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Interview de Benoît Legrand, Head of FinTech du Groupe ING

Nous avons rencontré Benoît Legrand, Head of FinTech du Groupe ING, qui nous présente sa vision sur l’émergence des FinTech dans les métiers de la banque et nous expose son point de vue sur la réinvention du modèle bancaire.

Auparavant CEO d’ING Direct France et d’ING Bank France ensuite, Benoît Legrand a également exercé des responsabilités à l’international dans la Banque de détail, la Banque Privée et la Banque d’investissement. 

Vous avez été nommé responsable  FinTech du Groupe ING au 1er octobre, un poste dont nous ne connaissons pas d’équivalent dans le secteur bancaire, pouvez-vous nous expliquer en quoi il consiste ? Comment vous envisagez cette activité ?

Pour comprendre le contexte de cette nomination, il faut se rappeler que l’innovation a toujours fait partie de l’ADN d’ING. La technologie et la rupture font partie intégrante des gènes de notre groupe. A cet égard, ING Direct a tout d’une FinTech, née il y a 20 ans avant que ce concept ne prenne forme.

A l’aube de la révolution qu’amènent les  FinTech et dans un environnement où l’on ne va jamais assez vite, cette volonté de transformer les choses et de créer la rupture est venue s’inscrire de manière plus concrète dans la stratégie du groupe ING. C’est là où mon rôle intervient puisqu’il a vocation à mettre davantage l’accent sur les sujets de transformation et de rupture.

Concrètement, ma fonction a une double casquette :

  • Prospecter le marché extérieur pour définir les secteurs d’activité et les créneaux dans lesquels nous pourrions exploiter des technologies nous permettant de mieux répondre aux besoins du client. Avec plus de 8 000 FinTech aux US par exemple et 50 000 dans le monde, nous devons continuellement faire des choix stratégiques en amont et procéder à une sélection pointue. Grâce à cette veille et analyse du marché, nous pouvons définir avec un esprit très pragmatique, les schémas de partenariats du Groupe.
  • Optimiser notre mode de fonctionnement au sein du groupe pour profiter au mieux des opportunités offertes par les FinTechs. Il s’agit de s’assurer que les nombreuses initiatives déjà en cours au sein du groupe soient exploitées au mieux dans différents pays quand cela a du sens,  et surtout largement partagées entre les collaborateurs du groupe.

Je prête une attention particulière à l’aspect culturel et humain de la révolution numérique car je suis convaincu qu’il s’agit de l’enjeu central de cette révolution ; il ne suffit pas de recruter un Chief Digital Officer pour se digitaliser, il faut surtout « le greffer » dans les hémisphères gauche et droit du directeur général de la banque, et ensuite des collaborateurs, pour imprégner efficacement la stratégie d’entreprise. Notre chance chez ING c’est d’avoir un CEO de 49 ans qui est « digital native » !

Quels enseignements tirez-vous de l'ensemble de votre parcours dans vos nouvelles fonctions ?

J’ai eu la chance d’avoir un parcours qui couvre une large panoplie des métiers de la banque en alliant plusieurs fonctions et ce dans cinq pays différents. Cette richesse m’a indéniablement permis de développer une forte curiosité à l’égard de ce qui se passe ailleurs ainsi qu’un goût prononcé pour la transformation. D’ailleurs, la transformation a été au cœur de mon métier durant toutes ces années.

Cette diversité des métiers de la banque dans lesquels j’ai pris fonction m’a aussi permis de développer une ouverture d’esprit et une écoute attentive, tant vers l’extérieur de l’entreprise qu’en interne. Par ouverture en interne, j’entends une connaissance de la culture du groupe, de ses enjeux, de ses forces et de ses faiblesses, autant d’éléments essentiels pour mener une transformation au XXIè siècle. Il y a également eu beaucoup d’humain pendant ces années à travers lesquelles j’ai appris les clés de  la confiance réciproque et de la conciliation mutuellement bénéfique quel que soit le sujet traité.

Dans votre livre « Changeons la banque » vous développez une lecture positive de l’émergence des FinTech, qui tranche avec la perception plus large des banques qui voient dans les FinTech une menace. Quelles sont les opportunités pour les banques ?

En effet, je vois dans l’émergence des FinTech beaucoup de choses positives pour les banques : les FinTech les réveillent et les secouent de manière parfois violente. Si cet impact ne se fait pas encore ressentir de manière claire aujourd’hui, cela est dû au gigantisme des organismes bancaires que j’ai tendance à qualifier de « banques à papa », ce que les clients ne supportent plus d’ailleurs.

Toutes les synergies autour de la révolution FinTech ont créé un environnement où les intérêts des uns et des autres peuvent facilement converger.

  • Intéressons-nous aux FinTech, en dépit de toute leur l’intelligence technologique, deux facteurs de succès clés leurs seront toujours indispensables : une marque et une capacité de distribution. D’où l’intérêt pour les FinTech de s’associer, de collaborer et de coopérer avec les grandes banques.
  • Les banques ont de leur côté besoin de la vivacité, de l’agilité et de l’esprit d’innovation qui représentent l’essence même d’une FinTech. Je vois donc dans l’émergence des FinTech, un contexte propice à développer de nouveau un esprit de partenariat où chaque acteur pourra reconnaitre la valeur ajoutée de l’autre.

Le Crowdfunding est un exemple qui illustre bien la complémentarité des rôles entre ces acteurs: d’un côté, les FinTech ont non seulement besoin d’un pouvoir de distribution et d’une marque, mais doivent surtout bâtir une expertise bancaire pour pouvoir analyser de manière fiable le risque de crédit propre à chaque demandeur de financement. Ce qui se corse pour les petites et moyennes entreprises par exemple qui ne fournissent que très peu d’information sur leur capacité à générer des Cashflow, augmentant ainsi le risque pour les financeurs. Le risque de défaut n’est donc pas à exclure. En revanche, les banques, parfois en décalage par rapport aux demandes des clients, par une organisation administrative trop lente et des coûts de fonctionnement trop élevés, peuvent voir dans une plateforme de crowdfunding une réponse qu’elles ne sont pas à même de donner à leurs clients. Une forme de collaboration prend donc ici tout son sens. S’enrichir de la force de l’autre pour créer ensemble plus de valeur pour toutes les parties, voilà le défi de notre temps. 

Cette collaboration entre les petites FinTech et les banques devient de plus en plus vitale avec la dominance croissante des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui n’ont plus rien à prouver en terme de capacité de distribution et dont la réputation n’est plus à faire. Pour les banques traditionnelles, les GAFA représentent à mon sens la menace la plus réelle de l’émergence des FinTech, surtout si les banques et les petites FinTech ne réagissent pas suffisamment vite pour collaborer de manière intelligente.

Vous innovez une nouvelle fois en lançant à Bruxelles le FinTech Village, un accélérateur de startup. Quelles sont vos ambitions ?

L’idée derrière le lancement du FinTech Village est de donner un environnement réel de banque à des entreprises qui aspirent à se développer en jouant sur l’innovation. Ainsi, nous interagissons en instantané avec eux pour trouver des pistes et les expérimenter auprès de nos clients.

A la différence des incubateurs classiques, le FinTech Village travaille avec des entreprises qui ont déjà pré-testé leur produit et qui cherchent à aller dans une phase de développement. Notre rôle est donc de s’ouvrir à elles pour aider l’économie à se développer et à se révolutionner.

Ce qui est intéressant par ailleurs dans cette expérience, c’est notre collaboration avec des partenaires tels que Deloitte, Startup.be et SWIFT, un opérateur historique présent en Belgique doté d’une expertise mondialement reconnue. Cela nous a permis de capitaliser sur sa connaissance du marché local où la culture de paiements est très fortement présente.

Cela vous aide-t-il à projeter les modes de travail de demain? Quelles compétences manquent ?

Pour moi, la banque de détail de demain est avant tout une entreprise de technologie qui met sincèrement l’expérience client au cœur de son modèle. Pour arriver à cette transition bancaire, il faudra intégrer les compétences du Data Scientist, mais pas seulement. L’approche Client devra à mon sens être repensée de manière générale, et ING est précurseur dans ce domaine puisque nous co-construisons nos produits avec les clients depuis près de 10 ans déjà (à l’instar de notre  ING Web Café). C’est tout un modèle à transformer et à remettre en question. Mettre le client au centre de l’organisation bancaire est devenu un lieu commun,le dire c’est une chose, le mettre en œuvre de manière tangible, cohérente et durable, c’en est une autre.

Les banques traditionnelles ont un business model d’abord centré sur elles-mêmes, sur leurs coûts, alors que la stratégie gagnante est de construire un business model où il faut ramener de la valeur au client pour qu’il soit prêt à payer au juste prix. C’est le principe même du modèle dUber, de BlaBlaCar, d’EasyJet ou d’Airbnb  qui ont su adopter une nouvelle culture et casser le mode de fonctionnement classique des entreprises.

Avez-vous identifié des axes de travail prioritaires dans cette transformation et réinvention du modèle bancaire ?

La réinvention bancaire sera avant tout une révolution culturelle où la banque devra développer une culture d’entreprise qui permette à chacun de ses collaborateurs de s’exprimer quel que soit son niveau hiérarchique ; une culture donc centrée autour du client mais aussi autour du collaborateur qui doit apprendre à travailler en mode agile pour livrer rapidement les changements attendus par les clients.

Bien sûr, cette démarche est à déployer dans tous les métiers d’ING et partout dans le monde si nous voulons créer des synergies avec les FinTech; mais il y a tout de même des secteurs prioritaires car ils sont plus exposés à l’émergence des FinTech. Le niveau de vulnérabilité de ces métiers bancaires dépend de deux critères:

  • la facilité avec laquelle on peut les attaquer (il est plus simple d’attaquer le paiement que la banque privée par exemple)
  • la valeur que l’on peut tirer en tant que nouvel entrant. Cette valeur est fonction de plusieurs variables : la « rente de situation » de la banque ou le prix du produit disproportionné par rapport à la valeur perçue par le client, l’inefficience, la valeur trouvée sur d’autres dimensions comme la Data pour le paiement, ou la relation avec le client.

A ce sujet, Apple ou Amazon, qui a d’ailleurs lancé une offre de crédit aux PME au Royaume-Uni et qui s’apprête à le faire en France, ont réussi avec succès à valoriser la Data et à la revendre, alors que les banques traditionnelles ne l’ont pas encore utilisée ou se sont interdites de le faire jusqu’à présent. Grâce à cette valeur « cachée », les nouveaux entrants parviennent à imposer une forte compétitivité prix et à attaquer ainsi les banques traditionnelles qui peinent à couvrir leurs coûts.

En conclusion, et pour répondre de façon plus directe à votre question, je pense que le Robot Advisory et le Paiement sont les deux axes les plus exposés face à l’émergence des FinTech. Au final, ce sera au client d’en décider…