La reconversion, parent pauvre des politiques d…
La crise financière de 2008 a été suivie par une salve de nouvelles exigences réglementaires censées pallier les manquements et la complexité de la régulation existante. Le but affiché est de réduire significativement la probabilité d’occurrence et le coût d’une future crise financière.
Comme d’autres, le domaine comptable a été touché par ces changements réglementaires. En effet, différentes normes comptables ont été accusées d’avoir contribué à la crise financière, parmi lesquelles la norme IAS 39 – « Instruments financiers : comptabilisation et évaluation ». En réponse à ces critiques, l’IASB (International Accounting Standard Board) a lancé un projet de refonte de cette norme.
Les objectifs affichés de la nouvelles norme, IFRS 9 sont la simplification, l’établissement de règles clairement définies et d’un standard unique et universel, une meilleure prise en compte de la réalité des activités des entreprises, et la reconnaissance opportune et adéquate des pertes basées sur un modèle d’évaluation prospective. Se pose alors la question, dans quelle mesure cette nouvelle norme répond aux objectifs affichés ?
La crise financière a mis en avant les faiblesses de plusieurs normes comptables. Plus précisément, IAS 39 a été remise en cause en raison d’un cadre trop complexe menant à une application incohérente, d’une mise en œuvre problématique de la comptabilité à la juste valeur et de la classification des instruments financiers, de la trop grande latitude laissée aux entreprises, des provisions requises trop faibles et d’une reconnaissance tardive des pertes, et de sa mauvaise adéquation avec la réalité des activités de l’entreprise. Ces défaillances ayant contribué au marasme économique et financier de 2008, il était nécessaire de revoir cette norme critiquée par la majorité des acteurs.
Après de nombreux échanges avec la profession, notamment par le biais de Consultation Papers, l’IASB a publié en juillet 2014 la version finale de la norme IFRS 9. Son application doit être effective pour tout exercice dont la date de début est le 1er janvier 2018 ou postérieure.
IFRS 9 revendique une approche fondée sur des principes et non sur des règles, offrant ainsi une plus grande flexibilité aux entreprises pour autant qu’elles respectent les objectifs fixés.
Les actifs financiers sont classés en trois catégories, selon deux critères : le modèle de gestion sur lequel se base l’entité pour gérer ses actifs financiers, déterminé en fonction du volume et de la fréquence de ventes d’actifs ; et les caractéristiques des flux de trésorerie contractuels des actifs financiers (caractéristiques SPPI). Les actifs aux flux SPPI sont évalués soit selon la méthode du coût amorti (ventes exceptionnelles, d’une valeur limitée), soit selon la méthode de la juste valeur par le biais du compte de résultat étendu (fréquence et volume de ventes plus significatifs). Les autres actifs sont évalués à leur juste valeur par le biais du compte de résultat.
Le délai avant constatation d’une perte sur créances s’étant avéré trop long sous IAS 39, une entité doit désormais évaluer et reconnaitre en tout temps les pertes anticipées, et publier le montant que représentent ces pertes à chaque date de clôture afin de présenter l’évolution du risque de crédit des instruments financiers détenus. L’évaluation de ces pertes doit donc intégrer des informations prévisionnelles.
Les actifs sont classés sous trois catégories : Performing, Underperfoming, Non-perfoming, dont dépend la méthode selon laquelle ils seront évalués.
IFRS 9 doit permettre une gestion des risques plus efficace notamment en intégrant la couverture de risques autres que financiers. Cela se traduit par une éligibilité accrue des instruments couverts et de couverture – une relation économique doit exister entre les deux et les composantes du risque doivent être identifiables et quantifiables. Par ailleurs, les critères et la fréquence d’évaluation de l’efficacité de la couverture ont été revus et le rééquilibrage de la couverture est requis dès lors qu’elle est jugée « trop inefficace ».
En outre, ces exigences devraient également contribuer à la baisse de la volatilité du compte de résultat.
Des doutes subsistent quant à l’efficacité d’IFRS 9. La mise en œuvre peut s’avérer complexe en raison d’une trop grande place laissée au jugement des entreprises, des critères de définition des SPPI liés à un benchmark (prêt classique) trop simplifié, des données de calcul de l’ECL non disponibles. De plus, le cadre est moins flexible dans certains domaines en raison de l’interdiction d’interruption de couverture et l’impossibilité de reclasser régulièrement les actifs financiers. Par ailleurs, standardisation et universalité sont remises en cause par une trop grande latitude laissée aux entreprises pouvant mener à des interprétations et applications de la norme différentes, et par l’alignement des US GAAP avec IFRS 9 qui n’est pas effectif (la Chine, l’Inde et le Japon ne devraient a priori pas adopter IFRS9).
Donc, même si des efforts ont été faits et que des avancées peuvent être constatées, on peut se demander si les objectifs affichés de la norme IFRS 9 sont atteints : sa mise en application demeure dans certains cas complexe, la standardisation n’est que partielle et l’universalité est remise en cause par des économies majeures qui ne semblent pas prêtes à l’adopter. Devons-nous déjà nous attendre aux prochains amendements de la norme ?
Au même titre que les autres secteurs de l’économie, le secteur bancaire devra se conformer à la norme IFRS 9. Même si bon nombre d’implications ne devrait pas fondamentalement changer d’une industrie à l’autre, des spécificités -bancaires – existent ; et certaines pourraient se traduire par l’apparition d’effets pervers. Par exemple, la reconnaissance précoce des pertes peut inciter les banques à réduire les crédits octroyés, notamment aux clientèles les plus susceptibles de faire défaut, i.e. les plus fragiles. En outre, la reclassification, le changement de méthode d’évaluation ou la prise en compte d’une plus grande dépréciation pour perte de certains actifs financiers risquent d’avoir un impact sur les ratios réglementaires (risque de réduction des fonds propres, réévaluation des portefeuilles « coussin de liquidité » à la juste valeur par le biais du compte de résultat étendu…).
Donc IFRS 9 limite certes certaines déviances des banques, souvent pointées du doigt comme responsables de la crise, mais semble porter en elle les germes de potentiels effets pervers.