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Interview de Patrick Prunet, Directeur des projets Jupiter 1000 et TENORE VLB chez GRTgaz

Rencontre avec Patrick PRUNET, Directeur du projet Jupiter 1000 et du Programme TENORE chez GRTgaz. Cet échange fut l’occasion d’en apprendre davantage sur ces projets, sur leur intégration dans le paysage énergétique national et sur l’ambition de GRTgaz dans le cadre de la transition énergétique.

Sia Partners : Après quinze années d’expérience dans le secteur de l’électricité, vous avez fait le choix de rejoindre le secteur gazier chez GRTgaz. Comment ces précédentes expériences orientent-elles votre approche dans la conduite de vos projets ?

Patrick Prunet : Comme dans bien des secteurs, le fait de cumuler différentes expériences dans des filières aussi interconnectées que sont celles du gaz et de l’électricité permet de développer une vision englobante de ce que seront, ou devraient être, les réseaux énergétiques de demain. Cela permet d’envisager les projets non pas comme des structures indépendantes les unes des autres mais comme appartenant à un écosystème complet.

Ayant travaillé plusieurs années dans le secteur de l’électricité, puis du gaz, mon objectif au sein de GRTgaz est d’accompagner la réalisation de projets à forte ambition, faisant jouer les complémentarités entre les réseaux de gaz et d’électricité. Dans cette optique, il est impératif de pouvoir s’adresser à l’ensemble des acteurs des deux filières, d’en comprendre les enjeux spécifiques, afin de bâtir des synergies à la fois innovantes et porteuses de croissance pour tous les partenaires impliqués dans les projets.

A l’échelle de GRTgaz, ces projets transverses s’intègrent dans la stratégie d’entreprise GRTgaz 2020 qui souhaite faire du gaz naturel un moteur de la transition énergétique. La complémentarité du gaz naturel avec les autres sources d’énergie, l’électricité en tête, permet de construire des projets en ce sens.

 

Sia Partners : Vous travaillez désormais comme Directeur de projets au sein de la DP[i] de GRTgaz. Quelles sont les activités phares que vous pilotez au sein de votre direction et comment s’inscrivent-elles dans la stratégie de développement de GRTgaz ?

Patrick Prunet : La Direction des projets de GRTgaz se concentre sur quatre missions essentielles :

  • Une partie Asset Management qui vise à optimiser le portefeuille d’actifs de l’entreprise ;
  • La réalisation de nouveaux projets sur le réseau existant afin de le préparer aux évolutions futures. C’est dans ce cadre que des premières portions du réseau de transport offrent désormais des capacités d’acheminement dites « rebours », ou à contre sens des flux traditionnels du gaz. Cette évolution permet d’acheminer une plus grande quantité de biogaz en la remontant sur les grandes artères de transport de gaz ;
  • Le développement de projets d’efficacité énergétique ;
  • L’intégration de l’hydrogène et du méthane de synthèse dans le mix énergétique gazier à travers la construction de démonstrateurs Power-to-Gas et la conception de postes d’injection d'hydrogène.

C’est dans cette logique qu’a été développé le projet de Power-to-Gas Jupiter 1000 basé à Fos-sur-Mer, sur la plateforme Innovex dédiée à l’accueil de démonstrateurs en lien avec la transition énergétique. Cette installation a pour but de transformer l'électricité renouvelable en gaz pour pouvoir la stocker.  L'électricité en surplus sera convertie en hydrogène par deux électrolyseurs mais aussi en méthane de synthèse par le biais d'un réacteur de méthanation et d'une structure de capture de CO2 à partir de fumées industrielles voisines.

Sia Partners : Après le lancement du chantier de Jupiter 1000, à Fos-sur-Mer en décembre dernier, vous lancez la phase de réalisation du projet TENORE qui associe les réseaux d’électricité, de gaz et de chaleur au sein d’une même installation. Cela illustre-t-il selon vous une tendance profonde du secteur de l’énergie qui cherche à exploiter au maximum les synergies entre réseaux ?

Patrick Prunet : En effet, le développement des synergies entre les différents réseaux constitue un axe de développement considérable pour les gestionnaires de réseaux de gaz, d’électricité et de chaleur. Ces synergies offrent divers avantages parmi lesquels la possibilité de stocker de l’électricité excédentaire, comme c’est le cas avec la solution de Power-to-Gas Jupiter 1000, ou bien de valoriser de l’énergie fatale de détente du gaz sous forme de production électrique.

Cette énergie « de récupération » se substitue aux productions électriques thermiques moins performantes sur le plan environnemental.

Cette tendance d’optimisation des échanges entre réseaux énergétiques est également appuyée par les acteurs territoriaux qui sont confrontés au quotidien aux problématiques de silotage des activités énergétiques. La distinction nette et hermétique entre acteurs « mono énergie » ne permet pas l’optimisation de la consommation énergétique du territoire et les potentielles économies alors réalisables. A l’échelle des territoires, ces synergies seront également une composante centrale des Smart grids dont les projets pilotes se démultiplient.

 

Sia Partners : Pour revenir plus en détail sur le projet TENORE Villiers-le-Bel, pouvez-vous nous expliquer l’intérêt de valoriser l’énergie fatale de détente du gaz, le gisement potentiel et les applications envisageables de cette technologie ?

Patrick Prunet : Le Programme TENORE a pour objectif le déploiement d’une filière française de valorisation de l’énergie fatale du gaz de détente. Cette énergie fatale est libérée lorsque la pression du gaz est abaissée à la jonction entre réseaux de transport et de distribution (on passe alors de ~60 bars à ~30 bars), ou bien sur les postes de livraison de gaz aux gros consommateurs industriels.

En remplaçant les traditionnelles vannes de détente par une turbine reliée à un générateur d’électricité, on obtient alors une production électrique issue de la détente du gaz. Cette énergie est dite fatale car actuellement, elle est perdue et non valorisée en France[ii].

Ce mode de détente génère deux fois plus de froid que la détente classique, ce qui peut mettre en péril l'intégrité du réseau. Il est donc indispensable de réchauffer le gaz en amont. La solution retenue en base consiste à utiliser une cogénération en hiver. Outre l'électricité produite par celle-ci, la chaleur fournie rend possible la valorisation de l'énergie de détente sous forme d'électricité. La combinaison des deux atteint un rendement de plus de 80%, bien supérieur aux centrales thermiques classiques (55%) auxquelles elle se substituera en hiver.

Le lancement du Programme TENORE est aujourd’hui amorcé par la mise en réalisation du projet TENORE Villiers-le-Bel qui servira de projet pilote pour l’ensemble du Programme. Le site de Villiers-le-Bel (95) a été sélectionné car il offre des débits importants tout au long de l’année et permet une production d’électricité conséquente.

Ce site présente également l'avantage de se situer à proximité de puits géothermiques. Cette source de chaleur renouvelable sera utilisée en complément de la cogénération pour réchauffer le gaz. Elle permettra de récupérer l'énergie de détente en dehors des périodes hivernales. Pour maximiser la récupération d'énergie, le réseau de gaz de la plaque parisienne sera piloté de manière à favoriser l'écoulement des flux de gaz par Villiers-le-Bel tout au long de l'année.

Cette énergie de réchauffage, quasiment gratuite, permet donc de récupérer l'énergie fatale de détente du gaz, le tout étant totalement décarbonné.

De plus, notre consommation de chaleur basse température (35°C) permet au réseau de chaleur urbain d'augmenter son efficacité énergétique en limitant ses pertes et en favorisant la circulation naturelle de l'eau (effet thermosiphon).

C'est un bel exemple de synergie entre réseaux d'énergie !

Au final, les projections font état d'une production électrique annuelle de 17 GWh soit suffisamment pour alimenter 3 500 foyers

Cette installation sera donc composée d’une turbine de détente, d’une cogénération (qui permet de réchauffer le gaz en entrée de turbine) et d’un raccordement au réseau de chaleur urbain de Villiers-le-Bel / Gonesse. 

A l’échelle nationale, le gisement offrant une potentielle rentabilité porte sur 25 sites ce qui permettrait de produire 119 GWh d’électricité annuellement et éviterait le rejet de 1 160 tonnes de CO2 par an.

A termes, des installations comparables pourraient permettre à certains industriels de valoriser leur détente de gaz pour produire de l’électricité pouvant être autoconsommée sur place ou réinjectée sur le réseau selon les modalités réglementaires en vigueur.

 

Sia Partners : Les projets que vous décrivez donnent l’impression que GRTgaz s’inscrit dans une dynamique de diversification de ses activités…

Patrick Prunet : Notre mission principale porte sur l’exploitation et l’entretien du réseau de transport de gaz en France. Notre activité est encadrée par le régulateur et les activités de diversification dans le domaine concurrentiel sont interdites.  

Néanmoins, dans le cadre de la transition énergétique, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) nous a confié la mission de développer les nouveaux usages du gaz et d’identifier les conditions économiques permettant d’accompagner le développement des différentes filières. Les constructions de démonstrateurs et de projets pilotes sont donc autorisées.

GRTgaz cherche également le moyen de valoriser le foncier disponible sur ses différents sites répartis sur l’ensemble du territoire national. La production d’électricité photovoltaïque qui serait consommée en agrégation par les différents postes d’éléctro-compression fait actuellement l’objet d’une étude d’opportunité.

Enfin, GRTgaz souhaite également faire valoir son expertise reconnue à l’international pour accompagner d’autres GRT européens dans le développement et la modernisation de leurs infrastructures. Cette offre de services nouvellement mise en place est actuellement centrée sur le métier d’exploitant de réseau de transport mais pourrait, à terme, porter sur l’adaptation des réseaux gaziers aux enjeux de la transformation énergétique à l’échelle d’un pays.

Si nos pistes de réflexions sont larges et résolument innovantes, elles n’en demeurent pas moins étroitement liées à notre activité première d’exploitant industriel d’un réseau d’acheminement gazier.

Présentation de Patrick Prunet

Patrick Prunet a rejoint GRTgaz comme Project Manager à la fin de l’année 2004. Après avoir travaillé, entre autres, sur la rénovation du site de stockage de Beynes, le site d’interconnexion de Cuvilly et l’extension du terminal GNL de Fos Tonkin, Patrick Prunet préside le consortium chargé de piloter le projet Jupiter 1000. En parallèle de Jupiter 1000 et du Programme TENORE, il est membre du Directoire Hydrogène de GRTgaz.

GRTgaz possède et exploite en France le plus long réseau de transport de gaz naturel à haute pression d'Europe avec trois missions principales :

  • Le transport de gaz dans les meilleures conditions de sécurité, de coût et de fiabilité ;
  • La livraison aux clients raccordés au réseau de transport (industriels, centrales gaz, réseaux de distribution et de transport adjacents) ;
  • Le développement des capacités de transport pour satisfaire les besoins du marché et renforcer la sécurité d'approvisionnement en France et en Europe.

GRTgaz en chiffres (2017) :

  • 2 887 collaborateurs au 31 décembre 2017
  • 32 414 kilomètres de réseau et 627,3 TWh de gaz transporté
  • 1 972 M€ de chiffre d’affaire
  • 657 M€ d’investissements dont 42% pour la maintenance des installations et 58% pour leur développement

Notes et Sources :

[i] Direction des projets

[ii] Des installations de valorisation de l’énergie de détente existent d’ores et déjà à l’étranger (Belgique, Autriche, Espagne, Allemagne…)