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Interview d'Estelle MIRONESCO, Directrice de Vigeo Rating, agence de notation extra financière

Vigeo est une agence de notation extra-financière créée en 2002 par Nicole Notat.

Parcours

Diplômée de l'ESCP Paris, Estelle MIRONESCO a d'abord travaillé pendant 10 ans dans la banque commerciale, sur des activités de crédit aux entreprises à Londres et à Paris. Elle a ensuite rejoint le secteur de la gestion d'actif, pour 10 ans également, où elle est intervenue successivement dans les domaines de l'analyse crédit, l'analyse action et l'analyse ISR. Convaincue que les critères de responsabilité sociale influent sur la sécurité et la performance des placements, elle rejoint Vigeo en 2008, où elle occupe le poste de Directrice de Vigeo Rating.

Madame Mironesco, pouvez-vous nous présenter l'activité de Vigeo ainsi que votre rôle au sein de l'agence ?

Vigeo est une agence de notation extra-financière créée en 2002 par Nicole Notat, issue de la reprise des activités d'Arèse, première agence d'analyse en Investissement Socialement Responsable (ISR) en France à l'époque. L'ouverture à l'international a été très rapide puisque dès 2003, nous avons ouvert un bureau au Maroc, avant de nous étendre en Europe avec le rachat du Belge Stock at stake et de l'Italien Avanzi SRI Research. A ce jour, nous comptons près de 14 nationalités différentes parmi notre effectif de 87 personnes et nous notons plus de 2500 émetteurs de titres dans le monde ; il s'agit principalement d'entreprises privées mais aussi d'institutions publiques et d'Etats. Les entreprises notées sont notamment celles de l'indice boursier du DJ STOXX Global 1800.

Nos clients sont principalement des investisseurs institutionnels ou des gestionnaires d'actifs qui utilisent les notations Vigeo. Celles-ci sont non seulement utilisées pour appuyer des décisions d'investissement ou de désinvestissement (dans des fonds ISR notamment), mais également pour choisir ou non de renforcer leur engagement dans les entreprises qu'ils financent, afin d'en améliorer les pratiques de gestion ou les choix stratégiques. A ce jour nous comptons plus de 100 clients ; ce portefeuille est amené à croitre au cours des prochaines années, sachant que l'utilisation de notations extra financières est une pratique de moins en moins cloisonnée aux seuls fonds ISR.

En parallèle de nos activités historiques de notateur, désormais regroupées sous la marque Vigeo Rating, nous menons aussi sous la marque Vigeo Enterprise une activité au service des entreprises qui souhaitent progresser dans leur approche de la responsabilité sociale et environnementale (RSE). Cette activité, qui propose notamment des audits et des programmes d'accompagnement, est totalement distincte de Vigeo Rating, afin de prévenir tout conflit d'intérêt. Pour ma part, j'occupe le poste de Directrice de l'activité Vigeo Rating.

Quel bilan peut-on dresser sur l'évolution de l'ISR en France et en Europe ? Quelles évolutions sont à prévoir pour les années à venir dans ce domaine ?

Avant toute chose, il s'agit d'un marché dynamique, qui présente un bilan positif, surtout dans le contexte post-crise financière. Novethic, qui observe cette activité depuis de nombreuses années, a constaté une hausse de 70% du volume d'actifs ISR en France en 2009, soit un total de 50 Md€ d'actifs sous gestion. Sur le marché européen, la France est arrivée plus tardivement mais le retard est désormais rattrapé. A noter cependant que l'on constate des différences d'approche entre pays. Par exemple, c'est l'approche « best in class » qui s'est majoritairement imposée en France. Celle-ci consiste à mettre en avant les pratiques de gestion durable parmi les critères d'investissement. Au Royaume Uni ou dans d'autres pays d'Europe du Nord, l'activité ISR reste fortement marquée par des pratiques d'exclusion, qui visent à exclure certains secteurs d'activité du périmètre d'investissement (tabac, alcool, armement, jeux...)

Depuis peu, on constate une extension de l'approche ISR à d'autres classes d'actifs, au-delà des actions cotées. Les fonds obligataires et monétaires font désormais aussi office d'investissement ISR. A l'avenir, il y a tout intérêt à se pencher également sur l'ISR en Private Equity, qui pourrait être amené à se développer de manière rapide.

D'un point de vue plus global, même si aujourd'hui l'ISR stricto sensu reste un marché de niche au regard des montants d'actifs gérés dans le monde, on assiste à une intégration progressive des critères ESG (environnementaux, sociaux, et de gouvernance) dans la gestion traditionnelle, couramment appelée « mainstream ». Dans cette gestion mainstream, les fonds ne sont pas labélisés ISR mais intègrent certains critères extra financiers. Novethic évalue à 2000 Md€ le montant d'actifs aujourd'hui au sein de ce courant en France. Nous sommes très favorables à cette tendance, notre objectif n'étant pas de cloisonner l'approche ISR à une minorité, mais plutôt d'étendre le plus possible son champ d'application.

Pourriez-vous nous expliquer sur quels critères se fondent les méthodes d'évaluation des entreprises que vous notez ?

Nos matrices de notation s'appuient sur 6 axes d'analyse, qui structurent notre analyse selon le concept répandu de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et couvrent les aspects Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance d'entreprise (connus sous le sigle ESG). L'axe sociétal est lui-même segmenté chez Vigeo en 4 domaines : les ressources humaines, les droits humains, les relations clients/fournisseurs ainsi que la relation avec la société civile.

Plus concrètement, nous observons la manière dont l'entreprise intègre les intérêts de chaque partie prenante (salariés, environnement, actionnaires, clients...) dans sa stratégie et la conduite de ses activités. Notre méthodologie n'est pas statique, car elle confronte les intentions des entreprises aux résultats concrets. En effet, nous regardons dans un premier temps, la politique et l'engagement des entreprises au plus haut niveau, puis les actions et programmes mis en œuvre, et enfin le résultat de ces actions (indicateurs quantitatifs sur les émissions de C02, indicateurs sociaux, controverses éventuelles...)

Prenons par exemple le domaine d'analyse des ressources humaines : les questions liées à la santé, la sécurité, à la gestion des emplois et des compétences, au dialogue social, sont autant de critères pris en compte pour l'élaboration d'une note finale. Dans le domaine des relations clients/fournisseurs, les principaux critères relèvent plutôt de la transparence de l'information aux clients, de la sécurité des produits, des cahiers des charges imposés aux fournisseurs en matière environnementale et sociale ou encore des mesures de prévention de la corruption ou de pratiques anticoncurrentielles.

Selon l'industrie en question, les enjeux ne sont pas les mêmes et donc les pondérations des critères sont ajustées. Nous disposons d'un référentiel générique que nous adaptons à chaque situation : dans la chimie par exemple, les salariés sont exposés à des substances dangereuses, créant un risque inhérent à l'activité (affaire AZF), et amplifiant d'autant les risques sur leur capital humain et leur réputation.

Quelles sont les sources d'information utilisées lors du processus de notation ? Allez-vous à la rencontre des entreprises ? Et que se passe-t-il si celles-ci refusent de se faire noter ?

Nous entrons systématiquement en contact avec l'entreprise concernée afin d'obtenir des compléments d'informations, et d'en saisir l'esprit collaboratif. Souvent, un correspondant attitré s'occupe des problématiques de développement durable. Nous le faisons après avoir consulté et étudié les données publiées par l'entreprise (rapports annuels, rapports de développement durable, ...) et les avoir croisées avec les informations venant des parties prenantes (ONG, syndicats). En France, depuis la loi NRE de 2003, les entreprises sont obligées de fournir un reporting ESG, même si leur contenu n'est pas aussi contrôlé que les obligations de communication financière. En continu, nous suivons aussi leur actualité et les controverses éventuelles, ce qui est par exemple important pour la notation d'une entreprise comme BP actuellement.

De fait, les entreprises ne peuvent pas refuser de se faire noter, puisque que nous agissons à la demande des investisseurs, mais elles peuvent décider de ne pas nous ouvrir la porte. Une non-réponse à nos sollicitations peut d'ailleurs constituer en soi un élément de réponse. Au final, beaucoup d'entreprises acceptent de collaborer, car les précisions recueillies auprès d'elles peuvent contribuer à renforcer la qualité de leur rating et leur attractivité auprès des investisseurs.

Pour les Etats et les collectivités locales, dont la notation est apparue dès 2006 chez Vigeo, les méthodes sont assez similaires mais nous utilisons principalement des données officielles et statistiques.

Quelles garanties une agence de notation extra financière peut-elle fournir sur l'objectivité de ses notations ?

La crédibilité de nos notations passe par une transparence à tous les niveaux. Notre force en la matière est d'avoir construit une méthode « opposable », qui est en cohérence avec de nombreux textes à portée universelle et conventions internationales de référence émanant de l'OIT, l'ONU, l'OCDE... Nous utilisons leurs principes fondateurs afin de fixer le cadre général de notre analyse et définir les objectifs à atteindre en termes de responsabilité sociale. C'est ainsi que les méthodes que nous avons développées sont maintenant largement reconnues.

Les controverses actuelles sur des agences de notation financière pourraient-elles avoir des répercussions sur les agences de notation extra-financière ?

Non, les turbulences qu'elles peuvent éprouver nous touchent assez peu, car nous ne faisons pas face aux mêmes problématiques financières. Nous n'avons pas vocation à évaluer la solvabilité financière des emprunteurs. Les agences de notation extra-financière notent justement des critères que les agences financières prennent insuffisamment en compte dans leur évaluation de la solvabilité des entreprises. Nous considérons en effet que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance influent également sur la performance financière des entreprises. Si des mesures spécifiques étaient prises, nous ne serions pas concernés car nous ne dépendons pas d'une autorité de tutelle.

Parlons du secteur bancaire : Quels sont les leviers de développement durable au sein des établissements de crédit ?

Les banques sont confrontées à des sujets propres à toute entreprise : ressources humaines, économies d'énergie, gouvernance d'entreprise... Mais elles ont également un rôle très important à jouer par leur cœur de métier, c'est-à-dire le financement et l'investissement. Sur ce point, nous avons publié une étude en 2009 en partenariat avec WWF, sur les enjeux du changement climatique dans 10 secteurs d'activité de référence. Partant du principe que les banques contribuent indirectement à de nombreuses émissions de CO2 induites par leurs activités de financement, l'empreinte climatique serait selon cette étude de 1470 MteqCO2 pour les grandes banques françaises hors SBF120. Selon cette approche, le secteur de la banque et de l'assurance arrive en première position des émetteurs de CO2 à l'échelle mondiale.

C'est pourquoi nous estimons que les banques ont le pouvoir de favoriser le développement durable via leurs différentes activités, en intégrant des critères ESG dans leurs critères d'octroi de crédit et leurs décisions d'investissement. Pour les acteurs majeurs, il reste une marge de progression importante en la matière. Il existe certes quelques initiatives, mais souvent très limitées en terme de périmètre. Par exemple, l'adhésion aux principes Equateur des banques françaises est un point positif, mais ces principes s'appliquent uniquement à l'activité de financement de projets. Les banques ont également la possibilité de promouvoir certains produits de placements, notamment dans les fonds ISR ou les énergies renouvelables, cela reste néanmoins une activité de niche.

Il pourrait être envisageable qu'un « rating Vigeo » soit utilisé dans la décision d'octroi de crédit ou dans la tarification, en influant par exemple sur les taux d'intérêts en fonction du risque environnemental d'un projet par exemple. Mais à ce jour, force est de constater que la tendance n'est pas encore amorcée.