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Dans un milieu agricole en grande difficulté, le biométhane apparait depuis quelques années comme une solution viable et solide pour fournir une bouffée d’air frais aux agriculteurs et redynamiser les territoires ruraux.
Cette filière, en plein développement, continue d’attirer les nouveaux projets dans un environnement stimulant mais encore incertain. En effet, malgré l’objectif national d’atteindre 7%[i] de gaz vert dans la consommation de gaz française en 2030, le gouvernement prévoit de réduire ses aides à cette filière encore en maturation.
Décembre 2019 : 123 installations opérationnelles, 1085 projets dans le registre de gestion des capacités, soit une capacité de production de 24 TWh/an[ii]. Il ne s’agit pas d’un effet de mode, ces chiffres traduisent l’engouement pour le biométhane en France. En effet, nombre d’agriculteurs se lancent dans des projets de méthanisation, s’orientant vers l’injection de biométhane sur le réseau de gaz. Les promesses sont nombreuses et attirantes : source de revenu supplémentaire, stabilité financière, redynamisation des campagnes, développement d’une économie circulaire et des énergies renouvelables, amélioration de la qualité des sols, etc. Un passage en revue de l’environnement et des modèles d’affaires offerts aux agriculteurs permet d’aborder l’intérêt et la pérennité du biométhane agricole.
La méthanisation agricole représente la production de biogaz à partir de déchets et résidus agricoles. Elle répond à de nombreux enjeux actuels en produisant une énergie renouvelable se substituant aux énergies fossiles, clef d’un futur système 100% renouvelable. La France, premier producteur agricole en Europe, mise sur ses agriculteurs pour développer cette source d’énergie renouvelable. En effet, ils représentent un potentiel de production de biogaz très important : l’ADEME l’estime entre 60 et 70 TWh[iii] en 2035 à partir des gisements mobilisables (Cultures intermédiaires à vocation énergétique, résidus cultures, effluents élevages) soit plus de 10% de la consommation nationale en gaz actuelle.
Le biogaz agricole peut être valorisé de deux manières : via la cogénération sous forme d’électricité et de chaleur ou alors purifié en biométhane et injecté sur le réseau de distribution ou de transport. Les pouvoirs publics incitant financièrement à opter pour l’injection, c’est cette option qui est la plus souvent choisie par les agriculteurs. En effet, l’injection est le mode de valorisation le moins coûteux selon l’ADEME. La production d’électricité à partir de biogaz a un coût élevé (131 et 167 €/MWh²), supérieur à celui des autres énergies renouvelables. Le coût de production du biogaz injecté, compris entre 72 et 112 €/MWh², est quant à lui moindre.
Afin de stimuler le développement de la méthanisation mais tout particulièrement de l’injection, le gouvernement a historiquement mis en place des tarifs d’achat du biométhane. Ceux-ci varient en fonction du type, de la taille et des intrants de l’installation. Ils garantissent des revenus fixes, stables et connus durant une période de 15 ans, de quoi absorber les coûts d’entrée importants de cette énergie. Ces tarifs ont été une arme de séduction massive pour les agriculteurs, leur fournissant un revenu sûr et récurrent, contrebalançant la volatilité inhérente aux produits agricoles. Ces tarifs, source du développement de cette filière, sont amenés à baisser puis à disparaître, comme dans le cas de la production d’électricité renouvelable. L’Etat les réduit progressivement afin de stimuler la maturation et l’industrialisation du secteur. Cependant, la rentabilité actuelle des installations de méthanisation est assurée uniquement par ces tarifs d’achat. En 2018, le prix moyen d’achat du biométhane injecté a été de 102 €/MWh PCS, contre un prix moyen du gaz naturel de 23 €/MWh PCS. Sans ces aides, le biométhane ne pourrait concurrencer le gaz naturel.
En France en 2019, une installation de biométhane injectait en moyenne 11 GWh/an4 avec un débit moyen de 150 Nm3/h[iv]. Dans le même temps, les tarifs d’achat s’élevaient en moyenne à 113 €/MWh[v]. Cette unité de méthanisation moyenne génèrerait donc un chiffre d’affaire annuel de l’ordre de 1,4 M€ par la vente du biométhane.
Toutefois, la revente du biométhane n’est pas la seule source de gain pour les agriculteurs. En effet, le digestat engendré par la méthanisation peut être épandu en se substituant aux engrais de synthèses. Cela permet donc de diminuer les achats d’engrais ou d’amendement (ayant des prix fluctuant), réduisant d’autant les coûts opérationnels des exploitations. On estime que les économies d’engrais peuvent représenter un gain de 3 à 4€ par MWh[vi] de biométhane produit. La méthanisation est donc une alternative dans le traitement des déchets qui permet d’éviter la mise en décharge (coûts évités pour les agriculteurs). En outre, la suppression des engrais de synthèse permet d’envisager le passage à une production certifiée Agriculture Biologique dont les produits sont en moyenne vendus plus cher. Ce dernier point est toutefois à nuancer car ce changement de méthode de production est complexe, réfléchi et ne vient en général par seulement de la mise en place d’une unité de méthanisation.
Certes le chiffre d’affaire semble important mais les unités de méthanisation sont des installations particulièrement capitalistiques. En effet, de nombreuses dépenses sont à prévoir au quotidien.
Il faut tout d’abord garder en tête que les cours de production du biométhane sont très variables et dépendent de la taille des installations et de la nature des intrants utilisés[vii]. Nous raisonnons ici comme précédemment sur des estimations et moyennes nationales.
Ainsi la production de biométhane est couteuse, mais une fois les dépenses et autres coûts de fonctionnement déduis, le revenu annuel par installation avant imposition oscille entre 100 000 et 150 000€ en moyenne. D’après un responsable marché d’affaire de GRDF « 2 familles composant une GAEC avec 150 bovins gagnaient en moyenne 56 000 €/an net avant le passage au biométhane. La mise en place d’une unité de méthanisation leur a permis de doubler leurs revenus (soit 112 000€/an)[xi]. »
La méthanisation reste donc une réelle source de revenu pour les agriculteurs. Ces projets, bien que couteux, fournissent un bol d’air à des exploitants parfois en difficulté. Pour rappel, le salaire moyen d’un agriculteur en France est de 16 680 € annuel. Même si les revenus liés à la méthanisation sont souvent partagés, leurs impacts sont importants et non négligeables.Si de tel gains sont à la portée de tous, il est intéressant de se demander pourquoi le secteur tarde à émerger.
Les projets de méthanisation sont complexes et requièrent patience et persévérance. Tout d’abord, ils sont longs, 2 à 3 ans en moyenne entre le lancement des démarches et la mise en service de l’installation (qui mettra encore quelques mois à atteindre son régime stationnaire). Cette longue période d’incertitude représente un risque majeur pour des agriculteurs déjà en difficulté. Dégager un apport, avancer des fonds plusieurs années en avance pour lancer un projet pouvant possiblement être retardé ou même échouer est impossible dans de nombreux cas.
Un projet de méthanisation est composé de multiples étapes administratives devant être réalisées impérativement en amont par des professionnels rémunérés avant même que le projet ne se lance. De plus, il revient à l’agriculteur de coordonner et piloter le projet. En addition des compétences managériales et humaines nécessaires, une profonde motivation est requise pour surmonter toutes ces étapes. Ainsi, tous les agriculteurs ne sont pas en capacité de mettre en place un méthaniseur et ce, malgré des dossiers solides. En effet, les banques, sources de financement, se montrent méfiantes avec les porteurs de projet ne leur inspirant pas une totale confiance et ayant des difficultés à collaborer avec les nombreux acteurs et interlocuteurs rencontrés (cabinet d’étude, collectivités locales, banques, distributeur de gaz, fournisseur de gaz, BTP, etc.).
Enfin, peu d’exploitations sont en capacité de produire seules assez d’intrants pour générer 150 Nm3/h de biométhane (moyenne française). Cela représente 10 000 à 15 000 t d’intrants/an[xii] pour le méthaniseur alors que la moyenne de production d’intrants par exploitation agricole française s’élève plutôt à 3 000 – 5 000 t/an11. Cela implique que nombre d’agriculteurs doivent se regrouper au sein de société commune (GAEC) afin de mutualiser leurs intrants et atteindre ainsi une taille critique et un seuil de rentabilité. La gestion de ces GAEC est complexe car elle implique une entente sur les choix de gouvernance et la répartition des tâches et parts. Les dépenses mais aussi les revenus sont donc partagés réduisant l’impact sur les finances des agriculteurs. Il est donc plus aisé de collaborer à plusieurs sur un même projet de méthanisation, cependant les revenus sont également moindres. Souvent, cette création d’entreprise est un facteur d’arrêt de projet dû à l’impossibilité de conclure un accord entre les partis.
La méthanisation agricole présente de belles perspectives. Les projets en cours représentent déjà plus de 20 TWh/an et l’industrialisation du secteur va continuer de stimuler ce développement. L’Etat affiche toujours une volonté de soutien à cette filière, notamment en simplifiant les démarches administratives et autres réglementations, en multipliant les appels d’offre[xiii] ou encore en revoyant à la hausse les tarifs d’achat prévu en 2023. Cependant, la baisse des tarifs est actée. Ils devraient atteindre 75 €/MWh PCS[xiv] en 2023 et 60 €/MWh PCS13 en 2028 (contre respectivement 67 et 60 prévu lors de la précédente PPE). Toutefois, les pouvoirs publics se montrent flexibles et envisagent d’adapter leurs tarifs à la hausse jusqu’à un plafond de 90€/MWh13 en 2023 si les objectifs de réduction des coûts ne sont pas atteints. Cette hausse des tarifs est à nuancer car elle engendrera une baisse des volumes alloués afin de ne pas dépasser l’enveloppe budgétaire visée. En effet, le respect du budget est l’une des raisons principales poussant à réduire ces aides. Avec les tarifs d’achat et la croissance actuelle, le budget de financement de ces tarifs devrait atteindre 1,5 Mds€/an[xv] en 2028 alors que le gouvernement souhaite se limiter à un niveau de dépense publique de 800-900 M€/an[xvi] pour le biométhane.
La PPE insuffle donc une trajectoire de réduction des coûts de production de l’ordre de 25% d’ici 2023 et de 40% d’ici 2028. Ces objectifs représentent pour la filière un réel défi et auront un impact fort sur le développement du biométhane, limitant l’accès aux projets les plus rentables et excluant de facto les petits agriculteurs ne produisant pas de quantités industrielles d’intrants. Une baisse des coûts des installations est toutefois attendue grâce à l’effet de série sur les équipements et au développement de l’offre pour les opérations d’entretien-maintenance. Des progrès techniques pourraient par ailleurs être observés pour l’épuration du biogaz. Cependant, cette baisse des coûts ne doit pas être surévaluées. Certes l’industrialisation va engendrer des effets de masses, mais l’exemple allemand nous montre que les coûts n’ont pas significativement diminué, malgré les quelques 9 000 unités en fonctionnement dans ce pays. Ainsi, les acteurs du secteur craignent de connaitre un ralentissement net comme en Allemagne lorsque les tarifs ont subitement baissé.
Le secteur jouit d'une forte visibilité grâce au cadre de la PPE, mais il fait face à la baisse des tarifs d'achat et des subventions. Les objectifs sont atteignables selon les experts du secteur à condition que des mesures soient prises pour continuer à soutenir le biométhane, en prenant en compte les externalités environnementales par exemple (valorisation des biodéchets, la substitution aux engrais de synthèse, les émissions de gaz à effet de serre évitées, etc.). Cela permettrait de rendre plus attirant et séduisant ce gaz vert en comparaison du gaz naturel. Si le biogaz est aujourd’hui une solution plus coûteuse que les solutions traditionnelles, son essor permet d’augmenter progressivement la part de renouvelable du gaz consommé sur le réseau.
La filière biogaz présente des avantages non seulement pour le climat et l’indépendance énergétique française, mais aussi et surtout pour le développement des territoires ruraux et le maintien d’une agriculture durable en France. L’injection de biométhane a encore de belles perspectives d’avenir avec des centaines de projets en cours d’étude, de réalisation ou d’installations. Les agriculteurs cherchent même à accélérer les démarches afin de valider leurs projets avant les baisses des tarifs d’achat.
Certes les projets sont complexes et nécessitent beaucoup d’investissement personnel mais la stabilité et le dynamisme qu’apportent ces installations sont des atouts notables et actuellement sans égal pour les agriculteurs toujours plus nombreux à tenter l’expérience.
Le développement de la mutualisation des exploitations et l’industrialisation de la filière continuera d’attirer les projets dans un contexte de volatilité très forte des produits agricoles dû à la mondialisation et aux aléas climatiques de plus en plus impactant.
Une analyse de Simon Coma
[i] Programmation Pluriannuelle de l’Energie - Janvier 2020
[ii] Tableau de bord : biométhane injecté dans le réseau de gaz – STAT INFO Energie
[iii] PPE Janvier 2020
[iv] Open DATA GRDF – Panorama gaz renouvelable
[v] Tarif moyen des installations entrées en service en 2019 ; Rapport sur le verdissement du gaz – CRE
[vi] Rapport sur le verdissement du gaz
[vii] Entre 72 et 86 €/MWh pour les plus grandes installations (>300 Nm3/h) et entre 99 et 112 €/MWh pour les plus petites (>150 Nm3/h) - (ADEME, Janvier 2020)
[viii] Rapport sur le verdissement du gaz ; Coûts des énergies renouvelables et de récupération en France
[ix] (Maudou, 2019)
[x] ADEME, Régions ou départements, agence de l’eau, fond d’investissement public (BPI, Caisse des dépôts ou privé) ; financement participatif (notamment des riverains afin d’accentuer l’acceptation de l’installation)
[xi] Echange avec Thierry Maudou, responsable marché d’affaire chez GRDF
[xii] Simulateur de production de biométhane GRDF
[xiii] Deux appels d’offre de 350 GWh/an PCS devraient être lancés tous les ans de 2020 à 2024 selon le PPE de janvier 2020
[xiv] Programmation Pluriannuel de l’Energie – Janvier 2020
[xv] (Appert & Mauguin, 2019)
[xvi] (AAMF; ATEE; AFG; AMORCE; COENOVE; INSEA; France gaz renouvelable; FNCCR, 2019)