La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le développement d'Internet a favorisé l'émergence de comportements concurrentiels au sein du secteur hôtelier, comme la comparaison rapide et facile des tarifs de nombreux hôtels par les clients, des réservations simplifiées grâce aux agences de voyage en ligne telles que Booking et Hotels.com.
Le développement d'Internet a favorisé l'émergence de comportements concurrentiels au sein du secteur hôtelier, comme la comparaison rapide et facile des tarifs de nombreux hôtels par les clients, des réservations simplifiées grâce aux agences de voyage en ligne telles que Booking et Hotels.com, ainsi que le partage d'avis clients via des sites comme TripAdvisor. Ces nouvelles pratiques augmentent la rivalité entre les acteurs de l'hôtellerie que sont les grands groupes hôteliers, les agences de voyage en ligne (ou OTA pour Online Travel Agency) et les indépendants. Ainsi, selon l'étude The 2014 Traveler's Road to Decision menée par Google, 78% des voyageurs déclarent utiliser internet pour préparer leur séjour, dont plus de la moitié passent par le site d'une OTA.
L'image de marque, l'expérience voyageur et les données de la clientèle sont autant d'enjeux à maîtriser pour ces acteurs. Dans ce sens, le contact direct avec les voyageurs, notamment via les plateformes web et mobile, prend toute son importance pour mener une politique CRM efficace. Plus particulièrement, la fidélisation de la clientèle à une marque, un site ou une application, vise à assurer une fréquence de visite plus élevée et une meilleure connaissance des clients : c'est un terrain sur lequel les grands groupes hôteliers et les OTA se livrent une bataille ouverte.
Si le secteur de l'hôtellerie est historiquement pionnier dans le développement de programmes de fidélité, après le transport aérien, on observe un développement de ces programmes au sein des OTA, qui proposent à leur tour des avantages à leurs clients les plus fidèles.
Les OTA sont des distributeurs : elles permettent aux hôteliers de vendre leurs chambres à travers leur plateforme, moyennant une commission comprise entre 15 et 25% du prix de la nuitée. Les principales OTA présentes au niveau mondial sont Booking.com (Priceline) et Hotel.com (Expedia).
Leur point fort est de proposer une offre d'hébergements extrêmement vaste, en termes de localisation, de prix et de gammes de confort, sans distinction de marque.
En plus d'être une vitrine internet, le fait d'être référencé sur une OTA permet à l'hôtelier de toucher une clientèle plus vaste et d'accéder à des marchés mondiaux sans avoir à supporter des coûts de portages. Hotel.com et Booking sont par exemple traduits dans une quarantaine de langues, et sont présents dans plus de 200 pays.
C'est plus particulièrement primordial pour les indépendants qui ne possèdent pas les moyens logistiques et financiers pour développer une stratégie marketing d'envergure : les hôtels présents sur Booking.com sont immédiatement visibles sur les moteurs de recherche grâce aux achats massifs de mots clé réalisés par la marque. Ainsi en 2012, Priceline a dépensé 1,8 milliard de dollars en publicité en ligne, dont 90% pour Google (1).
Les OTA tirent leurs revenus du trafic et des réservations sur leur plateforme web. Pour garantir leur succès, elles invoquent des prix attractifs, dont elles s'assurent via une clause de parité tarifaire qui engage les hôteliers à leur proposer des tarifs au moins aussi avantageux que ceux présentés aux clients lors d'une réservation directe (via le site de l'hôtel ou par téléphone), mais aussi indirecte, via d'autres plateformes de réservation en ligne par exemple.
Afin d'augmenter le taux de retour client, les OTA tirent profit de leur base de données clients via des campagnes de e-marketing massives. Dans la même optique, Booking.com et Hotels.com ont aussi plus récemment développé leurs propres programmes de fidélité, respectivement Booking Genius et Welcome Rewards.
Les hôtels en revanche tirent leurs revenus de la fréquentation physique de leurs établissements. Que ce soit les acteurs majeurs (Accor, IHG, Best Western) ou les hôteliers indépendants, leur prospérité économique est mesurée par leur taux de remplissage et leur marge : elle dépend donc directement du nombre de voyageurs utilisant leurs infrastructures et services.
Les agences en ligne représentent pour eux des enjeux paradoxaux : elles génèrent un trafic important en augmentant la clientèle potentielle, mais c'est en contrepartie d'une commission au montant jugé élevé par les hôteliers. L'Umih, union des métiers et des industries de l'hôtellerie, estime ainsi que les commissions versées aux agences représentent 7% de son chiffre d'affaire annuel (2).
Pour les groupes hôteliers qui investissent fortement dans des plateformes web attractives, les réservations via les OTA peuvent représenter un intérêt moindre, surtout auprès des clients qui réservent régulièrement dans leurs établissements. Ils ont donc tout intérêt à fidéliser ces clients, non plus seulement à leur marque, mais aussi à leur propre plateforme de réservation.
De plus, la contrainte tarifaire imposée par les OTA ne concerne pas les tarifs préférentiels et les offres proposées dans le cadre d'un programme de fidélisation. Selon le site Booking.com : "La parité tarifaire n'empêche pas les hôtels d'entretenir une relation privilégiée avec leurs clients directs, en leur réservant des prix plus attractifs dans le cadre de programmes de fidélité". C'est donc un moyen pour les hôteliers de proposer des tarifs plus avantageux que ceux des OTA à son réseau de clients membres, et ainsi de conserver pleinement les bénéfices de cette réduction.
Les hôteliers et les OTA ont donc des objectifs différents :
Tout comme ceux des groupes hôteliers, les programmes de fidélisation des OTA se basent sur une structure classique :
Ce sont ensuite les récompenses et les avantages offerts qui diffèrent en fonction des produits et des services qu'hôtels et OTA peuvent offrir, selon la couverture de leur offre et la sophistication de leur programme.
Le tableau ci-dessous résume les caractéristiques de plusieurs programmes adressés au marché français, et met en exergue les principales différences qu'il peut y avoir entre hôtel et OTA, avec cependant une base commune que l'on retrouve chez la plupart des acteurs.
La connaissance client est l'un des axes principaux de différenciation entre hôteliers et agences en ligne, car elle permet de créer et proposer des offres plus pertinentes en fonction du profil des voyageurs. Cependant, de par leur structure respective, les données accessibles aux OTA et aux hôteliers sont différentes.
Si les grands groupes hôteliers ne peuvent pas utiliser les données des clients ayant réservé par le biais d'une OTA, ils ont l'avantage de pouvoir récolter des informations sur toute la chaîne de valeur, et notamment sur les habitudes de consommation du client pendant leurs séjours. Théoriquement, ils pourraient ainsi corréler les habitudes clients en fonction du comportement de réservation, et d'un séjour à l'autre.
Les hôteliers ont en revanche moins de volume de données sur le comportement des clients pendant leur choix. Il est aussi difficile pour eux d'évaluer si le client a comparé l'offre avec d'autres chaînes, ou à quel point il est attaché à d'autres marques que les leurs.
Ils ont aussi accès aux commentaires des clients sur les sites comme TripAdvisor, et les intègrent d'ailleurs parfois dans leur politique de community management pour assurer un SAV plus pertinent.
Pour les OTA, la principale source d'information provient du parcours client sur le site ou l'application, c'est-à-dire du choix de l'hôtel jusqu'à la réservation.
La diversité des offres hôtelières dont disposent les OTA, couplée aux fonctionnalités de recherche et de tri, simplifient la recherche du client en limitant le nombre de pages qu'il consulte, puisqu'il peut effectuer la totalité de son parcours de réservation sur le site de l'OTA, ce qui garantit aux OTA des données plus complètes que les hôteliers sur les étapes en amont de la réservation.
En examinant ce parcours de réservation, les agences peuvent analyser les critères de choix du client, son attachement à certaines marques, le nombre d'hôtels comparés, etc. Elles peuvent aussi, de manière plus large, analyser les déplacements de leurs clients réguliers, et leur fréquence de voyage de manière plus exhaustive.
Sur l'après-vente, elles ont accès à un nombre important de commentaires clients directement sur leur site, et peuvent comme les hôteliers compiler les avis des sites comme TripAdvisor.
Même si certains services annexes (petit-déjeuner, parking, ...) peuvent parfois être réservés via les sites des OTA et venir enrichir leur connaissance client, elles n'atteignent toutefois pas la visibilité des hôteliers sur les habitudes de consommation du client pendant le séjour. En effet, les canaux de distribution des OTA ne permettent pour le moment pas de proposer une offre de services complémentaires aussi riche que celle des hôtels, et elles n'ont pas accès aux add-ons que le client aura réservé en direct pendant son séjour.
Ne disposant pas du produit en propre, l'avenir des OTA se situe donc dans le développement d'une offre de services plus poussée, aussi bien pour les voyageurs que pour les hôteliers.
L'acquisition récente de plusieurs start-up par le groupe Priceline (Booking.com) confirme cette tendance.
Ces acquisitions permettent aux OTA de proposer plus de services :
Les chaînes hôtelières ne sont cependant pas en reste en terme de stratégie digitale, comme le confirme le récent plan d'Accor "Leading Digital Hospitality" et ses récentes acquisitions : Wipolo pour améliorer l'expérience client ou encore Fastbooking pour proposer des services digitaux aux hôteliers.
Les informations collectées par les OTA et les hôteliers sont complémentaires. Leur réconciliation permettrait de construire une vision globale des caractéristiques et des attentes des clients (critère de choix d'un hôtel, sensibilité aux prix, services consommés ...).
Le fait de permettre aux clients de renseigner leur code adhérent à une ou plusieurs chaines d'hôtels permettrait de fluidifier leur parcours : les hôtels « favoris » pourraient apparaître en haut de liste, et en contrepartie, les hôteliers pourraient également fournir des informations détaillées sur les services attendus par les clients durant leur séjour, pour que les OTA proposent des offres personnalisées et services additionnels pendant le processus de réservation.
A première vue, cela va à l'encontre des stratégies actuelles des hôtels, qui cherchent plutôt à renforcer leur distribution via leurs canaux directs. Il est par exemple explicitement précisé dans les CGU du Club ACCOR qu'il est impossible de gagner des points en passant par une OTA : les clients ne peuvent pas renseigner leur n° adhérent lors d'une réservation, et ne peuvent pas non plus réclamer les points lors du règlement de leur séjour à l'hôtel.
Ce genre de système existe déjà pour les agences business travel, mais n'est pas encore développé sur les plateformes de tourismes classiques. Il existe aussi des similarités dans le secteur ferroviaire avec Voyage SNCF.com et Capitaine Train, deux distributeurs de l'offre SNCF, qui permettent chacun au client de saisir son numéro adhérent du programme de fidélité Voyageur de la SNCF pour cumuler des points. Il faut noter que cette pratique n'est possible que parce que ces deux acteurs ont le statut d'agence de voyage et sont commissionnés de manière identique par la SNCF.
Pour les hôteliers indépendants, qui voient la quasi-entièreté de leurs réservations se faire via les OTA, ce serait une opportunité de se différencier de la concurrence sur un terrain autre que tarifaire, en proposant des services additionnels différenciants.
Un accord entre grands groupes hôteliers et OTA sur ces sujets semble complexe à mettre en place si les commissions des agences n'évoluent pas. Une fuite de la clientèle vers les canaux de distribution indirects n'est en effet pas envisageable pour les grands noms de l'hôtellerie...Un compromis est encore loin d'être trouvé et le bras de fer entre les grands groupes hôteliers et les agences de voyage autour de la fidélisation client perdure ...
Une proposition de loi visant à encadrer les méthodes pratiquées par les agences de réservation en ligne a été déposée en mai 2014 auprès de l'autorité de la concurrence. Actuellement à l'étude, elle dénonce les clauses de parités des OTA qui pourraient constituer des pratiques anti-concurrentielles, en empêchant les hôteliers de négocier les commissions pratiquées. Elle propose de limiter ces clauses, pour que les hôteliers puissent proposer des prix plus bas à certains canaux de vente. Plus récemment, un amendement de la loi Macron prévoyait de garantir aux hôtels la liberté de proposer des tarifs inférieurs sans être limités par les clauses des OTA.
Même si aucune de ces propositions n'a pour le moment abouti, Booking a cependant mis en place une clause de parité restreinte, autorisant les hôtels à proposer des tarifs plus bas à d'autres OTA.
On peut cependant se demander si à terme, la dérégulation de prix entre acteurs sera réellement bénéfique aux hôteliers. En effet, cette nouvelle clause permet tout de même aux OTA de garder la main mise sur "le prix le plus bas". En plus de cela, elle ouvre la porte à de nouvelles pratiques pour les OTA : elles pourraient par exemple faire varier les prix, indépendamment des tarifs pratiqués par les hôtels et de manière plus dynamique, afin de maximiser leur revenu en fonction de la demande.
Si la relation entre hôteliers et OTA est un des grands enjeux du tourisme aujourd'hui, l'arrivée de grands noms de l'internet sur ce secteur va probablement bouleverser les structures actuelles. Amazon vient de lancer Amazon Local, sa plateforme de réservation d'hôtels pour l'instant disponible uniquement sur le marché US, tandis que Google développe des outils de recherche comme Flight Search et Hotel Finder, qui marquent les ambitions du géant dans le secteur du tourisme.
Dans les années à venir, il y a donc fort à parier que les OTA, tout comme les hôteliers, vont devoir s'adapter de manière radicale à l'arrivée de ces nouveaux super-acteurs.
(1) Bloomberg.com
(2) Challenges.fr