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Costco en France : un danger pour la distribution française ?

L'annonce début mars du refus de la création du premier ensemble commercial de 38 000m² de Costco à Bussy-Saint-Georges de la CNAC annonce le début d'une bataille acharnée entre le distributeur américain, et les acteurs de la distribution française.

L'annonce début mars du refus de la création du premier ensemble commercial de 38 000m² de Costco à Bussy-Saint-Georges de la CNAC annonce le début d'une bataille acharnée entre le distributeur américain qui se voit obligé de repousser à 2016 son projet d'installation en France, et les acteurs de la distribution française qui, pour certains le voient déjà comme une grande menace. Dix recours au projet de création du complexe de Bussy-Saint-Georges ont été retenus dont deux de supermarchés voisins du projet (Intermarché et Marché plus)

Costco, 3ème distributeur des Etats-Unis (derrière Wal Mart et Kroger) en 2012 a développé un modèle de club-entrepôt dans lequel les membres professionnels ou particuliers, payent une adhésion pour bénéficier de prix très bas sur une petite sélection de références souvent en grand format. Au-delà d'un contexte règlementaire et concurrentiel qui semble déjà difficile en France, plusieurs éléments peuvent aussi freiner son implantation et son succès comme la difficulté des distributeurs latins à s'implanter dans les pays anglos-axons et vice versa ou encore la tendance à la flexibilisation de la distribution et au commerce de proximité.

Dans quelle mesure Costco représente-t-il une menace pour les distributeurs français et la France est-elle une opportunité viable pour l'américain ?

Costco : un concept et un positionnement innovants pour le marché français

Costco est l'un des plus gros distributeurs mondiaux en termes de chiffre d'affaire (97 milliards de dollars de CA et 1,7 milliard de bénéfices net en 2012) tout en ayant un parc de magasins relativement restreint : il ne compte en effet que 600 points de vente- entrepôts dans le monde dont 400 aux Etats-Unis. La surface de ses magasins est comprise entre 12 000m² et 15 000m² qui sont tous facilement accessibles en voiture, proche des axes routiers et très visibles. A titre de comparaison, en 2012 la France comptait 1880 hypermarchés qui couvrent en moyenne entre 6 000 et 10 000 m², et la tendance est à la baisse du fait du désir des clients à passer moins de temps en magasin

Le concept de commercialisation de Costco est représentatif du mode de consommation américain : la « grosse consommation ». Les clients, professionnels ou particuliers, payent un droit d'adhésion (compris entre 50 et 100 dollars par an) pour pouvoir bénéficier de prix très avantageux (la marge brute de Costco n'excède jamais 15% contre 23% à 30% pour les distributeurs français) sur un petit nombre de références vendues en gros. Un magasin-entrepôt de Costco compte en effet 4 000 références contre 25 000 à 40 000 en moyenne dans les hypermarchés français. Malgré cela Costco propose une très large gamme de produits : de l'alimentaire, au luxe et la joaillerie, en passant par l'équipement et la haute technologie.

Son positionnement :

Costco tient une position forte par rapport à ses concurrents, ses fournisseurs mais aussi ses clients :

  • Cash & Carry pour les plus aisés : Le concept de club Cash & Carry est très répandu aux Etats-Unis (Sam's et BJ's disposent de beaucoup plus de magasins que Costco), la spécificité de Costco a été d'attirer une clientèle plus riche avec son offre de produits de luxe à prix réduit mais également son implantation à proximité des grandes métropoles ou la population est plus aisée.
  • Un nombre de références limité : Ce choix lui permet à la fois d'augmenter son pouvoir de négociation en lui permettant tout simplement de ne pas commercialiser les produits des fournisseurs qui ne veulent pas baisser leur prix, mais aussi de réaliser des économies logistiques (aussi bien en termes d'approvisionnement qu'en termes de gestion des rayons)
  • Qualité et Quantité : Si l'organisation du magasin, à savoir la disposition de la marchandise sur de simples racks et le stock important en magasin font penser à un discounter, Costco en est très éloigné. Les références commercialisées à prix réduits dans les magasins Costco ne relèvent ni du discount ni du déstockage mais des grandes marques et des produits frais proposés aux tarifs les plus serrés possibles puisque Costco réalise ses bénéfices avec les adhésions des clients : 65 millions de clients, les adhésions lui rapportent plus de 2 milliards de dollars par an, soit davantage que son bénéfice net (1,7 milliard l'an dernier), ce qui signifie que son activité de commerçant se fait, elle, à perte. L'offre est concurrentielle dans toutes les catégories de produits dans l'ensemble du magasin. Ses employés sont également mieux rémunérés que chez ses concurrents américains, ce qui fait partie de son niveau de qualité.

Les modèles de grande distribution en France et leurs mutations :

Ce positionnement parait étonnant au vu de l'évolution de la grande distribution en France. Les hypers sont en perte de vitesse en France après 50 ans de croissance, le Hard Discount commence à perdre des parts de marché (13% en 2012 contre 14% en 2009), au profit des supermarchés et des surfaces de proximité.

Historiquement en France, la grande distribution s'est développée autour de 3 concepts dominants :

  • Les supermarchés de 400 à 2 500 m² selon la loi, se sont développés à proximité des lieux d'habitation. Ils proposent certes un assortiment moins large qu'un hyper et des prix plus élevés, ils conviennent aux petites courses fréquentes et au dépannage.
  • Les hypermarchés (à partir de 2 500 m² et pouvant aller jusqu'à 12 000m²) sont situés à la périphérie des grandes villes. Ils ont séduit en proposant de réunir de très nombreuses références pour toutes les catégories de produits au même endroit. Les effets de volumes permettaient également de négocier les meilleurs prix. L'essor des hypermarchés coïncide également avec la démocratisation de la voiture à partir des années 60. Le temps alors consacré aux courses était d'environ 2h par semaine.
  • Le Hard Discount enfin, s'est développé en France dans les années 80, avec pour concept des petites surfaces (500 à 1500 m²) proches des lieux d'habitation. La recherche d'organisation à bas coûts et des assortiments réduits essentiellement composés avec les marques propres ont permis de proposer des prix plus bas que ceux pratiqués en hypers.

Depuis le début des années 2000, l'évolution du comportement des consommateurs a amené la grande distribution à développer de nouveaux concepts et à adapter les anciens. Les clients sont plus méfiants, moins patients, moins fidèles, plus exigeants ... Aujourd'hui, le temps consacré aux courses est de l'ordre de 35 minutes par semaine. Cela se traduit par une fréquentation en baisse des hypers dont les consommateurs évitent d'arpenter les innombrables rayons. De plus, la voiture est un élément indispensable pour accéder à un hyper. Or le coût du carburant amène les automobilistes à rationaliser leurs déplacements et à effectuer leurs achats sur leur trajet domicile-travail.

Dans un contexte de crises successives, le rapport qualité / prix devient un critère clé. Or Internet est un outil extrêmement efficace pour déceler la bonne affaire. Si la grande distribution a pu s'en sortir sur l'alimentaire, le non alimentaire s'est fortement déporté vers les ventes e-commerce (textile, high-tech) et les surfaces spécialisées (électroménager, bricolage, centre-auto).

La grande distribution a donc proposé de nouveaux concepts pour répondre à ces nouveaux besoins. La LME a permis aux enseignes d'ouvrir des surfaces de moins de 1 000 m² (contre 400 m² auparavant) sans autorisation particulière. Elles ont donc pu proposer de nombreuses petites surfaces de proximité (<500m²) dans les milieux urbains, avec de larges plages d'ouvertures (pouvant s'étendre de 7h à 23h).

Pour répondre au besoin de réduction du temps consacré aux courses et à l'appétence des consommateurs pour internet, les distributeurs proposent le Drive, service (majoritairement gratuit) qui permet de commander ses produits sur internet à n'importe quelle heure du jour et de la nuit et de les retirer dans un point de retrait choisi au préalable. A contrario, le e-commerce alimentaire, avec la livraison à domicile, reste marginal à cause d'une offre réduite et de coûts logistiques importants. Les surfaces non-alimentaire de l'hyper laissent leur place à des bornes cross canal (i.e. des bornes permettant de commander sur internet), et aux grandes surfaces spécialisées - Mode, Sport, bricolage, Univers de la maison, etc.

Enfin, dans un contexte où la consommation des ménages a baissé en 2012 pour la première fois depuis 60 ans, les distributeurs se livrent une bataille sans-merci sur les prix depuis maintenant quelques mois. Avec Leclerc en ligne de mire, Carrefour à la mi-2012 et Casino en ce début d'année, déjà précédés par Auchan et Intermarché, tous souhaitent proposer une partie de leur gamme au meilleur prix (c'est-à-dire moins cher que Leclerc). Pour y parvenir, ils continuent à s'appuyer sur des promotions (environ 18% du CA) auxquelles les clients sont particulièrement réceptifs en temps de crise. Le dernier indice fait état d'une remontée à 20% du CA réalisé dans le cadre d'une promotion vs. 18,8% un an plus tôt. La commercialisation de MDD reste un outil efficace pour faire baisser les prix, et représente environ 30% des ventes.

L'entrée de Costco en France : obstacles et opportunités

Les potentiels obstacles à l'implantation et au succès de Costco en France :

  • La législation : Plusieurs lois vont représenter des freins à l'implantation de Costco et plus tard à son développement. Tout d'abord la loi Raffarin qui de par son obligation de demande d'autorisation administrative pour l'implantation de nouvelles surfaces commerciales fait passer la durée d'ouverture d'un magasin à 24-30 mois.
    La législation particulière pour la commercialisation de produits de luxe (grand attrait des magasins Costco aux Etats-Unis), puisqu'en France, les marques ont développé des contrats de distribution sélective stricts. Il semble peu probable que Costco puisse vendre des produits des grandes marques de luxe françaises.
    Enfin le distributeur vend parfois à perte aux Etats-Unis ce qui est interdit en France à quelques exceptions près.
  • Un modèle de consommation américain difficilement adaptable à la France : La consommation telle que celle proposée par Costco (achat en gros) correspond parfaitement au mode de vie américain et plus spécifiquement à celui des suburbs américains dans lesquels la population vit dans des maisons spacieuses et cherche à acheter en gros pour dépenser moins et stocker longtemps dans les garde-manger ou les réfrigérateurs américains. Il est évident que les centres villes ne sont pas la cible de ces magasins-entrepôts mais même en périphérie ou en campagne, les habitudes de consommation françaises sont différentes : typiquement les réfrigérateurs français classiques ne sont pas conçus pour contenir des bidons de plusieurs litres de ketchup. Plus en amont, pour que Costco puisse proposer de telles références, il faut que les fournisseurs jouent le jeu de cette « grosse consommation » en adaptant leur packaging.
  • Des économies logistiques difficilement reproductibles : Costco peut se permettre de pratiquer une marge réduite à 15% aux Etats Unis notamment grâce à des économies logistiques dues aux volumes de ses points de vente et au nombre de références limité. En France s'il sera tout à fait en mesure de réaliser l'économie liée au nombre de références, il est peu probable qu'il puisse réaliser des économies logistiques comparables à celles qu'il fait aux Etats-Unis : le volume réalisé par ses points de vente sera certainement moins important en France.