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GNL : quelles perspectives pour les usages hors carburant ?

Après avoir été la norme à l’aube du développement du Gaz Naturel liquéfié (GNL) dans les années 1960, les projets de GNL à petite échelle ou Small Scale LNG ont progressivement cédé du terrain ces 2 dernières décennies à des projets GNL de plus en plus imposants permettant des économies d'échelle.

Néanmoins, depuis quelques années, la tendance semble s’inverser. Le Small Scale LNG (SSLNG) revient sur le devant de la scène énergétique mondiale permettant d’adresser de nouveaux enjeux économiques, environnementaux et de sécurité d’approvisionnement auxquels le GNL conventionnel (voir note de fin de texte) peine à répondre.

En effet, au-delà des facteurs économiques poussant les acteurs du GNL à se réorienter vers des projets de plus petite taille afin de réduire les risques liés à la volatilité des prix et s’adapter à la nature de plus en plus fragmentée de la demande, d’autres paramètres environnementaux et géopolitiques contribuent également à l’appétence croissante du marché pour le SSLNG.

Un retour de l’utilisation du GNL à petite échelle sur la scène énergétique mondiale porté par des besoins variés

Depuis la mise en service de la première usine de liquéfaction de gaz au monde en 1964 à Arzew en Algérie et l’exportation de sa première cargaison de 27 000 m3 de GNL le 27 septembre 1964 à destination du terminal de regazéification de Convey Island en Grande-Bretagne, le marché du GNL a connu d’importants développements. Le gaz naturel liquéfié est aujourd’hui une commodité mondiale avec une capacité de liquéfaction installée de plus de 300 Mtpa en 2016 et cela fut accompagné notamment d’importantes économies d’échelle réalisées avec des projets de plus en plus imposants et des technologies devenues plus matures au fil des décennies. La taille conventionnelle des trains de liquéfaction de GNL est dès lors passée de moins de 0.5 Mtpa dans les années 60 à des méga-trains pouvant atteindre 8 Mtpa aujourd’hui.

Néanmoins, depuis quelques années, la demande en GNL a connu d’importants changements et de nombreux méga-projets se sont vus annulés ou reportés, notamment au Canada et aux Etats Unis, représentant une capacité de liquéfaction d’environ 128 Mtpa entre 2015 et 2017. En parallèle, plusieurs installations de liquéfaction de gaz naturel à plus petite échelle ont vu le jour, atteignant une capacité installée de production de GNL d’environ 20 Mtpa dans le monde en 2015 selon un rapport de l’IGU[i]. Cette croissance est due en majeure partie à une transformation du marché du GNL accompagnée de l’apparition de nouveaux besoins et usages.

Pour accompagner cette nouvelle tendance, les projets SSLNG connaissent de fortes transformations structurelles avec une chaîne de valeur qui ne représente plus une simple réplique à petite échelle des modèles conventionnels mais une organisation reflétant un marché à part entière avec ses propres règles, technologies et modèles économiques associés.

En effet, les technologies SSLNG de liquéfaction, de transport du GNL ou encore de sa regazéification connaissent des progrès significatifs permettant de réduire le gap de coût lié à l’absence d’économie d’échelle. Par ailleurs, de nombreuses méthodes de conception et de gestion de projet (conception modulaire, réplication, standardisation, …) ainsi que des modes opérationnels optimisés par des approches inspirées du lean management[ii] permettent aux acteurs de réduire les coûts et d’augmenter la rentabilité de leurs projets SSLNG.

L’utilisation du SSLNG est, quant à elle, principalement portée par l’usage du GNL en tant que carburant marin (principalement en Europe du Nord) et routier (majoritairement en Chine où se concentre 90% de la flotte mondiale de véhicules GNL). En effet, le durcissement des réglementations suite à une hausse des ambitions environnementales au niveau international crée des besoins croissants en sources d’énergie avec des exigences auxquelles le GNL permet majoritairement de répondre.

Concernant les usages hors carburant, le GNL à petite échelle permet de répondre à des besoins variés  :

  • Le GNL peut être transporté par camion puis être regazéifié localement et distribué via des micro-réseaux aux consommateurs. Plusieurs exemples de cet usage sont présents en Pologne, en Suède ou encore en Espagne où l’on peut même trouver des dessertes publiques de GNL porté alimentant plusieurs consommateurs industriels et résidentiels.  
  • Le SSLNG est également largement utilisé pour alimenter les zones sans accès à l’électricité, dont la population présente aujourd’hui près de 20% de la population mondiale. Des projets de conversion de GNL en électricité (LNG-to-power) sont développés dans de nombreux pays aussi bien en Asie (Indonésie, Philippines, Birmanie) ainsi que sur le pourtour méditerranéen (Gibraltar en 2016 , Malte, Sardaigne, etc.) ou encore en Amérique latine. Dans la majorité des cas, le GNL est acheminé vers des terminaux offshore couplés à des centrales de production d’électricité.
  • Certains pays tels que la Turquie[iii], l’Inde ou le Japon considèrent, quant à eux, le GNL comme un moyen de diminuer leur dépendance énergétique vis-à-vis des pays producteurs en sécurisant leur approvisionnement. Les installations de regazéification à petite échelle permettent de s’adapter aux besoins de ces pays et de disposer de solutions plus flexibles et moins coûteuses que la construction de terminaux de taille conventionnelle.
  • Enfin, la construction de centrales de liquéfaction à petite échelle est portée dans certains cas par l’existence de ressources de gaz naturel isolées et en petites quantités dans des zones non raccordées aux réseaux gaziers (stranded gas[iv]). On en trouve quelques exemples notamment au Canada, aux Etats Unis et en Amérique Latine. Le gaz y est liquéfié puis transporté par camion ou par micro-méthanier.

Plusieurs facteurs économiques, environnementaux et géopolitiques favorisent le développement du SSLNG

Durant les deux dernières décennies, le GNL conventionnel a permis de répondre à une demande qui n’a fait qu’augmenter. Des mégas projets de GNL ont vu le jour avec une cadence de 34 bcm par an entre 2011 et 2014 de FID[v]. Néanmoins, cette tendance a ralenti depuis 2015 avec seulement 24 bcm de FID, laissant plus d’espace au développement de projets de petite taille. Cela a été accentué par la chute des prix de pétrole qui a empêché les acteurs du GNL d’absorber les problèmes de rentabilité durant plus de 3 ans. Le marché du GNL a connu de fait une surabondance de l’offre et a dû faire face à des risques de volatilité de prix sans précédent. Ce contexte économique a poussé les acteurs principaux tels que Shell, BP ou encore Total à revoir leurs orientations stratégiques sur le marché du GNL. Le SSLNG semble offrir aux investisseurs et aux consommateurs des solutions d’approvisionnement flexibles représentant des CAPEX raisonnables et des ROIs intéressants. En outre, la plupart des solutions SSLNG étant modulaires et évolutives, leur taille peut être augmentée en cas de besoins croissants, ce qui représente une souplesse d’investissement très intéressante au vu des conditions de marché actuelles.

En parallèle, malgré une relative instabilité, le spread GNL-Pétrole reste encore particulièrement avantageux pour le GNL dans de nombreux pays, notamment au Canada et aux Etats-Unis grâce à l’exploitation des gaz de schiste. Le SSLNG y est utilisé principalement pour l’écrêtement de pointes grâce à une densité de stockage 600 fois supérieure au gaz naturel, ce qui permet de stocker du gaz et de le revendre quand les prix sont plus favorables.

D’un point de vue environnemental, le GNL utilisé comme carburant présente un avantage considérable sur les produits pétroliers en termes d’émissions de CO2 mais également NOx, SOx et autres polluants locaux : en moyenne le GNL permet de réduire de 25% les émissions de CO2, d’autour de 80% les émissions de Nox et n’émet pratiquement pas de particules fines.

Au regard de ces considérations, et les considérations géopolitiques décrites précédemment, le SSLNG attire aussi bien des grands acteurs intégrés sur la quasi-totalité de la chaîne de valeur gazière en quête de diversification et de sécurisation de leurs parts de marchés (Shell, ENI, ENGIE, Gazprom, Gasum…) que des nouveaux acteurs de plus petite taille, davantage spécialisés sur un maillon de la chaine de valeur comme l’argentin Galileo ou Stirling Cryogenics spécialistes des technologies GNL à petite échelle.

De nombreuses opportunités s’offrent aux acteurs du SSLNG malgré les défis subsistants

La Chine représente le marché le plus important de SSLNG, un marché principalement porté par la consommation de GNL en tant que carburant routier soutenue par la politique de décarbonisation du gouvernement chinois et le spread intéressant vis-à-vis du pétrole. Néanmoins, de nombreux projets SSLNG dans le monde sont en train de voir le jour, ce qui fait du SSLNG un marché segmenté mais aux opportunités de développement très variées.

Le bioGNL constitue également un levier important au développement du SSLNG. De nombreux projets existent déjà notamment en Europe comme la station de liquéfaction de Lidköping en Suède ou l’usine de liquéfaction Méthabraye à Savigny-sur-Braye en France. Un acteur français qui se distingue sur ce marché est Cryopur qui propose une solution de liquéfaction innovante permettant de combiner l’épuration et la liquéfaction du biogaz. Cryopur est déjà présent sur de nombreux projets en France et en Europe.

Quelques défis subsistent néanmoins et peuvent entraver le développement du SSLNG. Il s’agit essentiellement de problématiques liées à la maturité de la technologie, à la sécurité de la demande et au développement de la chaine d’approvisionnement.

Le coût d’investissement relativement élevé des équipements présente encore, malgré d’importants progrès, un frein au développement des projets SSLNG à cause de l’absence d’économie d’échelle et du coût des technologies n’ayant pas encore atteint un stade de maturité optimal. Les modes de conception standardisés et de chaînes d’approvisionnements modulaires permettent en partie d’adresser ce problème en réduisant les coûts de fabrication ce qui augmente considérablement la compétitivité des solutions à petite échelle.

Par ailleurs, de nouveaux modes de fonctionnement ainsi que de nouvelles normes de sécurité devront être développés. En effet, si ces règles sont reconnues et appliquées au niveau international pour les projets GNL conventionnels, la multiplication des acteurs et les spécificités liées aux projets à petite échelle nécessitent des formations adaptées et la standardisation des règles de sécurité liées aux projets de SSLNG.

Enfin, la demande en SSLNG reste corrélée au marché (spread pétrole-gaz), au contextes réglementaires et/ou géopolitiques des principaux pays importateurs. L'étendue de ces facteurs rend la demande en SSLNG fragmentée et relativement instable.

En France, le marché du SSLNG est encore jeune avec d'importantes opportunités de développement

A ce stade, le marché français du SSLNG, hors carburant, est notamment appuyé par le GNL porté à destination de consommateurs industriels qui a commencé à émerger en 2013 via de nombreux projets sur lesquels sont positionnés des acteurs comme ENGIE (LNGénération), Gas Natural Fenosa, Axégaz ou encore Cryolor.

Les terminaux GNL de Montoir-de-Bretagne et de Fos Tonkin sont équipés d’infrastructures de chargements de camions permettant au marché du GNL porté de se développer, même si ce marché est aujourd’hui restreint au Business-to-Business (B2B). Par ailleurs, la CRE encourage le chargement de micro-méthaniers notamment via une délibération [vi] datant de juin 2017.

Le maillage actuel du réseau gazier en France présente plus de 30 000 communes françaises non raccordées au réseau. Ce qui constituerait un marché non négligeable pour le GNL porté à condition de pouvoir lever les verrous juridiques interdisant les communes françaises de créer des dessertes publiques GNL porté contrairement à leurs voisines européennes.

La production d’électricité en zones insulaires constitue également une forte opportunité de développement du marché SSLNG français. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, le gouvernement a adopté en Janvier 2018 un avant-projet de loi lié au financement de la centrale de production d’électricité au GNL de Doniambo[vii]. Ce projet vise le remplacement d’une centrale au fioul à horizon 2023 et devrait satisfaire intégralement les besoins de l’usine métallurgique SLN (160 MW) et compléter la fourniture en énergie de la distribution publique (40 à 60 MW).

Le marché français du SSLNG est donc encore au stade embryonnaire mais d’importantes opportunités de développement se présentent afin de répondre à des besoins qui restent aujourd’hui peu ou mal adressés. Néanmoins, cela reste conditionné par les orientations des pouvoirs publics qui représentent aujourd’hui un frein non négligeable pour certaines branches comme le GNL porté.


Notes et Sources :

Le SSLNG désigne, selon l’International Gas Union (IGU), les installations de GNL de moins de 1 Mtpa pour la liquéfaction / regazéification, et une capacité de stockage de moins de 30 000 m3 pour les méthaniers.

On désignera par « GNL conventionnel » toutes les installations GNL (onshore et offshore) de moyenne à grande échelle.

[i] http://www.igu.org/sites/default/files/node-page-field_file/SmallScaleLN...

[ii] Le lean management est une méthode originaire du Japon tendant à réduire les pratiques non rentables et donc augmenter la performance opérationnelle. Elle a pour particularité de développer une approche bottom-up, les améliorations venant par itération et sur l'avis des équipes.

[iii] https://www.oxfordenergy.org/wpcms/wp-content/uploads/2018/01/Gas-Supply...

[iv] Désigne les ressources de gaz naturel inexploitables avant 2050 qui représentaient plus de 50% des ressources prouvées en 2016.

[v] Final Investment Decision

[vi] http://www.cre.fr/documents/deliberations/decision/micro-methaniers-fos-cavaou/consulter-la-deliberation

[vii] https://gouv.nc/actualites/25-01-2018/la-centrale-au-gaz-sur-les-rails