La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, le temps de travail n'a cessé de diminuer. Mais depuis quelques années, la France, à l'instar des autres pays industrialisés, connaît un retournement de cette tendance...
...remise en question des 35h, recul de l'âge minimal de la retraite, allongement du nombre d'années de cotisation, fin du recours aux préretraites etc. L'agenda de Lisbonne fixe l'objectif ambitieux d'avoir un taux d'emploi européen des 55-64 ans de 50% d'ici 2010.
A très court terme, les seniors vont être amenés à être de plus en plus nombreux en entreprise. Selon les estimations de l'Employers Forum on Age, d'ici 2020 les plus de 50 ans seront majoritaires en entreprise (+ 23,5%). Les seniors forment désormais une population à part qui nécessite une gestion RH spécifique en entreprise.Retour sur leur situation dans l'entreprise en France et proposition d'une démarche de suivi de la population spécifique qu'ils constituent.
Plusieurs facteurs sociodémographiques expliquent l'importance croissante des seniors dans la pyramide des âges des entreprises et plus généralement de la société française.
Tout d'abord, la génération des baby-boomers de l'après guerre a vieilli et déforme fortement les pyramides des âges des entreprises. A cela s'ajoute la crise du système des retraites par répartition : le déséquilibre entre la population active et la population retraitée est de plus en plus marqué et cette tendance va s'aggraver du fait de la classe creuse de 30-50 ans (2,2 actifs pour un inactif de 60 ans en 2005, 1,4 en 2050 selon l'Insee). En conséquence, l'allongement de la durée de cotisation aux systèmes de retraite oblige à rester plus longtemps en entreprise.
Le phénomène de vieillissement de la population a été annoncé de longue date mais les pouvoirs publics comme les entreprises ont tardé à réagir et se retrouvent dans une situation où l'attentisme n'est plus possible. La France est le pays d'Europe où l'emploi des seniors (55-64 ans) est le plus faible : 38,1% seulement en 2006 contre 48,4% en Allemagne et 69,6% en Suède (Chiffres OCDE). Nos voisins européens se préparent en effet depuis une dizaine d'années à ce retournement démographique et à l'intégration des seniors dans la vie active, en combinant mesures gouvernementales (mesures fiscales, accompagnement des seniors dans la recherche d'emploi...), initiatives d'entreprises, et plans de communication pour revaloriser l'image des seniors et l'associer non plus à l'âge mais à l'expérience.
Dans ce contexte, le gouvernement français annoncé des mesures supplémentaires pour favoriser l'emploi des seniors en retraite : limitation du recours aux préretraites au moyen d'une taxation importante, interdiction de la mise en retraite obligatoire, autorisation pour les salariés de plus de 65 ans de choisir leur moment de départ à la retraite, mise en place d'accords de branche avec des objectifs chiffrés, aide au cumul emploi/retraite, limitation des dispenses de recherche d'emploi...Mais dans leur majorité, les entreprises veulent profiter de ces départs massifs en retraite pour réduire leurs effectifs et améliorer leur productivité. En contradiction avec la tendance soutenue par le gouvernement, cette volonté de réduction des effectifs doit également se confronter au problème du maintien des compétences en entreprise malgré des départs massifs en retraite.
Les nombreux préjugés sur les seniors sont un frein supplémentaire à leur emploi. On les considère peu productifs, peu motivés, peu flexibles, chers du fait de leur ancienneté et des formations qui leurs sont nécessaires, peu mobiles... Ces préjugés poussent les entreprises à recruter en priorité des populations jeunes et à se délester des populations plus âgées. Un travail de revalorisation des seniors dans la société est indispensable à leur bonne réinsertion en entreprise. Dans certains pays européens comme la Grande Bretagne, toute discrimination fondée sur l'âge est punie par la loi au même titre que les discriminations raciales ou sexistes.
Une double problématique se dégage donc : pourquoi et comment optimiser l'emploi des seniors, qui va être plus ou moins forcé étant données les mesures gouvernementales en cours et dès lors, comment motiver cette population qui pensait partir en retraite à 60 ans et qui n'est pas / plus valorisée au sein de l'entreprise ?
Les entreprises ont beaucoup à gagner d'une amélioration de la gestion RH de l'emploi des seniors. Tout d'abord, les départs massifs en retraite risquent d'entraîner une perte de connaissances et de savoir faire dans les entreprises. C'est d'autant plus vrai que depuis 2006, de nombreux secteurs souffrent d'une crise des talents à la criticité croissante, les générations suivantes n'étant pas suffisamment nombreuses pour remplacer les départs. De plus en plus d'entreprises, en particulier dans les secteurs de pointe, choisissent de rappeler des anciens retraités ou mettent en place des programmes pour conserver leurs seniors plus longtemps et profiter de leurs savoir faire. En outre, sur le plan économique, le recrutement et la formation d'un jeune inexpérimenté coûtent très cher, et il peut être plus intéressant pour une entreprise de garder un senior que de recruter un junior.
Que ce soit en France ou dans le reste de l'Europe, les entreprises qui ont fait le choix de favoriser l'emploi des seniors sont unanimes, cette population offre de vrais atouts par rapport à des populations plus jeunes : outre les avantages évidents liés à l'expérience (compétences techniques, transmission du savoir faire, efficacité du fait de l'expérience...), sont également mis en avant -en comparaison des populations plus jeunes- une politesse, une ponctualité et une fidélité à l'employeur accrues, ainsi qu'un absentéisme moindre. De plus, les seniors savent s'adresser au segment du marché désormais très porteur qu'ils représentent eux-mêmes, et peuvent être un réel atout commercial. Ainsi, chez Atol, chaîne d'opticiens, 20% des collaborateurs ont plus de 50 ans et les politiques de recrutement visent à doubler ce chiffre grâce au recrutement et à la formation de collaborateurs issus d'autres secteurs. Ces collaborateurs sont un atout commercial évident puisque étant le « reflet » d'une grande partie de la clientèle -âgée-, qui se reconnaît dans cette force commerciale.
Enfin, à l'heure de la diversité et de la Responsabilité Sociale des Entreprises, l'emploi de seniors peut être valorisé et devenir source de capital sympathie des consommateurs.
Mais les mesures actuelles restent limitées et globalement inefficaces. L'efficacité de la Réforme Fillon des retraites entreprise en 2003 est aujourd'hui remise en question, et les mesures d'incitation au cumul emploi/retraite encore trop rarement utilisées. Le gouvernement a annoncé des mesures complémentaires, mais un cadre légal strict et des mesures fiscales incitatives/prohibitives ne peuvent suffire. Les entreprises doivent davantage prendre conscience qu'il leur faut dès à présent adapter leur gestion de l'emploi des seniors. Le risque d'inaction devient critique.
Dans leur ensemble, les entreprises ont adopté des politiques de suivi spécifiques pour les jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, les salariés à fort potentiels, les postes-clés, les cadres dirigeants... Elles doivent adopter une démarche similaire pour anticiper le vieillissement de leurs salariés.
La gestion des seniors doit faire l'objet d'une analyse approfondie et d'une adaptation de l'organisation, de la politique et des processus RH. Toute la difficulté de la gestion des seniors est qu'ils forment une population non homogène : d'un collaborateur à l'autre, dans une même entreprise, les compétences, la motivation, les attentes, le potentiel d'évolution varient grandement.Dès lors, quelle stratégie adopter pour tirer le meilleur des seniors, tout en les motivant ?
Une gestion spécifique repose sur l'adoption d'une approche qui s'articule en trois étapes :
a) Identification des seniors : quels sont les critères choisis pour déterminer le périmètre de la classe des seniors ? L'appartenance à la population Senior peut dépendre de l'âge, de l'ancienneté, du nombre d'années de cotisation restantes pour l'obtention d'une retraite pleine, des compétences... Les entreprises doivent lancer une réflexion autour de ce découpage de leur population pour clarifier les critères permettant d'identifier un collaborateur « senior », et ainsi être en mesure d'identifier la population « senior ».
b) Segmentation des seniors : la population Senior est hétérogène. Il faut la segmenter en 4 à 5 groupes homogènes. Cette segmentation se fait selon des critères propres à chaque secteur / entreprise et en cohérence avec les différentes perspectives 'de reconversion' envisagées dans l'entreprise. Par exemple, on peut envisager une segmentation selon les critères suivants : Ouvrier/Salarié/Cadre, nombre d'années d'ancienneté, potentiel, possession de compétences stratégiques pour l'entreprise et/ou possession de compétences rares dans l'entreprise,...
c) Pour chaque segment, mise en place d'une cellule RH dédiée à l'animation et au suivi de la population du segment (évolution vers d'autres segments, personnalisation du suivi de carrière...), avec des comités de carrières spécifiques aux seniors (par segment) comme il en existe pour les populations de jeunes diplômés, de Hauts Potentiels, de Postes Clés... Ces cellules connaissent parfaitement les spécificités de la population qu'elles suivent et savent adapter leur gestion aux attentes des seniors.
Une fois la population Senior identifiée et divisée en segments homogènes, il faut adapter les processus RH standard à chaque segment, de la même manière qu'ils sont adaptés pour les populations de jeunes à fort potentiel... L'objectif des mesures d'accompagnement spécifiques émanant de l'adaptation des processus standard est de mieux connaître les besoins et les attentes des populations suivies, et de favoriser leur 'épanouissement' tout en les motivant à travailler plus longtemps et plus efficacement.
Plusieurs processus RH doivent être adaptés aux spécificités de chaque segment de population identifiée :
La Formation : Contrairement aux idées reçues, la formation des seniors est rentable. En effet, fiables et fidèles, ils risquent moins de changer d'entreprise dans les 10 ans à venir que les populations plus jeunes. Mais la formation doit leur être adaptée : pas question de la présenter uniquement sous forme de cours magistraux et purement théorique. La formation doit être avant tout pratique et faire référence à leurs expériences passées. Il faut aussi intégrer au processus de formation le fait que les seniors mettent plus de temps à assimiler et à maitriser de nouvelles techniques ou méthodes (impact de la distribution de formation par le canal du e-learning). La formation continue doit être privilégiée face à des sessions de formations ponctuelles.
Si la formation doit être utilisée pour renforcer ou mettre à jour les compétences des seniors (en particulier concernant les NTIC), elle peut aussi s'appuyer sur leur savoir faire. Ces derniers deviennent alors acteurs de la formation dans l'entreprise, ce qui leur permet de se réinsérer et d'être valorisés tout en assurant le transfert de leurs compétences vers les jeunes. Cela peut prendre la forme de tutorat, certains seniors devenant alors les tuteurs de jeunes collaborateurs de l'entreprise, ou d'animation de formations, les seniors consacrant une partie de leur temps de travail à préparer et/ou animer des formations au sein de l'entreprise.
La Mobilité : Les seniors sont moins adeptes du changement que les jeunes. En fonction des segments de population, la mobilité doit être accompagnée pour limiter la perte des repères et la démotivation.
L'Évaluation : Au même titre que les autres collaborateurs de l'entreprise, les seniors ont évidemment besoin de challenge et de récompenses pour être motivés. Il faut bien sûr fixer avec eux des objectifs précis et quantifiables, mais surtout leur proposer « malgré » leur séniorité, des perspectives d'évolution tant en terme de responsabilités que de compétences ou de rémunération. En effet, à 55 ans, un salarié a encore au moins 10 ans de vie active dans l'entreprise. Il lui faut pouvoir se projeter pour être motivé. Il faut également adapter l'entretien de suivi de carrière entre le gestionnaire RH et le collaborateur (entretien annuel ou bi-annuel) pour y aborder des thèmes et des préoccupations spécifiques à ce type de population. La fréquence et la teneur de ces entretiens doivent être adaptées à chaque segment identifié.
La Rétribution : En matière de rétribution, les attentes de seniors n'ayant pour la plupart plus d'enfant à charge ni d'emprunt à rembourser n'ont rien à voir avec les attentes de populations plus jeunes. Ils ne sont souvent pas tant intéressés par un salaire élevé que par une couverture santé intéressante et un système d'épargne retraite performant. Ces préoccupations doivent être intégrées aux 'à côté' de la rétribution pour impacter le degré de motivation.
L'adaptation des processus RH standard doit être complétée par l'implémentation de mesures spécifiques aux seniors. Ces mesures doivent permettre d'augmenter la flexibilité du travail et de son organisation afin de mieux l'adapter aux contraintes des seniors.
Ainsi, le temps de travail doit être flexibilisé en fonction des segments identifiés : partiel, saisonnier, adapté aux visites médicales, au besoin de repos, à la fatigue des collaborateurs.
De plus l'ergonomie des postes de travail et les tâches physiques doivent être adaptées pour réduire la pénibilité du travail et prévenir les problèmes de santé des populations seniors.
L'organisation du travail doit être revue afin de valoriser les modes projet pour permettre la communication intergénérationnelle. Cela permet également de solliciter les seniors avant tout sur les sujets sur lesquels ils ont capitalisé en connaissances et en expériences et de faire bénéficier l'entreprise de leur réseau construit au fil des ans.
Dans tous les pays européens on trouve de nombreux exemples d'entreprises qui ont adopté des politiques proactives en matière de gestion et d'intégration des seniors et qui en ont tiré des avantages concurrentiels et des gains en performance. La question des seniors doit être abordée comme une problématique à part demandant une gestion RH spécifique et adaptée, au même titre que pour les hauts potentiels ou que pour les jeunes diplômés. Une fois ce parti pris, c'est une démarche de compréhension et de flexibilisation qui doit être entreprise afin de maximiser la valeur apportée par les seniors à l'entreprise. La balle est désormais dans le camp de la Fonction RH.