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Le dessalement de l’eau de mer pourrait être la solution miraculeuse permettant de répondre aux pénuries chroniques et situations de stress hydrique auxquelles sont confrontés certains Etats. Où en sont les technologies?
Le 23 septembre dernier, Suez remportait le contrat pour la construction et l’exploitation de l’usine de dessalement d’eau de mer de Playas de Rosarito au Mexique. Avec cet engagement qui porte sur la plus grande usine de dessalement d’eau de mer du continent américain à l’horizon 2024, le groupe français, numéro deux mondial dans le domaine de la gestion de l’eau, conforte son positionnement sur un secteur en plein essor. Ce sont aujourd’hui plus de 18 400 usines de dessalement qui sont opérationnelles à travers le monde. En 2015, elles ont traité 80 millions de mètres cubes d’eau de mer (soit 80 milliards de litres) qui ont profité à plus de 300 millions de personnes.
Le dynamisme de cette industrie pourrait faire passer le dessalement de l’eau de mer pour la solution miraculeuse permettant de répondre aux pénuries chroniques et situations de stress hydrique auxquelles sont confrontés certains Etats. Néanmoins, malgré leur développement soutenu, les différentes technologies de dessalement – dans leur forme actuelle - ne peuvent répondre de manière isolée aux besoins d’approvisionnement en eau à travers le monde.
A l’image des activités menées par la Saline Water Conversion Corporation saoudienne créée en 1965, la conversion de l’eau de mer en eau douce n’est pas une activité récente. Néanmoins, le marché mondial du dessalement a connu une rapide expansion depuis le début des années 2000 avec une croissance des capacités contractualisées en hausse de 8,1% par an en moyenne[i]. En 2015, le marché mondial du dessalement a généré plus de 11,6 milliards de dollars de revenus et, avec une croissance annuelle attendue aux alentours de 10% dans les années à venir, se sont plus de 19 milliards de dollars qui devraient être générés par cette filière en 2019[ii].
Aujourd’hui, 150 pays à travers le monde disposent d’infrastructures permettant de transformer l’eau de mer en eau douce[iii]. Cependant, le marché du dessalement demeure extrêmement concentré dans certaines zones géographiques et quelques pays disposent de la grande majorité des capacités mondiales. En 2013, les dix pays les plus équipés en usines de dessalement de l’eau de mer cumulaient environ 40% des capacités mondiales de dessalement.
Les entreprises françaises sont solidement implantées dans le secteur du dessalement et accompagnent le déploiement de ces technologies dans le monde entier. Les entreprises Veolia (leader mondial du traitement des déchets et de l’eau) et Suez représenteraient à elles deux un quart des usines de dessalement actuellement opérationnelles dans le monde. Associées au coréen DOOSAN, ces trois acteurs atteindraient même 50% des installations de grande capacité (plus de 100 000 m3 traités quotidiennement) déployées dans le monde. Les groupes Véolia et Suez se distinguent néanmoins par les technologies employées dans le procédé de désalinisation. En plus de la filtration membranaire (par osmose inverse), Veolia est le principal porteur de la technologie de dessalement par distillation thermique MED (Multiple-Effect Distillation) alors que Suez s’est essentiellement spécialisé dans les procédés d’osmose inverse[iv] [v]. Parmi les deux technologies majoritairement employées, l’osmose inverse – bien que plus récente – représenterait autour de 75% des usines opérationnelles. Les usines utilisant la distillation thermique sont majoritairement présentes dans les pays du Golfe qui bénéficient d’un accès direct aux ressources fossiles.
Si les usines thermiques sont principalement concentrées dans les pays producteurs d’hydrocarbures et que l’osmose inverse s’est rapidement imposée comme la solution préférentielle dans la majorité des projets récents, c’est notamment grâce à la plus faible consommation énergétique de cette dernière, permettant de diminuer considérablement ses coûts d’exploitation. Pour ce type d’usine, la consommation moyenne d’énergie est comprise entre 2 et 4 kWh par mètre cube d’eau traité[vi]. En Arabie Saoudite, premier pays producteur d’eau dessalée au monde avec 5,5 millions de mètres cubes traités par jour (soit 60% de l’eau douce consommée dans le royaume), la répartition des technologies est équilibrée. Néanmoins, la consommation énergétique demeure colossale. La Saline Water Conversion Corporation évoque un besoin équivalent à 350 000 barils de pétrole par jour pour assurer la conversion d’eau salée en eau douce[vii]. Ces besoins massifs d’approvisionnement en énergie impliquent une dépendance des technologies de désalinisation envers les énergies fossiles ce qui pèse considérablement sur le coût de ces dispositifs.
La consommation d’électricité représente environ 41% des coûts totaux d’une usine de dessalement par osmose inverse[viii]. La réduction du coût de cette technologie est alors conditionnée, entre autres, à une optimisation de la consommation énergétique des structures de désalinisation. Une réduction significative du besoin énergétique induirait une possible intégration de technologies de production électrique issue de sources renouvelables en substitution des énergies fossiles aujourd’hui employées.
L’association des technologies de dessalement et de production d’électricité par des sources renouvelables constitue l’une des prochaines avancées techniques majeures pour le développement du secteur. A Dubaï, une usine de dessalement par osmose inverse a été intégrée au gigantesque projet solaire Mohammed bin Rashid Al Maktoum Solar Park (5 000 MW déployés à l’issue de la dernière phase en 2030). Cette usine est alimentée par une combinaison de panneaux photovoltaïques et de batteries de stockage lui permettant d’être opérationnelle vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cette usine traite aujourd’hui 50 m3/jours, volume incomparable avec ceux traités par les plus grandes usines au monde comme celle de Sorek en Israël (opérationnelle depuis 2013) qui purifie quotidiennement 627 000 mètres cubes d’eau de mer. En revanche, l’association « photovoltaïque-dessalement » pourrait se déployer à plus grande échelle très rapidement. Au premier trimestre 2015, le groupement saoudien Advanced Water Technology a signé un contrat de construction pour la centrale de Al-Khafji en Arabie Saoudite. Opérationnelle en 2017, cette usine sera la première centrale de dessalement de grande taille (60 500 m3/jours) alimentée par énergie photovoltaïque durant les heures de charge maximale.
Si les principales usines de dessalement sont aujourd’hui localisées sur le pourtour méditerranéen, dans les Pays du Golf, en Australie, aux Etats-Unis ou en Chine, c’est qu’en plus d’être onéreuses, les usines de dessalement nécessitent de s’appuyer en aval sur un réseau de distribution d’eau efficace. Sans ces infrastructures, les ressources hydrauliques disponibles ne peuvent être exploitées : les investissements et les moyens humains déployés sont inefficaces pour couvrir la demande exprimée. Le dessalement de l’eau de mer (mais également des eaux saumâtres à l’intérieur des terres) par des usines de grande capacité ne constitue en aucun cas un moyen d’améliorer l’accès à l’eau au sein des populations dans de telles situations de stress hydrique.
Faute de réseau de distribution efficace et de capacités de financement suffisantes, des systèmes de dessalement décentralisés sont plus pertinents que les usines grande capacité pour répondre aux besoins des pays en développement. De plus petites infrastructures permettraient de réduire le montant des investissements nécessaires et d’atteindre des populations isolées tout en réduisant la consommation énergétique des dispositifs. Cette utilisation du dessalement de l’eau concentre un certain nombre de recherches visant au développement de nouveaux dispositifs alliant dessalement et énergies renouvelables. Une équipe du MIT, en coopération avec le groupe industriel indien Jain Irrigation Systems, a développé une structure de dessalement par électrodialyse qui permet une réduction de la consommation énergétique supérieure à 50 % par rapport à l’osmose inverse. Equipées de panneaux photovoltaïques ces structures qui permettent la purification d’eaux saumâtres – dont la concentration en sel est inférieure à l’eau de mer et nécessitent moins d’énergie pour être traitées - sont déployées depuis 2015 en Inde sous forme de pilotes, avec un nouveau projet en cours de développement à Gaza.
Au-delà de l’enjeu économique, le dessalement fait également face à une double problématique environnementale. Outre la consommation actuelle d’énergies fossiles qui pose le problème de l’impact écologique à moyen terme de ces infrastructures, les usines de dessalement rejettent une grande quantité de saumures à l’issue du traitement de l’eau de mer. A titre d’exemple, en mer Méditerranée, la salinité naturelle de l'eau se situe entre 37 et 38 grammes par litre (pour une moyenne des mers à environ 35g/l), alors que la salinité des rejets peut atteindre les 70 g/l[ix]. Ces effluents, ainsi que des traces de composantes chimiques entrant dans les procédés de désalinisation, sont rejetés dans l’eau de mer perturbant la biosphère à proximité des usines. Cependant peu de recherches scientifiques ont abouti à une mesure d’impact à long terme des procédés de dessalement sur les écosystèmes marins. En Méditerranée, les effluents issus des usines de dessalement sont encadrés par le protocole tellurique de la convention de Barcelone (1976). Il semble impératif que des études complètes lèvent les incertitudes concernant les impacts environnementaux des usines de dessalement afin de permettre une législation spécifique et adaptée encadrant les activités de dessalement.
Le marché du dessalement de l’eau de mer semble promis à une croissance toujours aussi soutenue dans les prochaines années. Cependant, les technologies actuelles ne permettent de répondre qu’à certains besoins ciblés et concentrés dans quelques régions du monde. Les coûts élevés de ces usines limitent leur diffusion à travers les pays qui souffrent de pénuries d’eau douce pour des raisons économiques, dont les infrastructures hydrauliques sont généralement lacunaires.
La consommation énergétique des usines de dessalement couplée aux incertitudes environnementales implique des évolutions technologiques impératives afin d’appuyer l’essor de ce secteur. La coopération entre développeurs de projets et énergéticiens permet d’envisager le développement à grande échelle de structures fonctionnant grâce à l’énergie photovoltaïque. Par ailleurs, de nouveaux procédés de dessalement, comme la désalinisation « à façon » développée par l’entreprise française Adionics permettrait un traitement moins énergivore de l’eau de mer avec une possible valorisation industrielle des saumures collectées. Une telle valorisation consoliderait le modèle économique des acteurs du secteur avec la création d’une filière intégrée limitant les impacts environnementaux des activités de dessalement.
Notes & sources
[i] Water World, « Global desalination capacity growing substantially, finds study », 14.10.2013
[ii] Frost & Sullivan, Analysis of Global Desalination Market, 2015
[iii] International Desalination Association (IDA), « Desalination by the Numbers », 2015
[iv] The Good Life, Jean-Jacques Bozonnet, « Veolia et GDF Suez en ordre de bataille pour la prochaine guerre… de l’eau », 17.02.2015
[v] Filtration membranaire par osmose inverse : technique qui consiste à séparer l’eau et le sel, en utilisant des membranes filtrantes.
Dessalement par distillation thermique : procédé de distillation, qui consiste – en simplifiant ─ à chauffer l’eau, récupérer la vapeur qui a perdu son sel, et la retransformer en eau, qui est alors douce.
[vi] Alexandre Taithe, « Les interactions Eau-Énergie : une menace pour la sécurité énergétique des États », Confluences Méditerranée (N° 91), 04.2014
[vii] Alexandre Taithe, « Les interactions Eau-Énergie : une menace pour la sécurité énergétique des États », Confluences Méditerranée (N° 91), 04.2014
[viii] Lenntech, « Reverse Osmosis Desalination Costs Analysis », 2016
[ix] Géopolis, Pierre Magnan, « Le boom de la désalinisation », 11.10.2013