les délais prévus par l’agrément.


Notes et Sources: 

[i] ADEME, «Les filières à Responsabilité élargie du producteur, Panorama,» 2015

[ii] ADEME, «Les filières à Responsabilité élargie du producteur, Panorama,» 2015

[iii] Mission Neo 2017, «Sondage Ifop pour Valorie,» mission-neo2017.fr, 2015

[iv] R. B. ZELLER, «Le marché allemand des déchets en pleine évolution,» CIRAC - Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine, 2007.

[v] En 2013, Adelphe et Eco-Emballages avaient constitué des provisions équivalentes au versement de 3 et 6 mois d’éco-contributions respectivement - Cour des comptes, «Rapport public annuel, Les éco-organismes : un dispositif original à consolider,» 2016.

[vi] Cour des comptes, «Rapport public annuel, Les éco-organismes : un dispositif original à consolider,» 2016.

[vii] UFC-Que Choisir, «Gestion des déchets : Recyclons vite la politique de prévention !,» Service des études, 2015.

[viii] Article L541-10 du Code de l’environnement.