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Financement des énergies fossiles

40 milliards d’euros financés par les banques françaises en 2023, un paradoxe climatique ?

Dans un contexte où l’urgence climatique impose une transition énergétique rapide et une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, le rôle des institutions financières suscite une attention croissante. En tant que principaux pourvoyeurs de capitaux, les banques influencent directement le maintien ou le déclin des industries polluantes, notamment celles des énergies fossiles. Ces soutiens financiers peuvent contraster avec les engagements publics des banques en faveur d’une finance durable, ce qui soulève des interrogations sur leur impact réel sur la transition énergétique.

Pour éclairer ce questionnement, cette étude réalisée par l’Observatoire des banques de Sia s'attache à répondre à plusieurs interrogations : quelle est la place des banques françaises dans le financement des énergies fossiles, en comparaison avec les autres pays à l'échelle mondiale et européenne ? Quelles dynamiques ont marqué les dernières années, et que révèlent-elles sur les choix stratégiques des institutions financières françaises ?

Les données utilisées dans cet article proviennent notamment de l’analyse réalisée dans Banking on Climate Chaos 2024, qui fournit une estimation détaillée des financements accordés par les banques privées à 4 228 entreprises actives dans l’industrie des combustibles fossiles. Ces entreprises, regroupées en 2 435 entités au niveau des groupes, ont été identifiées à partir de sources reconnues telles que la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) et la Global Coal Exit List (GCEL), en complément des données de Bloomberg, Enerdata et d’autres bases de suivi spécialisées.

La France, premier financeur européen d’énergie fossile en 2023

Le financement des banques françaises en matière d’énergies fossiles en 2023 a été d’environ 40 Mds$, en faisant d'elle le premier financeur européen d’énergies fossiles. A titre de comparaison, les banques allemandes ont financé les énergies fossiles à hauteur de 15 Mds$, les banques espagnoles, 26 Mds$, et les banques anglaises, 37 Mds$.  Il s’agit néanmoins de 10 Mds$ de moins qu’en 2022, et seulement 5,6% du financement total des banques au niveau mondial, positionnant la France et les banques françaises assez loin derrière les banques américaines et chinoises (respectivement 212 Mds$ et 109 Mds$).

Financement des banques mondiales en matière d'énergies fossiles en 2023

(1) Valable pour l’ensemble de l’étude : Financement des banques mondiales en matière d’énergies fossiles

Comment expliquer ces financements persistants ?

Des lacunes réglementaires persistent, et ne permettent pas un retrait notoire des investissements, rendant les engagements Net Zero loin d’être atteints.

Tout d’abord, les politiques d’exclusion, éléments importants des stratégies de décarbonation des banques, ciblent principalement les projets, et non les entreprises dans leur globalité. Cela ne prive donc pas les banques de financer des acteurs très actifs dans les secteurs des énergies fossiles puisque ces politiques n'empêchent pas les entreprises de s’endetter auprès des banques à des fins générales, sans spécifier l’utilisation des fonds acquis. C’est ce que souligne le rapport annuel publié conjointement par l’AMF et l’ACPR en 2024 sur le Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place :

« Les politiques d’exclusion des banques commerciales concernant le pétrole et le gaz conventionnels s’appliquent, dans la majorité des cas, aux financements de projets (construction, extension d’installations pétrolières ou gazières), et de façon plus inégale aux financements dits « corporate », dont les bénéficiaires peuvent être très actifs dans l’exploitation de telles installations ». (Rapport AMF ACPR 2024)

De plus, les plans de transitions, déclinés par la majorité des banques, en particulier celles signataires de la NZBA(1), fixent des objectifs à relativement long terme, sans obliger les banques à réduire leurs émissions à court terme.

Ce constat est confirmé par la récente étude sur les objectifs de décarbonation des banques de Reclaim Finance, analysant les 243 cibles de décarbonation des 30 plus grandes banques de la NZBA. D’après ce rapport, les objectifs fixés seraient inefficaces, inutilement complexes et opaques. Les principales faiblesses identifiées par les auteurs de ce rapport sont : le type de cibles inadapté ; le non-alignement des objectifs avec les scénarios -1,5°C ; la mauvaise qualité de la donnée liée aux différences méthodologiques entre les entreprises(2), ou encore le manque de transparence dans l’élaboration des objectifs. Ces éléments expliquent un écart entre les engagements pris par la majorité des banques françaises pour atteindre des émissions nettes zéro d'ici 2050 et certaines de leurs décisions actuelles en matière de financement des énergies fossiles. Ce fossé est renforcé par la vague de désengagement des banques américaines auprès de cette alliance. Ainsi, depuis décembre 6 banques américaines ont quitté officiellement la NZBA (Goldman Sachs, Wells Fargo, Citi, Bank of America et Morgan Stanley), suggérant que les enjeux relatifs au changement climatique passent aujourd’hui au second plan.

Un exemple de cible inadaptée : les objectifs d’intensité des émissions financées, calculées en appliquant une pondération liée à la valeur des entreprises financées. Cette méthodologie, diffusée par l’organisme industriel PCAF (Partnership for Carbon Accounting Financials), permet ainsi d’atteindre les objectifs de réduction des émissions financées seulement si la valeur des entreprises augmente suffisamment.

Néanmoins, un fléchissement notoire des investissements ces dernières années à l’échelle nationale et européenne

Les banques françaises s'inscrivent plus positivement dans ce tableau mondial. Avec une baisse notable de -40% de leurs investissements à destination des énergies fossiles depuis 2016, les banques de l'hexagone pourraient être considérées comme les bons élèves de la classe internationale.

Financement des banques françaises en matière d'énergies fossiles

Dans un classement des plus gros financeurs d’énergies fossiles dominé depuis plusieurs années par les établissements nord-américains et asiatiques (70% des financements accordés à l’industrie fossile depuis 2015), les banques françaises reculent d’année en année. Toutefois, comme mentionné ci-dessus, les banques françaises sont parmi les banques européennes, celles qui financent le plus fortement ce secteur.

Par ailleurs, cette baisse s’inscrit dans une tendance générale européenne de réduction des financements en direction du secteur des énergies fossiles de 37% depuis 2016.

Financement des banques européennes en matière d'énergies fossiles (incl GB)

L'Union européenne s'engage de plus en plus à réduire le financement des énergies fossiles dans le cadre de sa transition énergétique et de son objectif de neutralité carbone d'ici 2050. On peut observer des actions de changement de la part des banques qui suivent le cadre de l’Accord de Paris.

Par exemple, depuis 2021, la BEI (Banque Européenne d’Investissement) a cessé ses financements publics sur tout nouveau projet lié aux combustibles fossiles, y compris le gaz naturel, sauf si des technologies compatibles avec la transition énergétique y sont intégrées.

Il est de fait compliqué d’établir une politique uniforme et contraignante à l’échelle européenne car les états membres ont des structures et besoins économiques et politiques différentes, ce qui complique fortement un alignement commun sur le financement des énergies fossiles.  

Concernant le financement du charbon, les banques françaises estiment que leurs objectifs de sortie à 2030 seront atteints. Ce n'est pas le cas dans l'ensemble des pays européens, à l'image des banques allemandes, qui peinent à s'affranchir de cette dépendance en raison de l'importance du charbon dans son économie et son tissu industriel.

Concernant le financement du pétrole et du gaz, les banques françaises ont renforcé leur politique de limites ou d’exclusion et sont sur une baisse progressive du financement. Certains homologues européens ne sont pas aussi clairs à ce sujet et continuent de financer des projets fortement liés aux énergies fossiles.

Financement des banques mondiales en matière d'énergies fossiles

Quels enjeux pour les banques ?

L’absence d’une méthodologie homogène pour le reporting des financements bancaires aux énergies fossiles complique la mesure de l'impact des activités des banques en matière de transition écologique. Dans de nombreux cas, les institutions utilisent leurs propres outils et critères, ce qui rend difficile l'évaluation comparative et transparente de l’empreinte environnementale de leurs financements. D’autant plus que ces méthodologies peuvent varier d’une année à l’autre, sous l’effet de pressions réglementaires.

En l’absence de cadre réglementaire contraignant et uniforme à l’échelle internationale, le financement des énergies fossiles pose surtout un enjeu réputationnel pour les banques, particulièrement dans un contexte où les pressions en faveur d’une transition énergétique s’intensifient à travers les engagements gouvernementaux, l’opinion publique, et les normes internationales. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a récemment intensifié la pression, dénonçant la poursuite des investissements dans les énergies fossiles qu'il qualifie de « nouvelle épidémie » mondiale. Certaines banques sont ainsi exposées au risque d'une réputation entachée, à l'exemple de la banque américaine Citigroup, qui est devenue la cible d’une campagne « Summer of Heat » mi-2023 de la part de plusieurs ONG et de scientifiques. Avec 204 milliards de dollars investis depuis 2016, Citigroup est vivement critiquée pour l'incohérence entre ses investissements et les objectifs mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Face aux critiques, la banque américaine insiste sur le fait que son portefeuille reflète l’équilibre nécessaire entre les besoins énergétiques mondiaux et la transition vers une économie à faibles émissions, et souligne son engagement à investir 1.000 Mds$ dans des projets durables et à décarboniser ses activités. Comme le souligne Marc Victory, expert sur les règlementations ESG chez Sia, “l’instrument répandu des politiques sectorielles s’avère parfois insuffisant en ce qui concerne le risque de réputation car ces politiques n’effacent généralement pas les expositions historiques (crédits, investissements), sont souvent trop ciblées en visant certaines activités d’une entreprise mais pas son entièreté ou laissent la porte ouverte à des exceptions auxquelles les Fronts peuvent avoir recours.

Aux risques de réputation s’ajoutent les risques financiers, en particulier sur le continent américain. Le régulateur (SEC) a notamment été l’un des premiers à annoncer son ambition de renforcer les obligations de transparence des conseillers financiers et gestionnaires d'actifs en matière d'investissements selon des critères ESG. Fin 2022, il infligeait une amende de 4 Millions$ à la banque d'affaires Goldman Sachs pour ne pas avoir respecté la procédure concernant des produits d'investissement censés respecter des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). A l’échelle européenne, si des sanctions n'ont pas encore été appliquées par le régulateur, le renforcement du cadre réglementaire en matière d’engagement environnemental s’inscrit dans la même démarche, à l’exemple de la taxonomie européenne. Outre le fait d’établir un langage commun à tous les investisseurs en Europe, cette réglementation permet d’augmenter significativement les flux financiers disponibles pour les activités dites “durables”, en fléchant une part de l’épargne.

Quels leviers pour une finance alignée sur le climat ?

Face au défi climatique, les banques se trouvent à un carrefour stratégique où leurs choix financiers auront des implications majeures pour l’économie et la société. Les enjeux méthodologiques, réputationnels et financiers liés au financement des énergies fossiles les contraignent à repenser en profondeur leurs stratégies de financement et leurs politiques de gestion des risques. Dans ce contexte, la perspective d’un durcissement des réglementations marque une nouvelle ère pour le secteur bancaire, mais également une nouvelle voie européenne à l’heure du retour de Trump et de la sortie des Etats-Unis des Accords de Paris, une porte ouverte à un retour en arrière sur le financement des industries polluantes. Les banques européennes peuvent alors sortir leur épingle du jeu en affichant des objectifs plus ambitieux. Intégrer pleinement les critères ESG, comme l’exposition aux énergies fossiles, peut leur permettre d’anticiper les mutations du marché, préserver leur compétitivité et limiter leur exposition aux risques climatiques. Cette transition nécessitera des investissements dans des outils d’évaluation fiables, une transparence accrue dans les rapports financiers et une capacité à innover pour financer une économie bas-carbone. Les banques qui sauront relever ces défis pourraient non seulement protéger leur réputation, mais aussi se positionner comme des acteurs clés de la transition énergétique.

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  1. La Net Zero Banking Alliance (NZBA)  est un programme lancé en avril 2021 dans le cadre de l'Initiative financière du Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP-FI). Elle rassemble 43 banques issues de 23 pays, pour un total d'actifs représentés s'élevant à 28,5 trillions de dollars : ces établissements s'engagent ainsi à aligner leurs investissements et portefeuilles sur les l’objectif zéro émission nette d'ici 2050 (Novethics).
  2. La qualité de la donnée sur les émissions financées est souvent problématique car les chiffres sur les émissions sont reposent en grande partie sur l'auto-déclaration des entreprises, induisant une grande disparité méthodologique.