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La reconstitution des flux d’énergie, quel intérêt et quel avenir ?

À l'occasion du passage de reconstitution des flux d'énergie en courbe de charge des 90 000 points dont la puissance est supérieure à 110 kVA au 1er janvier 2021, Sia Partners apporte un éclairage sur la reconstitution des flux, et ses prochaines étapes

La reconstitution des flux d’énergie (Recoflux) est un processus réglementaire qui concerne RTE (le gestionnaire du réseau de transport), l’ensemble des gestionnaires de réseau de distribution (GRD), notamment Enedis, et les fournisseurs d’énergie, pour répondre au besoin d’équilibre entre la production (les injections) et la consommation (le soutirage) d’énergie.

 

Ce processus permet : 

  • pour Enedis, d’envoyer les relevés de consommation aux fournisseurs pour la facturation aux consommateurs,
  • pour les fournisseurs d’énergie, d’effectuer les prévisions de fourniture et de consommation d’électricité, 
  • de répondre aux mécanismes d’ajustements via le dispositif de Responsable d’Equilibre (RE)

1. La reconstitution des flux, un processus réglementaire qui concerne 37 millions de clients

Les GRD doivent reconstituer la consommation et la production d’énergie de chaque site au pas de règlement des écarts en vigueur (30 minutes en France)

Une problématique majeure de la Recoflux est que la majorité des clients sont équipés de compteurs :

  • soit non communicants nécessitant une relève à pied tous les 6 mois
  • soit ne communiquant que leur index journalier, et pas leur courbe de charge

Ordre de grandeur : pour les 36M de clients de marché de masse en France, à l’heure actuelle en septembre 2020, 8M n’ont pas encore de compteur communicant Linky. Parmi les 28M restants, Enedis n’utilise pas la courbe de charge pour reconstituer les flux d’énergie pour la majorité des sites. Il existe seulement 50 000 sites qui sont calculés en courbe de charge. Ce sont des points ayant des offres spécifiques non profilables.

  • Si pour un client donné, seul un index de consommation (journalier ou semestriel) est disponible, comment reconstituer une courbe décrivant son comportement de consommation ? La réponse est la mise en œuvre d’une méthode statistique d’estimation : Le Profilage.

2. Le profilage, méthode permettant de reconstituer les flux, fait appel à quasiment 30 profils

Le profilage est un procédé qui sert à anticiper et donner une valeur approchée des comportements de consommation. Celui-ci est affiné pour proposer des courbes profilées toujours plus proches de la réalité. Il utilise les caractéristiques déclarées contractuellement (heures pleines/heures creuses ou base, puissance souscrite, etc.) et observées (saisonnalité, consommation) de chaque point de mesure afin d’affecter à un profil et sous-profil chaque point de mesure du périmètre.

Chaque point est évalué selon sa pertinence et sa représentativité au sein d’un profil : si son comportement change durablement, et relativement fortement par rapport au comportement du reste du panel, il en est progressivement exclu. D’abord par affaiblissement de son niveau de représentativité, puis son remplacement dans le panel par un autre point.

Le profil est donc une courbe constituée des points de consommation (aussi appelés coefficients temporels), chaque point correspondant à un pourcentage de la consommation d’énergie au pas 30 minutes par rapport à la consommation totale du client. Cette courbe donne donc une vision de l’évolution temporelle de la consommation d’électricité.

Les données profilées sont calculées en utilisant la différence entre 2 relevés d’index, couplée au profil type de consommation.

A la différence des courbes mesurées et télé-relevées directement, les courbes profilées n’affichent pas à chaque point de courbe des quantités d’énergies, mais des coefficients, auxquels on appliquera un Facteur d’Usage (FU) issu du relevé des index de chaque point de mesure. C’est cette combinaison calculatoire qui permet de produire une courbe de consommation profilée.

 

Ainsi, la reconstitution des flux d’énergie est issue de l'agrégation de 2 types de données de courbes de consommation :

  • Les courbes de charge mesurées 
  • Les courbes de charge profilées

Ces énergies sont ensuite restituées dans différents bilans de consommation et puis publiées aux différents acteurs de marché selon leurs besoins : RTE, les RE etc.

Il existe à l’heure actuelle (fin 2020) 29 profils différents (25 profils de consommation et 4 profils de production) pour décrire la consommation et la production des points, qui peuvent être séparés en 4 grandes familles :

  • Résidentiels dont la puissance souscrite est ≤ 36 kVA
  • Professionnels dont la puissance souscrite est ≤ 36 kVA
  • Sites dont la puissance est > 36 kVA mais ≤ 250 kVA 
  • Sites de soutirage dont la puissance est > 250 kVA (HTA)

Plusieurs types de profilage existent, avec des précisions pouvant varier de quasiment 50%

Source: Sia Partners, basée sur les données d'Enedis
Type de profilage Concept Périmètre
Statique Les profils sont quasi-figés en se basant sur des consommations ou productions mesurées plusieurs années en avance 10% des sites auxquels sont appliqués les profils, représentant 1% de l'énergie consommée profilée
Dynamique Les profils sont adaptés régulièrement (au moins une fois par semaine) aux consommations et productions d'un panel représentatif 90% des sites auxquels sont appliqués les profils, représentant 99% de l'énergie consommée profilée

En pratique, la conversion d’un profilage statique en profilage dynamique poursuit ce processus :

  • Sélection d’un panel d’utilisateurs représentatif au sein de chaque population de profil à « dynamiser »
  • Collecte des courbes de charge télé-relevées, donc disposant d’un compteur communicant, des panélistes pour la période considérée
  • Elimination des points de courbe aberrants, calcul des niveaux de représentativité, puis calcul de la moyenne pondérée des courbes de charge 
  • Utilisation des profils dynamiques pour le processus de reconstitution des flux

 

Le profilage dynamique est donc une amélioration, néanmoins coûteuse, du principe de profilage :

  • Quantité accrue de données à collecter et traiter
  • Fréquence accélérée de mise à jour des modèles

Les gains de cette amélioration ont été estimés entre 40% et 50% en précision, réduisant les incertitudes, en vitesse avec des calculs plus rapides (2 mois au lieu de 14 mois), et en robustesse.

 

Dans cette différence de quelques GW, entre les prévisions réalisées par les profilages statiques et dynamiques, réside tout l’intérêt de l’affinage des profils par une actualisation de leurs courbes à une fréquence plus régulière, car la modélisation du profilage dynamique prend en compte : 

  • La modélisation du chauffage en hiver
  • Les effets calendaires particuliers
  • La climatisation en été
  • Les événements ponctuels de type rassemblement sportif

La mise en place de nouveaux profils pour représenter des comportements de consommations émergents (autoconsommation collective, véhicule électrique) est ainsi facilitée.

 

En cible, l’intégralité des profils statiques seront passés sur le modèle du profilage dynamique. En juillet 2020, une étape importante a été franchie avec succès, mettant en place le profilage dynamique sur 90% des profils, représentant 99% des énergies Basse Tension (< 36 kVA) du parc profilé.

 

Cependant, des crises affectant les comportements de consommation d’électricité comme celles du Covid-19 ont soulevé les limites du profilage dynamique “classique”. Réactualisé à J+1 et S+1, ce modèle calculatoire n’est pas capable de s’adapter aux ruptures les plus fortes, affectant de manière structurelles les courbes décrivant les habitudes des profils.

 

Quel avenir pour le profilage et la reconstitution des flux à partir de 2021 ?

Le profilage statique s’appuie sur des données à A-1. Le profilage dynamique s'appuie sur des données à S-1 et J-1. Le profilage dit “infraJ”, ou infra journalier, consisterait à s’appuyer sur des données plus précises et contextuelles (par exemple : impact sur le profil avec les variations de comportement de consommation en cas de Covid-19), afin d’améliorer le profilage, à savoir des données mesurées au cours de la journée pour mettre à jour les prévisions de consommation.

 

Le profilage infraJ permet donc de se situer au plus près des variations comportementales et de fiabiliser les prévisions. Cependant, cela implique d’une part le fait d’être capable de faire remonter au SI central des données de courbe mesurée à plusieurs reprises dans la journée, impliquant des problématiques de volumétrie et de performance, et d’autre part le fait de traiter ces données pour en faire des profils mis à jour. A date, ce profilage n’est qu’en étude.

Par ailleurs, le seuil des sites profilables va être progressivement abaissé, en soutirage, de 250 kVA à 36 kVA : abaissement à 110 kVA au 1er janvier 2021, abaissement à 36 kVA à compter du 1er janvier 2023.

Dans une démarche d’amélioration continue de la qualité de fourniture d'électricité et de développement des capacités de services, la CRE et les différents acteurs de marché comme Enedis, RTE, les ELD et les RE ont collaboré pour dessiner des objectifs cibles pour l’évolution de la reconstitution des flux.

Ce contexte réglementaire vise à renforcer la précision des connaissances sur l’activité présente et passée du réseau électrique, pour mieux prévoir son activité future. Cela pousse les acteurs à demander une évolution des systèmes de mesures et traitements actuels.

 

Dans le périmètre d’Enedis, afin de répondre aux besoins réglementaires et aux exigences techniques, et pour améliorer la qualité de fourniture de l’électricité, plusieurs chantiers sont à réaliser dans les années à venir :

Des évolutions « cœur », consistant à réaliser :

  • Un nouveau processus de calcul des bilans avec la fusion des 2 processus de reconstitution des flux (Processus dits Écarts, hebdomadaire à court-terme et Recotemp, annuel à long-terme) permettant de reconstituer les bilans, en réalisant des traitements simplifiés, continus, homogènes et rapidement convergents.
  • Une augmentation de la fréquence de bouclage sur le calcul des pertes : au pas journalier (maintien du modèle avec des données remontées en infra-journalier), à condition que la qualité des données ne diminue pas. Pour y parvenir, il est nécessaire pour Enedis de continuer à améliorer le profilage, la qualité de ses données, et de faire évoluer ses outils de prévision des pertes.
  • Une utilisation des index journaliers des compteurs Linky par type de tarification, au lieu des index semestriels simples.

Des compléments indépendants, provenant des demandes des acteurs, consistant à réaliser :

  • Un calcul et une diffusion des profils dynamiques en infra-J (cf §4)
  • Une accélération des calculs de Bilans jusqu’à J+1 (actuellement les bilans sont calculés à S+2, et seront calculés à S+1 à partir de 2021)

 

Ces mesures permettent de réduire l’écart temporel et l’écart des résultats entre les publications des mises à jour des bilans d’énergie (actuellement les bilans sont publiés à plusieurs intervalles allant de S+2 à M+14). 

Le but est de mieux maîtriser les encours financiers des acteurs en limitant les effets d’extrapolation de fin de période comptable, et de responsabiliser les RE sur la réalité de leurs consommations avec une affectation plus précise et plus anticipée des énergies. Cela permet de réduire les incertitudes offre/demande du système électrique global.

La reconstitution des flux a donc encore de longues années devant elle afin de répondre au mieux aux demandes des acteurs.

Quels impacts pour les responsables d’équilibre et les fournisseurs d’énergie ?

« Le déploiement des compteurs Linky devrait [...] permettre aux fournisseurs de proposer de nouvelles offres aux consommateurs, tenant compte des heures de faible consommation nationale » CRE rapport ARENH 18 janvier 2018

Actuellement, les fournisseurs ne peuvent pas élaborer de modèles de prévision robustes, étudier les sous-jacents structurels, et donc proposer des offres spécifiques aux consommateurs est très complexe.

Les évolutions proposées pour la reconstitution des flux cibles, notamment l'exploitation des index quotidiens Linky associée au profilage dynamique, permettront de passer d'une reconstitution temporelle annuelle à journalière, ce qui permettra principalement aux fournisseurs de :

  • recevoir une allocation des énergies plus proche de la réalité
  • obtenir des données plus rapidement
  • limiter les effets d’extrapolation de fin de période comptable du à l’incertitude du volume des pertes

Ces informations vont permettre aux fournisseurs de prévoir de manière plus détaillée leurs flux d’énergie et limiter les risques d’exposition à la volatilité des prix de marché.

Couplée avec la possibilité d’utiliser 10 index fournisseurs dans les compteurs Linky, cette évolution permettra aux fournisseurs de réfléchir à des offres plus dynamiques pour les consommateurs.