La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le concept de Captage et Stockage du CO2 (CSC) est connu depuis des décennies, les premiers projets ayant vu le jour dans les années 80 aux États-Unis. En trente ans, le paysage de cette filière s’est profondément métamorphosé.
Seuls quelques-uns des projets de grande envergure lancés depuis se sont pérennisés et la commercialisation de procédés à grande échelle semble encore loin. Néanmoins, ces dernières années, de nouveaux acteurs ont émergé, proposant des technologies disruptives, et redonnant un second de souffle à cette filière dans un contexte politico-économique paradoxal. Le 12 décembre prochain, la France organise un “point relais” de la COP21, auquel participera notamment la Banque Mondiale. L’objectif est d’ancrer les initiatives mûries ces deux dernières années dans la réalité en mobilisant les financements requis. L’occasion donc de revenir sur une filière CSC qui mérite sa place dans le débat de la transition écologique.
A la fin des années 90, les grands groupes pétroliers et gaziers, ainsi que l’industrie chimique, se lancent dans de vastes projets CSC, motivés par l’orée d’une politique répressive internationale des émissions de CO2. Un des exemples emblématiques est le site de Sleipner, géré par Statoil, qui stocke son CO2 dans les aquifères salins proches depuis 1996. D’autres comme Chevron ou Shell se sont également prêtés à l’exercice mais la reproductivité de tels projets est difficile. Sa bonne réalisation est en effet très dépendante de facteurs locaux divers : caractéristiques géophysiques, distance de la source au stockage, taxes locales sur l’émission du CO2, interventions de l’Etat (taxes, pénalités ou subventions). La Norvège par exemple est l’un des premiers pays européens à s’être doté d’une taxe carbone en 1991, qui reste une des plus élevées sur le continent à 40 €/tonne de CO2. C’est notamment ce qui a motivé Statoil très tôt à se doter d’installations de captage du CO2.
La fin des années 2000 est marquée par l’arrivée de nouveaux acteurs : les énergéticiens et l’industrie lourde. Ce renouveau d’acteurs est notamment motivé par la volonté de l’Europe de stimuler la filière CSC, comme en témoigne le vaste projet de financement européen NER 300. Ce projet a pour objectif de catalyser à la fois le développement de projets pilotes de CSC et d’ouvrir le champ d’utilisation des énergies renouvelables. Les industriels, les Etats et les centres de recherche se rassemblent alors autour de plusieurs projets phares à travers l’Europe. Malheureusement, ces alliances rencontrent plusieurs difficultés. L’abandon de projets comme Ulcos avec ArcelorMittal ou ROAD regroupant ENGIE et Uniper Benelux est symptomatique de plusieurs problèmes : un marché du crédit carbone instable et pessimiste, des difficultés de financement et des technologies dont la fiabilité n’est pas certifiée. Aujourd’hui les rares projets dans le secteur de l’énergie ayant été menés à terme et toujours en production se trouvent principalement outre-Atlantique avec le projet « Petra Nova » (NRG et JX Nippon Oil & Gas Exploration) à Houston au Texas, ou encore « Boundary Dam » (SaskPower) au Canada.
Plus récemment, une troisième vague d’acteurs a émergé, proposant une approche plus innovante de la filière CSC. Les premiers acteurs qui se sont intéressés à ces technologies maîtrisaient la chaîne de processus à l’origine de l’émission de CO2 du début à la fin. Dans les solutions CSC qu’ils abordaient, ils ont cherché à résoudre les problèmes du captage, du transport et du stockage comme un tout. Contrairement à ces acteurs « globaux », les « Newcomers » vont essentiellement concentrer leur activité sur le maillon « captage » de la chaîne CSC. Leur force de développement réside dans des technologies dites « disruptives » avec un abattement des coûts de la tonne de carbone évitée très important.
Les acteurs historiques, qui possèdent des points d’émissions importantes, ont principalement développé leurs activités autour de quatre concepts de captation du CO2, chaque concept étant intimement lié au processus industriel auquel il est appliqué :
Les différents acteurs se sont donc positionnés préférentiellement sur certaines technologies en fonction de leur cœur de métier. Pour un même concept, les acteurs ont notamment cherché à se différencier au niveau de la technologie de séparation du CO2 des effluents industriels (« CFZ technology » pour ExxonMobil, « Advanced Amine Process » pour GE Power, « Advanced Carbon Captur » pour Aker Solutions).
Concernant le transport, tous ont unanimement porté leur choix pour le transport par pipeline. Ce moyen s’est beaucoup développé en Amérique du Nord avec quelques 6000 kms de pipeline enterrés installés. Ce développement a principalement été permis par les industries pétrolière et gazière qui réinjectaient le CO2 émis dans des réservoirs déplétés ou alors l’utilisaient pour augmenter le rendement de leurs gisements, principe appelé EOR (Enhance Oil Recovery). Le CO2 réinjecté dans les puits de pétrole permet d’y augmenter la pression et ainsi de faire remonter plus de brut à la surface. La réutilisation du CO2 par ces acteurs est principalement dévouée à ce procédé, particulièrement rentable et appartenant déjà au domaine de compétence de ces acteurs.
Néanmoins, Air Liquide entretient aujourd’hui une démarche innovante pour la filière et s’intéresse à différentes revalorisations du CO2 capté. En effet, l’entreprise trouve actuellement des solutions dans l’agro-alimentaire, où le CO2 peut servir de source froide sous forme de neige ou de glace ou encore de conservateur sous forme de gaz. Sa légère acidité lui permet également d’être utilisé dans des procédés de traitement des eaux, afin de réguler le pH des eaux traitées.
Présent également sur les technologies de postcombustion et de séparation industrielle, le marché des « Newcomers » s’est parallèlement développé autour du concept du captage direct dans l’air.
Ce procédé amène une nouvelle opportunité sur le marché du CSC. Il pourrait être utilisé par n’importe quel type d’acteur (émetteur ou non de CO2, professionnel ou particulier), permettant ainsi à chacun d’avoir un impact CO2 réduit voire négatif.
L’offre de ces « Newcomers » est ainsi structurée autour du captage du CO2 mais ne s’étend pas jusqu’à son transport, maillon de la chaîne de valeur pourtant considéré comme un catalyseur du développement du CSC. En effet, la cible de ces nouveaux acteurs est essentiellement constituée d’émetteurs de CO2 moins importants, représentant des sources plus décentralisées pour lesquelles il est plus rentable de stocker le CO2 localement.
Par ailleurs, trois newcomers ont intégré à leur offre commerciale une utilisation finale du CO2 capté :
Seulement très peu de travaux concrets ont été menés dans le développement d’un réseau de transport du CO2 alors que la Commission Européenne avait déclaré le développement d’un réseau européen comme « prioritaire » dans ses Projets d’Intérêts Communs (PIC) déjà en 2013. Un tel développement d’un réseau centralisé étant très coûteux, il est compliqué à mettre en place.
Dans ce contexte, l’activité des « Newcomers » est la bienvenue puisqu’elle permettrait le développement de circuits courts du CO2, rapprochant les sources des usages. A l’instar des auto-producteurs qui se développent de plus en plus dans le secteur de l’électricité, on peut imaginer un réseau du CO2 directement décentralisé. La problématique du transport du CO2 serait alors contournée.
Cette métamorphose de la filière pourrait être d’autant plus motivée par un horizon financier et législatif clément. En France l’évolution du prix de la tonne du CO2 propose une trajectoire intéressante : 56€/tonne en 2020, 100€ en 2030. Au niveau européen, le prix des « crédits carbone » est trop bas pour stimuler significativement les projets de réduction des émissions de CO2 (autour de 7 €/tonne de CO2). Les ministres européens œuvrent actuellement pour augmenter ce prix. En février dernier, ils ont planifié une réforme du système d’échange de quotas de CO2 pour 2019. L’objectif est de mettre en place une réserve de stabilité afin de contrôler automatiquement la quantité de ces quotas mis aux enchères chaque année, tout en continuant leur « backloading » (ou retrait du marché) progressif.
On assiste de plus à une consolidation de la filière avec notamment :
En parallèle, des instituts et universités continuent à s’intéresser de près à la faisabilité du stockage géologique afin de développer une technologie fiable, mitigeant notamment sur les risques de fuite des réservoirs souterrains. C’est par exemple la vocation du consortium de centres de recherche européens, regroupés autour du projet ENOS. Le secteur privé n’est cependant pas en reste : TIGF ou Storengy investissent également dans cette voie.
Afin d’atteindre l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 2°C, il n’est plus à démontrer que la filière CSC a un rôle important à jouer. L’intérêt qu’elle suscite devrait donc se renforcer, mais également se transformer. La filière est en effet entrain d’opérer une réelle mue à l’instar des filières électrique et gazière déjà bien engagées dans la transition énergétique grâce à la décentralisation et la « smartisation » de leurs réseaux. Ce changement deviendra également nécessaire pour la filière CSC si le nombre de sources de CO2 et d’usages continuent d’évoluer comme elle l’a fait ces dernières années. Pour quand donc un « Smart CO2 Grid » ?