La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Depuis 2010, l'Espagne possède le plus long réseau ferroviaire à grande vitesse en Europe et dépasse ainsi le pionner français.
Depuis 2010, l'Espagne possède le plus long réseau ferroviaire à grande vitesse en Europe et dépasse ainsi le pionner français. Seule la Chine bat ce record au niveau mondial. Courant 2011, le consortium espagnol mené principalement par la Renfe (la SNCF espagnole), Adif (le gestionnaire de l'infrastructure, équivalent de RFF) et Talgo (constructeur de matériels ferroviaires concurrent d'Alstom) remporte un marché saoudien de 6,7 milliards d'euros portant sur la construction d'une ligne à grande vitesse entre les deux villes saintes de La Mecque et Médine. La grande vitesse espagnole n'en finit plus d'étonner. Son développement impressionne presque autant que celui de la Chine, toutes proportions gardées.
Si des premiers essais ont été menés dès 1966 avec des rames du constructeur Talgo poussées à 200 km/h, il a fallu plusieurs dizaines d'années à l'Espagne pour consolider sa grande vitesse et inaugurer la première ligne AVE (Alta Velocidad Española, « grande vitesse espagnole »). Celle-ci, mise en service en 1992 lors de l'exposition universelle de Séville avec la participation active des acteurs français, relie Madrid et Séville (471 km). L'Espagne décide alors de s'aligner sur le standard européen pour l'écartement des rails plutôt que conserver l'écartement plus large de son réseau historique. La coexistence de deux réseaux impose naturellement des contraintes en termes de choix du matériel roulant et d'exploitation, mais l'Espagne anticipe le développement de lignes à grande vitesse transfrontalières.
Alstom fut le premier constructeur à profiter du marché espagnol. L'industriel français a fourni, entre 1992 et 1996, 18 rames de la série S-100 (300 km/h) et 6 de la série S-101 (220 km/h). La deuxième ligne AVE du réseau construite fut celle reliant Madrid et Barcelone. Elle a été finalisée en 2008, alors que le premier tronçon fut inauguré en 2003. C'est le constructeur allemand Siemens qui a fourni les 16 rames de la série S-103 (Velaro) souhaitées par la Renfe pour l'exploitation de cette ligne.
L'un des objectifs visés par le gouvernement espagnol dans le développement de l'AVE est le désenclavement de certaines régions afin de renforcer la cohésion sociale et territoriale. Dans ce but, entre 2003 et 2010 cinq autres lignes ont été construites permettant de relier de nombreuses villes à Madrid :
Le développement du marché domestique a permis aux deux constructeurs espagnols de développer leurs technologies. En partenariat avec Alstom, le constructeur basque, Construcciónes y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF), a livré ses premières rames pour l'AVE en 2004. Il s'agit de 20 rames de la série S 104 (270 km/h). Un autre appel d'offres a été remporté en 2005 par le même consortium pour 12 rames (série S-120 Alvia, 250 km/h). La CAF a ensuite réussi à exporter du matériel roulant pour la ligne à « grande vitesse » entre Istanbul et Ankara en 2009. Les rames construites sur cette ligne, dont une partie est encore en construction, circulent à 250 km/h.
Le deuxième constructeur espagnol a lui choisi de faire équipe avec Bombardier pour construire 16 rames exploitées par la Renfe depuis 2005 (Série S-102 Pato, 330 km/h). Depuis novembre 2007, 45 unités de la série S-130 sont également exploitées. Avec le contrat saoudien récemment remporté, ce constructeur se dote d'une envergure internationale inattendue lorsqu'on examine sa courte expérience.
Depuis le début de la grande vitesse en Espagne, le chemin parcouru est colossal. En 19 ans, l'Espagne a doublé la France sur le nombre de kilomètres de lignes à grande vitesse et a réussi également à développer sa propre technologie.
Ce développement à grande vitesse a été rendu possible par un investissement massif dans les infrastructures. En 2004, le gouvernement espagnol dévoile un plan stratégique pour les infrastructures de transport (Plan de Infraestructuras de Transporte) en vigueur sur la période 2005-2020. Sur la somme globale de 241,4 milliards d'euros d'investissements, la moitié est dédiée au seul secteur ferroviaire. Pour la période allant de 2006 à 2010, 23,4 milliards d'euros ont déjà été dépensés pour les infrastructures de ce secteur dont 80% (soit 18,7 milliards) pour la construction de lignes d'AVE. Si on en croit le plan, la grande vitesse espagnole devrait compter d'ici 2015 4500 km de lignes :
Le réseau devrait même dépasser la barre des 10 000 km d'ici 2020 (avec 21 nouveaux projets). A titre de comparaison, pour cet horizon RFF, le gestionnaire du réseau ferré français, prévoit seulement la construction de 2 800 kilomètres de LGV supplémentaires.
Mais dans le contexte économique actuel, les objectifs ambitieux de l'Espagne risquent d'être revus à la baisse. Le gouvernement espagnol a annoncé en 2010 son intention de faire 15 milliards d'euros de coupe dans ses dépenses dont 6 dans les transports et leurs infrastructures. Cependant ces réductions touchent moins le ferroviaire que les autres modes. La ligne entre Madrid et Valence a bien été terminée et l'achèvement de la grande vitesse jusqu'à la frontière française n'est pas remise en cause (accords internationaux obligent). La grande vitesse reste la priorité numéro 1 de l'Espagne. En offrant de nouvelles perspectives de croissance et d'emplois et en renforçant l'attractivité touristique du pays, le développement de ce réseau sera un atout majeur pour la croissance économique de l'Espagne. Au-delà de ces considérations locales, la grande vitesse ibérique est devenue compétitive pour la conquête des marchés internationaux. Talgo, Renfe operadora et Adif deviennent des références mondiales de la grande vitesse.
Talgo est une entreprise espagnole de construction de matériel ferroviaire qui a été créé en 1942 sur un concept de train articulé léger avec des roues indépendantes. Pour la grande vitesse, Talgo a développé en partenariat avec Bombardier deux technologies aujourd'hui exploitées. Il s'agit des séries Talgo 250 (vitesse maximale de 250 km/h) et Talgo 350 (350 km/h). Si la dernière présente l'avantage de la vitesse, la 250 présente la particularité de pourvoir rouler à la fois sur les lignes AVE et sur les lignes classiques (avec un écartement plus large) grâce à un système permettant d'ajuster l'écartement des essieux pendant la marche du train. Ces technologies donnent à la Renfe plus de flexibilité sur l'exploitation de son réseau. L'opérateur a la possibilité de, soit faire circuler des rames moins rapides (Talgo 250) sur les deux types d'écartement, soit faire circuler des rames rapides (Talgo 350) sur les lignes AVE avec des navettes qui prennent le relais sur les autres lignes. Dans ce dernier cas, l'utilisation du matériel à grande vitesse est optimisée car il est dédié aux lignes AGV (le nombre de trajets à vitesse maximale est maximisé).
Par ailleurs, le constructeur ibérique met au point le modèle Talgo AVRIL (Alta Velocidad Rueda Independiente Ligero). Celui-ci possèdera des roues indépendantes, marque de fabrique de la compagnie, et des caractéristiques réputées ajustables selon le marché visé : vitesse maximale, capacité, largeur et tension d'alimentation. Pour augmenter encore la polyvalence du concept, Talgo a annoncé la possibilité d'utiliser une propulsion hybride (électrique + diesel-électrique) et d'introduire un système pendulaire pour plus de confort. Selon le constructeur, dans la meilleure configuration possible pour une rame longue de 200 mètres, la capacité serait de 600 passagers. Sur ce critère, le matériel du constructeur rejoindra ce qui se fait de mieux aujourd'hui avec le Zefiro 300 de Bombardier, le Velaro CN / CRH3 de Siemens, et le futur Speedelia d'Alstom. Talgo se positionne ainsi clairement sur les marchés émergents et les marchés transfrontaliers européens. Les 35 rames prévues par le contrat saoudien ne sont peut-être qu'un premier succès international. Par ailleurs, le constructeur a développé plusieurs petites structures, notamment aux USA, afin de se positionner très amont sur les futurs projets de lignes à grande vitesse. Enfin, en louant ou en revendant son matériel excédentaire au Portugal ou en Argentine, la Renfe aide également Talgo à augmenter la notoriété de son matériel.
L'Adif (Administrador de infraestructiras ferroviarias) est un organisme public, créé en 2005 suite à la division de la RENFE. Le développement récent et très rapide du secteur ferroviaire permet à l'Espagne d'être à la pointe dans l'interopérabilité des technologies ferroviaires et la gestion du trafic. C'est un avantage supplémentaire pour l'Espagne dans sa conquête des marchés. Le système de gestion du trafic Da Vinci, développé par Adif pour son réseau à grande vitesse, est aujourd'hui utilisé par le Maroc et la Lituanie.
Adif est devenu également un des leaders dans le développement et la mise en oeuvre du système européen de surveillance du trafic ferroviaire ERTMS (European Rail Traffic Management System). Adif développe sa présence dans le monde et encourage la généralisation des standards espagnols en siégeant dans diverses institutions internationales et en signant des accords avec la Tunisie (SNCFT), la Russie (Russian Railways Company, RZD), le Maroc (ONCF), la Turquie (TCDD), la Pologne (PKP PLK), la Colombie (FENOC), le Chili (EFE) et Mexique (Valley Railroad Suburban).
Depuis 2010, la Renfe Operadora subit la concurrence croissante des autres opérateurs sur le marché déclinant du fret ferroviaire et sur le marché de transport de passagers. Cependant, grâce à ses prestations de service public (transport de proximité), qui sont fortement subventionnées, et à son activité de transport à grande vitesse sur l'AVE, qui est très rentable, la Renfe peut se prévaloir de perspectives favorables. En 2010 l'activité de transport de passagers globale a permis de dégager un résultat net de 46 millions d'Euros, et l'entreprise profitera dans les années à venir de l'expansion du réseau à grande vitesse.
Afin d'augmenter la rentabilité de ces lignes AVE, la compagnie déploie en 2012 un système de yield management (management du revenu) tel que le font les compagnies aériennes ou encore la SNCF. Ce système qui adapte les tarifs en fonction de la demande permettra à la Renfe de mieux rentabiliser et exploiter ces lignes AVE. L'opérateur s'adapte remarquablement à l'exigence de l'exploitation des lignes à grande vitesse.
Dans le fret, la Renfe est déficitaire de 36 millions d'Euros. Elle a annoncé en juin dernier l'ouverture du capital de cette activité à des entreprises privées. Par ce biais, elle espère recruter des partenaires expérimentés avec de fortes compétences techniques et ainsi améliorer sa compétitivité dans ce marché libéralisé. Avec ce nouveau modèle économique, l'opérateur ferroviaire espère augmenter de 7% par an les revenus de cette activité et atteindre 300 millions d'euros de chiffre d'affaires d'ici 2015 (pour cette activité le chiffre d'affaires en 2010 était de 230 millions d'euros).
Pour en finir avec les nouveautés, une organisation a été créée en 2010 pour la gestion et la maintenance du matériel roulant. Pour la Renfe les objectifs de cette nouvelle division sont de :
La Renfe a investi 95 millions d'Euros dans le remodelage de l'atelier Fuencarral (Madrid) afin de répondre aux nouveaux besoins de maintenance liés au développement de la grande vitesse. L'opérateur prévoit également de nouveaux centres à Santa Catalina, Valence et Barcelone.
A l'image de la Chine qui prévoit d'étendre son réseau de LGV à 25 000 km d'ici 2020, de grande vitesse ferroviaire est placée au centre du développement économique espagnol. En s'appuyant sur le développement de son marché intérieur, l'Espagne a su développer des acteurs très compétitifs pour l'exportation et ceux-ci collaborent remarquablement. Ils s'implantent petit à petit dans les pays où la grande vitesse est susceptible de se développer et ils participent à toutes sortes d'évènements internationaux pour vanter les mérites de leurs technologies. A l'image du succès en Arabie Saoudite, l'Espagne semble bien positionnée pour gagner des appels d'offres qui sortiront dans les prochaines années : Brésil, Argentine,... Les investissements consentis pour le développement du réseau domestique permettent aujourd'hui d'offrir à l'Espagne de nouvelles perspectives en termes de croissance et d'emplois industriels.