La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Une nouvelle réglementation
En 2010, le montant total des primes d'assurance versées en France a atteint 207 milliards d'euros[1]. Sur ce montant, le secteur du courtage a récolté environ 25 milliards d'euros (soit 12% du total), pour un chiffre d'affaire (commissions et honoraires) d'environ 3 milliards d'euros. Les intermédiaires en assurance sont des acteurs clés de la vente des produits d'assurance, parce qu'ils facilitent l'accès des compagnies d'assurance au marché et évitent la mise en place d'un réseau de distribution local couteux. C'est en particulier le cas des courtiers, qui sont en mesure de proposer un accès large au marché et endossent le rôle de conseiller, en identifiant les risques et besoins de leurs clients, et en assurant le rôle d'intermédiaires avec l'immense offre de produits et d'acteurs d'assurance et de réassurance.
Nombre de courtiers n'exercent pas ce rôle au titre d'activité principale, mais le secteur reste particulièrement concentré, avec 10% des entreprises de courtage réalisant 80% du chiffre du secteur, alors même que les dix plus gros acteurs réalisent €3.9 milliards de CA, soit 50% du total du secteur (dont €1.86 milliards en IARD et €1.4 milliards en prévoyance)[2]. La majeure partie du chiffre d'affaire de ces gros acteurs est par ailleurs réalisé auprès d'une clientèle entreprise (69%[3]).
La directive Solvabilité II, adoptée en 2009, s'adresse aux entreprises d'assurance et de réassurance, qu'elles dépendent du code des assureurs, du code de la sécurité sociale, ou de celui de la mutualité. Elle repose sur trois piliers :
La directive impacte principalement les organismes qui y sont soumis. Pour autant, les acteurs périphériques (intermédiaires, gestionnaires d'actifs, courtiers, distributeurs...) sont également impactés par cette réforme : besoin accru de transparence, augmentation du volume d'information à transmettreet contraintes de gouvernance sont autant de chantiers que les courtiers devront adresser pour répondre aux exigences des assureurs.
L'impact le plus important pour les courtiers concerne le probable recentrage de l'activité de certains assureurs sur les risques qu'ils maîtrisent le mieux, en réduisant leurs volumes d'affaires sur certains secteurs. Les secteurs les plus couteux en fonds propres (ex. l'assurance de responsabilités long terme, en particulier pour le personnel médical ou les avocats) pourraient pâtir des exigences en capitaux liées à Solvabilité II, ce qui impactera nécessairement certains courtiers.
En revanche, du côté des courtiers en réassurance, il est clair que les volumes d'affaires ne peuvent qu'aller croissant, compte tenu des incitations de Solvabilité II à mettre en place une meilleure gouvernance des risques et par là-même à optimiser l'utilisation que font les assureurs de la réassurance. Les assureurs vont naturellement se tourner vers leurs courtiers en réassurance dans un souci d'optimisation de leurs SCR[5] et d'amélioration de leur ratio de solvabilité. Les plus gros courtiers, qu'ils soient ou non européens, suivent donc de près les évolutions réglementaires.
Certaines des obligations applicables aux assureurs/réassureursimpactent directement les intermédiaires. Dans le cas des courtiers en assurance, le chantier qui pourrait être le plus lourd à mettre en place est celui de la qualité des données qui viennent alimenter les systèmes de gestion des risques de l'assureur. Le terme de « qualité des données », dans le cadre de Solvabilité II, doit être entendu au sens des critères de complétude (completeness), de justesse (appropriateness) et d'exactitude (accuracy) des informations transmises à l'assureur, ce que celui-ci doit être en mesure de justifier. Le détail des primes perçues, les montants assurés, les durées, les garanties et autres informations relatives aux contrats, ainsi que les informations client (âge, sexe, localisation) constituent autant d'élémentsdont la justesse est in finecruciale pour les assureurs, afin d'établir leur ratio de solvabilité.
Du fait de la diversité desdonnées, en particulier pour les assureurs en modèle interne, la réglementation européenne n'impose pas de critères détaillés de suivi de la qualité, par exemple par domaine de risque. Néanmoins, ces recommandations de niveau 2 citent explicitement la nécessité d'évaluer la qualité des données internes, comme externes[6]. Ces contraintes sont d'autant plus importantes que le métier du courtage repose encore beaucoup sur l'utilisation de supports papiers. D'où la nécessité, côté courtiers, d'envisager une dématérialisation progressive, afin de répondre aux besoins des assureurs.
L'article 49établit les obligations liées à la sous-traitance de certaines activités et rappelle que l'assureur demeure le responsable final vis-à-vis de toutes les obligations liées à la directive, quelle que soit l'activité sous-traitée, en conséquence de quoi les équipes de gestion des risques de la compagnie d'assurance doivent englober lesdites activités et mettre en place les processus de contrôles nécessaires. La directive impose ainsi aux assureurs de pouvoir contrôler les activités de leurs sous-traitants (par exemple la souscription) de la même façon que si ces activités étaient exercées en propre.
Ces contraintes conduisent, par exemple, à la mise à jour des contrats de sous-traitance, dont les compagnies d'assurance devront surveiller la bonne application. Les courtiers seront ainsi sollicités par les assureurs afin de vérifier la conformité de l'activité de distribution des contrats, ou la définition de plans de continuité d'activité.
Malgré ces contraintes, nombre d'acteurs de l'intermédiation (courtiers et délégataires) ne connaissent pas - ou peu - les exigences de la directive Solvabilité II, alors même que ces obligations vont nécessairement conduire à un resserrement des liens avec les assureurs.
D'ici l'entrée en vigueur de la directive le 1er janvier 2014[7], les courtiers ayant développé les solutions et services les plus à même d'aider les assureurs à respecter leurs obligations réglementaires (outils de gestion des risques, de calcul de SCR, certification de la qualité des données) pourraient ainsi profiter d'une situation privilégiée. Le groupe AON, par exemple, acteur international majeur du courtage[8], propose aux assureurs son expertise en gestion des risques, sa connaissance de la réglementation et des outils standards permettant de répondre aux exigences quantitatives.
De façon générale, l'expertise en gestion des risques développée ainsi que la mise en place de processus et systèmes d'information efficients, permettant de justifier de la qualité des informations transmises aux compagnies d'assurance, vont constituer des différentiateurs certains et des sources de gains pour les courtiers dans les années à venir.
Sia Conseil
[1] Source FFSA - Fédération Française des Sociétés d'Assurances - tableau de bord de l'assurance publié en octobre 2011.
[2] Source CSCA - Chambre Syndicale des Courtiers d'Assurances.
[3] Source CSCA.
[4] SCR : Solvency capital requirements
[5] SCR : Solvency Capital Requirement
[6] CEIOPS' advice for Level 2 implementing measures on Solvency II, relatives aux provisions techniques (article 86 f - Standards de qualité des données): « The assessment [of the quality of data] shall take into account the set of available data which is necessary and relevant to carry out the intended analysis. This includes both internal and external information to the undertaking »
[7] Sous réserve d'approbation de la directive Omnibus II par la Commission Européenne
[8] Et troisième courtier en France 2010 selon le classement de l'Argus de l'Assurance