La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Quelques mois après l’annonce du retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris, les négociations sur le climat reprennent à Bonn, en Allemagne, à l’occasion de la 23ème Conférence des Parties de l’UNFCCC.
Présidée par les îles Fidji, l’appel de leur premier ministre et Président de la COP à la mobilisation de la communauté internationale pour concrétiser les engagements est aussi assidu qu’insistant. Frank Bainimarama essaye dans ses discours de lutter contre un sentiment d’essoufflement dans les dialogues où les questions délicates peinent à être tranchées.
Dernière occasion de préparer le « 2018 Facilitative Dialogue », dont la vocation est de dresser un premier bilan des efforts effectués par les Parties pour atteindre l’objectif de contenir le réchauffement climatique en-dessous de 2°C, il y a tout à parier que le résultat de cette COP sera plus symbolique que factuel.
L’accord de Paris sur le climat, à ce jour juridiquement contraignant pour 168 Parties, a fêté le 4 novembre ses un an d’entrée en vigueur. Accord historique, ou accord de la dernière chance, signé par 198 pays représentants plus de 90% des émissions de gaz à effet de serre, il a été conçu pour éviter les écueils du protocole de Kyoto. Il reconnait ainsi une responsabilité partagée mais différenciée, des capacités d’action inégales et promeut la solidarité : il prévoit le maintien du Fonds Vert pour le Climat du Nord vers le Sud, et le transfert de technologies. Cependant, par son absence de date butoir, les mesures tardent parfois à être mises en œuvre.
Par ailleurs, l’article 2 de l’Accord, pierre angulaire du texte, prévoit de contenir l’élévation de température sous la barre des 2°C ; et la Décision, préambule de l’Accord, souligne que pour tenir cet engagement, les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) devront être de 40 Gt CO2 eq tout au plus, en 2030. Hors il est estimé dans un rapport de l’UNFCCC[i] que la mise en œuvre des Contributions Nationales Déterminées (CDN) communiquées en mai 2016 mène à un niveau agrégé d’émissions de 55 Gt CO2 eq en 2025 et 56,2 Gt CO2 eq en 2030. La faiblesse des objectifs est certainement liée à l’obligation pour les Parties de réviser à la baisse, tous les 5 ans, leur CDN.
L’Accord ne nomme jamais les causes du réchauffement climatique, ni n’exhorte à des mesures précises. Les axes de travail les plus concrets et déclinables à l’échelle nationale sont la mobilisation des flux financiers et par là même de l’épargne mondiale vers des investissements bas carbone[ii] et l’appel à la protection et au renforcement des puits de GES[iii]. Concernant ce dernier point, pourtant déjà présent dans la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), la déforestation n’a jamais été aussi importante qu’en 2016 : elle a augmenté de 51%, notamment à cause d’importants incendies imputables selon l’ONG Global Forest Watch à une mauvaise gestion des forêts. Même si l’Accord reconnaît l’urgence de la situation et enjoint les pays à agir, les ambitions doivent être déclinées en actions : le 2018 Facilitative Dialogue doit être l’occasion de capitaliser sur les solutions. La COP 23 a un rôle essentiel à jouer dans la définition des objectifs de cette rencontre.
La COP 23 invitera les Parties réunies à travailler autour de deux thèmes principaux : la préparation du 2018 Facilitative Dialogue et l’examen des dispositifs de soutien mis en place par le Comité d’Adaptation.
Le « 2018 Facilitative Dialogue », premier bilan, sera composé d’une phase préparatoire, et d’une phase politique. La phase préparatoire commencera au mois de mai 2018, et se terminera à l’ouverture de la COP 24, à savoir le 3 décembre 2018. Une première trame d’organisation a été esquissée lors de la Consultation Informelle des Chefs des Délégations des Parties qui a eu lieu début septembre à Marrakech. Lors de la phase préparatoire, les Parties devront répondre à trois questions centrales à propos de thèmes variés, des « inputs » soumis sur une plateforme en ligne par différents acteurs. Ces inputs peuvent être des documents écrits comme des articles de presse ou des rapports, mais aussi des éléments visuels ou des vidéos. Les questions clés à traiter pour chaque thème seront : « Où en sommes-nous ? Où souhaitons-nous aller ? Comment peut-on y aller ? ». Les Parties seront d’autre part enjointes à prendre connaissance du 5ème rapport du GIEC[iv], autre jalon clé très attendu en 2018, qui doit estimer les conséquences d’un réchauffement climatique supérieur à 1,5°C. La phase préparatoire doit poser les fondations des réflexions qui s’élèveront lors de la seconde phase, coïncidant avec la COP 24. Le dialogue doit également permettre d’identifier les leviers à mettre en place pour que les pays rehaussent leur Contribution Nationale, dont une première actualisation est à remettre en 2020.
L’autre grand chantier de la COP 23 est l’analyse du dispositif de soutien mis en place par le Comité d’Adaptation, qui œuvre pour renforcer les mesures d’accommodation au changement climatique et aider à leur déploiement. Ils doivent ainsi évaluer l’efficacité de leur assistance en présentant leur méthodologie d’identification des besoins d’adaptation d’une Partie, et les étapes qu’ils suivent pour mobiliser des ressources afin d’accompagner cette Partie dans la réalisation de son besoin. Si la question de l’aide à la mobilisation de ressource financière est sera traitée en 2019, le Comité présentera également une liste des acteurs influents du secteur privés qu’ils seraient intéressants de rallier. En 2017, le Comité a aussi travaillé à l’intégration de l’adaptation au changement climatique dans les objectifs onusiens de développement durable et dans le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes 2015-2030. Ce levier d’action identifié permettrait de bénéficier des ressources et du rayonnement de ces deux programmes mondiaux.
Présidée pour la première fois par un état insulaire du Pacifique, la COP 23 aura lieu à Bonn pour des raisons logistiques. L’organisation de la COP donne de la visibilité à la politique proactive de lutte contre le réchauffement climatique des îles Fidji. Ils se veulent porte-parole des états surexposés, qui sont par essence plus alertes sur l’urgence d’une réponse globale. C’est à l’initiative des petits pays insulaires qu’a été ajoutée la mention de s’efforcer à maintenir le réchauffement climatique en dessous de la barre des 1.5°C car ils ressentent déjà ses conséquences, tant économiquement que du point de vue sanitaire. En 2030, il est estimé que l’adaptation au changement climatique coûtera autour de 2% de leur PIB aux îles du Pacifique[v]. Les postes de dépenses les plus importants résideront dans l’agriculture, et la climatisation. L’agriculture est un secteur particulièrement exposé : la montée des eaux peut entraîner la salinisation des nappes phréatiques, l’augmentation des tempêtes tropicales engendrer la destruction des cultures, et la hausse de la température altérer le développement physiologique des plantes. Dès 2030, les pertes agricoles coûteront 1% de son PIB aux îles Fiji[vi].
Ces états, qui représentent 0,7% de la population, et 0,66% des émissions de GES mondiales[vii], se sont organisés en Alliance of Small Islands States (AOSIS) dès 1990, pour faire entendre leur voix lors des négociations internationales. L’un de leur enjeu clé est l’accès au fonds d’aide à l’adaptation et l’atténuation. Il est inscrit dans la Décision que 100 milliards de dollars américain seront versés chaque année aux pays en voie de développement pour les soutenir dans leurs politiques d’adaptation et d’atténuation à partir de 2020[viii], reprenant l’objectif du Fonds Vert pour le Climat créé à l’issue de la COP 15, en 2009. L’OCDE[ix] estime que 43,5 milliard de dollars de finance publique ont pu être mobilisés en 2014 pour financer les pays en développement dans leur lutte contre les changements climatiques. L’organisme projette la levée de 70,7 milliards de dollars en 2020 venant de sources d’aides publiques bilatérales ou multilatérales ; et il est attendu que le secteur privé finance la somme restante.
Les îles Fiji, qui souhaitent que l’accès aux aides soit facilité, ont décidé de montrer la voie en lançant des « Obligations Vertes » mi-octobre : il s’agit de titres de créance émises sur le marché par l’Etat pour financer des projets qui renforcent la résilience aux impacts du changement climatique. Etant le premier pays en développement à créer un tel mécanisme financier, ils affirment ainsi leur leadership en montrant leur proactivité dans le domaine, et en se détachant de la dépendance qui s’est installée vis-à-vis des pays développés, les puissances mondiales qui sont à la fois les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, les plus grands contributeurs à l’aide internationale, et jusqu’alors les voix les plus écoutées lors des négociations sur le climat.
C’est peut-être en ce dernier point que réside l’enjeu de la COP 23 : développer l’influence des pays surexposés, et faire de la mobilisation climatique un enjeu de soft power. L’évènement peut être la vitrine du modèle fidjien d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques, qui gagnera du poids sur la scène internationale en l’exportant à d’autres pays. L’agrandissement de leur sphère d’influence permettrait, selon le principe onusien « un état, une voix », d’obtenir l’ascendant pour orienter les discussions sur leurs enjeux stratégiques.
Notes & sources
[i] United Nation Framework Convention on Climate Change
[ii] Article 2 paragraphe 1.c) de l’Accord de Paris
[iii] Article 5 paragraphe 1 de l’Accord de Paris
[iv] Groupe d’Expert Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat
[v] Estimation de l’Asian Development Bank
[vi] Estimation de l’Asian Development Bank
[vii] Source : Report of the Conference of the Parties on its tewenty-first session, held in Paris from 30 November to 13 December 2015
[viii] Paragraphe 54 et 115 de la Décision de la COP 21
[ix] Organisation de Coopération de Développement Economique