La reconversion, parent pauvre des politiques d…
BDES : Révolution ou continuation ? Le point sur le document phare du nouveau dialogue social en entreprise.
Alors que le décret n°2017-1819 du 29 Décembre 2017 est venu fixer le contenu supplétif de la BDES, il marque également l’ambition de ce document de se placer au cœur du dialogue social avec le CSE. En effet, son architecture, son contenu ainsi que ses modalités de fonctionnement peuvent désormais être précisés par un accord majoritaire d’entreprise. Les dispositions sont précises et, si les sanctions financières sont légères en cas de manquement, 3.750 euros d’amende, les ordonnances prévoient néanmoins 1 an d’emprisonnement (1).
Nous pouvons noter ainsi dès à présent plusieurs éléments de réflexions sur ce positionnement symbolique de la BDES:
Tout d’abord, dans son aspect pénal, il prend la place que le délit d’entrave remplissait avant les ordonnances. Et cette sanction (qui disparaît de l’entrave pour revenir par la BDES) montre que la notion d’informations « loyale et complète » prend le pas sur les respects des calendriers. Le dialogue social gagnerait donc en maturité, et la loi accompagne cela en déplaçant le débat sur l’information elle-même.
De manière plus pratique, la mise à jour de la BDES devient le point de départ obligé des délais des procédures d’information-consultation. On peut donc imaginer les futurs sujets portés devant le juge : la BDES était-elle à jour pour lancer une consultation ? Les modalités d’accessibilité des données (donc de stockage et de « rangement ») permettent-elles aux élus d’obtenir une information loyale à même de lancer les délais ou au contraire de condamner l’entreprise ?
Malgré cela, si elle est appelée à tenir une place de choix au cœur du dialogue social, la base de données économiques et sociales, n’est pas unique en son genre. En effet, depuis longtemps les entreprises de plus de 300 salariés sont tenues de fournir nombre de rapports documentant leur état des lieux social et humain dans le bilan social, leurs résultats financiers et objectifs stratégiques dans le rapport annuel d’activités, le statut des conditions de travail dans le rapport du CHSCT, certaines données se recoupant par ailleurs d’un rapport à l’autre. Aussi, que change la BDES et quelle en est la valeur ajoutée ?
A la vue générale du décret n°2017-1819 les catégories d’informations requises dans la BDES ne sont pas nouvelles, paraissant alignées à celles du bilan social. En effet les similarités de ces deux documents sont fortes et 55% des informations demandées dans la BDES sont déjà requises dans le bilan social. A ce jour, la BDES doit regrouper les perspectives stratégiques de l’entreprise à 3 ans (également présentes dans le rapport annuel unique) ainsi qu’un ensemble d’éléments chiffrés détaillés répartis en 7 catégories obligatoires :
Et deux catégories optionnelles, fonction des dispositions négociées dans l’accord d’entreprise :
Fort de 216 données requises (2), l’employeur et les instances représentatives restent libres de déterminer par accord des ajouts à ce minimum légal. La BDES a ainsi pour vocation de reprendre le rapport annuel unique et le rapport de situation comparée relatif aux égalités Femmes/Hommes, dans la mesure où les informations contenues dans ces documents sont retranscrites dans la BDES. Le bilan social quant à lui reste obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés, dans la mesure où, à l’encontre de la BDES, tout salarié désireux de prendre connaissance de ce rapport peut en faire la demande (Code du travail, art. L. 2323–24)
Toutes les entreprises ne sont pas égales face à l’élaboration de ce document, car si 68% des informations de la BDES ne sont pas nouvelles pour les entreprises de plus de 300 salariés disposant d’un bilan social et d’un rapport annuel, dont il a suffi de récupérer la plupart des informations pour élaborer la première version du document, les entreprises de moins de 300 salariés, elles, doivent affronter une tâche plus importante : calculer 40% de données nouvelles, impliquant de disposer d’un ERP permettant de les recueillir, attribuer cette charge de travail supplémentaire à un.e salarié.e dédié.e et mettre en place un système automatique de mise à jour.
Pour la plupart des entreprises la BDES vient néanmoins faciliter le flot de rapports à concevoir annuellement en rassemblant en un seul et même support toutes les informations préalables à la négociation d’accords sociaux. Ainsi la BDES telle que décrite par le décret n°2017-1819 prévoit l’extension significative du nombre de données fournies par l’employeur en matière d’égalité Femmes/Hommes au travail. Cette section très détaillée, identique quelle que soit la taille de l’entreprise, présente 51 données chiffrées dont 63% n’étaient jusqu’alors demandées dans aucun document réglementaire. Il s’agit donc d’une première et cette base de données forte de chiffres et ratios précis dédiés à l’égalité Femmes/Hommes pourrait être un outil puissant dans la lutte pour l’égalité au travail.
En effet, en établissant un diagnostic chiffré sur les écarts de situations entre les Femmes et les Hommes au sein de l’entreprise, la BDES vient non seulement suppléer mais aussi compléter le rapport de situation comparée et se présente en théorie comme une base de travail solide et complète pour la négociation sociale en vue de la conclusion de l’accord relatif à l’égalité professionnelle (3). En théorie oui ! En réalité la BDES ouvre la possibilité de dialogues informés, uniquement entre les IRP et l’employeur ; en effet tous les salariés n’ont pas accès à la BDES. S’agissant d’un document sensible, comportant nombre d’informations confidentielles, relatives à la stratégie de développement de l’entreprise et à ses résultats financiers, seuls les représentants élus du personnel en ont connaissance, eux-mêmes étant tenus à une obligation de confidentialité. La prise en compte du diagnostic des écarts entre les Femmes et les Hommes et la prise d’actions correctives concrètes dépend donc entièrement de la sensibilité et de la volonté des élus à s’impliquer sur le sujet. La problématique reste donc entière puisque les élections professionnelles peinent à mobiliser et intéresser les salariés, avec un taux de participation aux élections professionnelles de 42,76% dans le secteur privé et de 52,82% dans le secteur public.
Comme nous l’avons vu, le caractère novateur de la BDES est à nuancer en ce que la grande majorité des informations qu’elle requiert lui ont préexistées et que ces effets sur le dialogue social restent encore à mesurer. Néanmoins à y regarder de près, la BDES redessine le cade connu du management social et de l’égalité professionnelle, grande cause du quinquennat Macron, en offrant pour la première fois une source documentée, commune et concertée entre l’entreprise et les instances représentatives du personnel, traçant alors conjointement, par négociation collective, le cadre du terrain d’action social.
Pour en savoir plus sur les ordonnances de travail, n'hésitez pas à consulter notre article Les ordonnances travail : comité économique et social et positionnement de l’accord d’entreprise
(1) Le gouvernement s’est prononcé en faveur d’une révision de la peine visant à la suppression de la possibilité d’emprisonnement et à l’augmentation de la pénalité financière.
(2) 59 pour les entreprises de moins de 300 salariés.
(3) Accord obligatoire pour toute entreprise de plus de 50 salariés.