La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Jean-Christophe Capelli, fondateur de Friendsclear, nous parle de l'arrivée du prêt entre particuliers en France en pleine crise économique
Diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Jean-Christophe Capelli (43 ans) est un expert reconnu en matière d'internet et de services financiers innovants.
Conférencier régulier, reconnu pour son franc-parler, il prend également la parole sur son blog où il appelle depuis 2006 au renouveau des mécanismes financiers. Jean-Christophe est le dirigeant de FriendsClear, la 1ère plateforme de prêts entre particuliers en France qu'il a créée et lancée en octobre 2008. FriendsClear permet de se prêter de l'argent entre proches... sans passer par les banques. Jean-Christophe est également le co-fondateur du BarCampBank, un cercle de réflexion présent en Europe ainsi qu'aux Etats-Unis (la mission du BarCampBank est de contribuer à l'apparition d'innovations et de nouveaux business models dans le monde de la banque et de la finance).
Vous avez lancé Friendsclear en octobre 2008, pourriez-vous nous décrire ses activités ?
Friendsclear est une plateforme internet qui apporte une assistance aux particuliers qui souhaitent se prêter de l'argent entre eux. Cette assistance commence par l'aide à la fixation du taux d'intérêt et de l'échéancier de remboursement. Ensuite Friendsclear fournit les documents nécessaires à la rédaction d'une reconnaissance de dettes. Friendsclear assure également le suivi au travers de relances régulières auprès de l'emprunteur.
S'il existe des plateformes sous forme de place de marché qui permettent de toucher plus de clients par des prêts auxquels contribuent plusieurs prêteurs après sélection d'un dossier en ligne, Friendsclear est plus axé dans une logique de prêts familiaux ou entre amis. Notre modèle présente l'avantage de ne pas être un organisme de crédit ni de collecte d'épargne et est ainsi soumis à moins de contraintes légales. VirginMoney (ex CircleLending), Loanback et Zimplemoney aux Etats-Unis possèdent le même modèle.
Pouvez-vous nous rappeler les avantages de Friendsclear pour le prêteur et l'emprunteur ?
En général, les emprunteurs sont des personnes solvables mais atypiques auxquelles les banques ne peuvent prêter (indépendants, CDD, intérimaires, intermittents aux revenus irréguliers,...). D'un côté les prêteurs ont un taux d'intérêt plus important (6% dans certain cas), de l'autre les emprunteurs bénéficient d'un taux avantageux pour des montants plafonnés (8k€) et des durées d'un maximum de 3 ans. A cela s'ajoute l'aide à la gestion de contentieux grâce à une reconnaissance de dette en bonne et due forme.
Le modèle de Friendsclear nous fait penser à la fois à du microcrédit et de la tontine, quelles sont les différences?
Les modèles sont effectivement très proches, Friendsclear est en quelque sorte du microcrédit en peer-to-peer, sauf qu'il n'est pas à destination des pays en voie de développement comme peut le faire Kiva.
La tontine, qui contrairement à ce que nous pourrions croire n'est pas interdite, permet de faire un prêt au sein d'un groupe fermé de personnes. Ce n'est pas un système pyramidal puisque le principe est celui d'une communauté fermée. Pratiquée depuis longtemps (Ekub en Ethiopie, Consorcio au Brésil), elle a influencé un modèle utilisé pour un site qui va être lancé en Angleterre prochainement (Kubera Money). Selon moi le business model reste difficile à définir et serait plus à faire sous forme d'open source en proposant des produits de suivi des prêts (via Google Docs ou autres) gratuitement aux utilisateurs.
Nous entendons de plus en plus parler de social banking et de banque 2.0, où est-ce que Friendsclear s'inscrit ?
Le social banking c'est la rencontre de la banque et des réseaux sociaux (« social media » en anglais). Pour d'autres analystes, le social banking c'est aussi un modèle de banque qui ne néglige pas un certain caractère philanthropique et où les acteurs se soucient du financement des activités utiles socialement.
Le web 2.0, c'est l'internet participatif. De la même manière que le web 2.0 permet aux internautes de produire du contenu en plus de le consulter, la banque 2.0 consiste à donner la parole à ses clients via les réseaux sociaux. Il est facilement imaginable de laisser la possibilité aux utilisateurs de donner leurs opinions sur le service d'une banque : avec une composante produits proposés, mais éventuellement aussi avec leur avis sur le rôle, les valeurs et les services de celle-ci. L'écueil à éviter serait de n'axer les sujets que sur les produits sans élever le débat.
Et Friendsclear dans tout ça ? Sans être une banque, nous faisons de la banque 2.0 et du social banking !
Zopa qui offre aussi du P2P lending constitue des segments de particuliers par risque (jeunes, A, B, C...) : comment catégoriser les emprunteurs ? Est-ce un objectif de Friendsclear?
Au Royaume-Uni, Zopa utilise les services de plusieurs bureaux de crédit qui calculent une note selon des données historiques d'un client (l'équivalent existe aux Etats-Unis : c'est le score FICO).
Il n'est pas prévu que Friendsclear mette ce système en place, d'ailleurs en France, de tels fichiers de crédit positif n'existent pas. L'information est détenue par la Banque de France et les banques, elle permet surtout d'identifier les mauvais payeurs plutôt que l'inverse (afin entre autre de ne pas ficher les millions de français mais seulement ceux qui présentent des risques). L'absence de notation positive représente finalement une barrière à l'entrée pour les nouveaux organismes de prêts qui ne disposeront pas de cet historique sur les populations.
Les récents événements dans le secteur des plateformes de prêts - Prosper paye une amende de 1M$ et Zopa US ferme - sont-elles des mauvais présages pour le P2P lending ?
Non. Ces événements proviennent du fait qu'aux Etats-Unis, les plateformes de prêts doivent obtenir de la SEC une autorisation pour exercer. Face à cette réglementation contraignante, Zopa US ferme pour mieux se consacrer à son activité au Royaume-Uni, en pleine expansion. LendingClub a été plus prévoyant et avait déjà demandé cette notice. Il faut aussi rappeler que Prosper et LendingClub ont un modèle différent de Friendsclear qui n'est pas soumis à ce genre de réglementation.
Friendsclear pourrait-il se développer en dehors de la France ?
Le modèle de Friendclear ne présente pas beaucoup de contraintes avec un modèle facilement exportable dans différents pays. Cela dit, nous nous retrouverions en face de plateformes déjà bien ancrées dans le P2P Lending comme Zopa UK, Smava en Allemagne, Zopa Italie mais aussi d'autres en Europe de l'Est.
La limite se trouve dans le cantonnement de prêts entre particuliers d'un même pays, non pas pour des raisons réglementaires mais pour éviter des difficultés liées aux règlements de contentieux entre pays (dans quel pays l'affaire serait saisie, auprès de quel tribunal). Les droits de la consommation sont également différents d'un pays à l'autre.
Une étude du cabinet Gartner estimait à 10% la part des plateformes de social banking d'ici 2010, comment une part si conséquente pourrait être atteinte ?
Cette étude de Gartner UK de début 2008 prévoyait effectivement qu'une part de 10% du marché du conseil financier et du crédit serait détenue par les plateformes de P2P lending.
L'hypothèse forte de cette étude est que le modèle le P2P lending peut se comparer à celui des courtiers pour les crédits immobiliers. En France par exemple les courtiers font 15% des crédits immobiliers, contre 60% en Angleterre et 70% aux Etats-Unis. A partir de ces chiffres, Gartner parvient à estimer la part des plateformes de P2P Lending à 10%.
Des conclusions plus récentes de novembre 2008 prédisent aussi que des réseaux sociaux du type de Myspace ou Facebook fusionneront avec des réseaux sociaux financiers : du bon conseil à l'échange d'information, ces réseaux échangeront finalement aussi de l'argent. La contrainte à lever reste pour le moment la mise en place de moyens de transactions financières via ces sites.
Pensez-vous que ces conclusions concernant ces réseaux soient réalistes ?
Je le pense en effet car l'idée de faciliter les échanges d'argent dans le cas de petits montants semble bonne. Je pense par exemple que Twitter, qui est une sorte de chat public depuis un téléphone portable ou un ordinateur pourrait être utilisé comme réseau de transaction de fonds. Tout comme vous pouvez ajouter une note sur votre blog aujourd'hui, celui-ci vous permettrait de demander une somme d'argent à l'une de vos connaissances. Cette personne la transfèrerait via le site en indiquant une somme à verser et un destinataire.
Peut-on parler de concurrence avec les banques dans le cas des prêts entre particuliers ?
A court terme, je ne le pense pas non, ces prêts sont aujourd'hui des prêts qui existent mais non formalisés et en dehors du circuit des banques. Il faut rappeler que l'un des avantages des prêts entre particuliers est la désintermédiation : c'est l'absence des banques qui convainc les prêteurs et emprunteurs de s'engager.
S'il est difficile d'en estimer le volume, la proportion des prêts non formalisés sur l'ensemble des prêts bancaires peut être approximée à 2 milliards de production annuelle en France, à partir des chiffres connus aux Etats-Unis.
En revanche, à moyen terme, les plateformes de social banking peuvent prendre une part significative du marché de la distribution de crédit, comme le prévoit le Gartner.
Dans le contexte actuel de crise financière et économique ce circuit a-t-il encore toutes ses chances ?
Il me semble que la situation actuelle favorise justement ce type de prêts entre amis. La situation aux Etats-Unis est un peu particulière avec les problèmes de réglementation auxquels sont confrontés Prosper et Zopa US (voir article « Friendsclear : l'arrivée du prêt entre particuliers en France en pleine crise économique»). Le modèle de Friendsclear semble prometteur avec un peu plus de 1 500 personnes inscrites en janvier 2009 et 100 K€ financés, seulement quatre mois après sa création.
Pensez-vous que les banques puissent pénétrer ce marché de prêts entre particuliers ou bien même y être associées ?
L'absence des banques de ce type de circuit permet de ne pas y appliquer des taux trop importants. D'un point de vue marketing, les plateformes doivent éviter d'être associées à une banque : elles n'ont pas la même promesse. Cela n'exclut en rien de trouver des partenariats avec des banques afin de faire bénéficier aux plateformes les avantages d'une banque : gestion de flux financiers, éventuels systèmes de scoring des particuliers français...
Le mouvement de P2P Lending s'est lancé dans les pays développés, que se passera-t-il selon vous dans les pays émergents ?
De nombreux pays ont des circuits de prêts entre particuliers (en Europe, certains pays de l'Est ont déjà des plateformes en place) qui cherchent encore leur formule. Ce modèle pourrait être applicable par exemple dans les pays du Moyen Orient, qui présentent des montages intéressants et pourraient éventuellement être une cible en réunissant certaines conditions liées à la culture - prêt sans intérêt et bien tangible - mais sont encore en cours d'étude.
Le nouveau besoin client traduit dans le P2P Lending vient complexifier la demande. Ne souligne-t-il pas finalement le besoin peut-être pressant pour les banques de redéfinir leur rôle ?
Les banques aujourd'hui sont essentiellement tournées vers la distribution de crédit et de produits financiers, oubliant souvent leur rôle de conseil..
Ce n'est pas rare de voir aujourd'hui des personnes peu conscientes de leur état de surendettement continuer à demander des prêts. Les français ont globalement beaucoup de lacunes en connaissances économiques ou dans la gestion de leur budget. Pour contribuer à y remédier, les banques devraient redonner un sens à ce qu'elles font et se rediriger vers leur rôle premier de conseil au particulier. Certaines banques le font déjà. C'est le cas des Caisses d'Epargne qui ont des antennes « Finance et Pédagogie » dans chaque région et qui permettent aux clients en difficulté de recevoir de l'aide. Le Crédit Agricole a son réseau « Passerelle ».
Le problème actuel de la proposition commerciale du banquier est souvent son inadéquation au besoin du client, qui parfois relève plus du simple conseil à propos de la gestion de son budget familial, rarement mis en place, que du conseil de placement de fonds. C'est là le rôle premier d'une banque, et dans ce sens que les banques devraient investir.