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La loi Savary pour les nuls

Adoptée le 9 mars 2016 dans un contexte sécuritaire alarmant, la loi Savary s'est imposée comme une mesure forte relative à « la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ».

Promulguée le 22 mars 2016, elle vise à augmenter le potentiel d’intervention des forces de sûreté, qu’elles soient policières ou propres aux transporteurs, avec pour objectif premier de mieux lutter contre les menaces terroristes au lendemain des attentats meurtriers du 13 novembre 2015. L’autre problème majeur des opérateurs de transporteurs ciblé par cette loi est la fraude, qui occasionne plus de 600 millions d’euros de pertes annuelles au niveau national [1]. L’augmentation du périmètre d’action des agents de sûreté, ainsi que des mesures de sanction plus sévères envers les fraudeurs figurent parmi les nouveaux moyens de lutter efficacement contre ce phénomène. L’application du texte de loi, très attendue par l’ensemble des transporteurs, s’est faite petit à petit au gré de la publication de différents décrets. Aujourd’hui, alors que la loi est entrée en vigueur dans sa quasi-totalité avec la publication du dernier décret en mai 2017, il est intéressant de se pencher sur l’application qui en est faite chez les transporteurs et les transformations qu’elle a impliquées.

La loi Savary en cinq points

Le renforcement du rôle et du pouvoir des agents de sûreté ferroviaire

Depuis la publication du décret du 28 Septembre 2016, les agents de sûreté ferroviaire (la SUGE [2] pour la SCNF et le GPSR [3] pour la RATP) ont obtenu le droit d'effectuer des patrouilles et des interventions en civil. Cette nouvelle disposition trouve un intérêt tout particulier pour prendre sur le fait les auteurs d’incivilités et de pratiques malveillantes, comme les auteurs de fraude. En cas d’intervention, les agents devront néanmoins enfiler un brassard ou présenter une carte professionnelle.

Par ailleurs, ce même décret permet désormais aux agents de sûreté, sous certaines conditions dont le passage par une formation spécifique, de porter un pistolet semi-automatique 9 mm équipé de projectiles de service de type expansif. Cette disposition vise à renforcer le pouvoir de dissuasion des forces de sûreté, et leur procure des moyens plus efficaces de neutralisation en cas d’attaque terroriste.

Le texte prévoit également que les agents des services de sûreté de la SNCF et de la RATP puissent procéder, sous conditions, à la fouille des bagages des voyageurs, ainsi qu’à des palpations de sécurité. Cette fouille des bagages et des passagers ne pourra s’effectuer qu’avec l’accord de celui-ci. En cas de refus, les agents peuvent interdire à l'intéressé l'accès du véhicule, le contraindre à en descendre, et l’obliger à quitter sans délai les espaces de transport, gares ou stations. En tant que de besoin, les agents pourront alors requérir l'assistance de la force publique.

Dans un souci de responsabilisation des agents et de résolution des différends, la possibilité d’équiper les agents de « caméras-piéton » a été accordée par la loi Savary. Ces caméras portatives placées sur le torse des agents ont un effet dissuasif asserté, et les images collectées peuvent être transmises en direct à un PC de sécurité, voire même aux forces de l’ordre. Les agents l’utilisant devront nécessairement prévenir les personnes interpellées avant de lancer l’enregistrement. Une expérimentation d’un tel dispositif équipant les agents de la SUGE et du GPSR est prévue pour une durée de trois ans depuis janvier 2017.

Le renforcement de la capacité d’action des policiers municipaux dans les transports

Si les agents de sûreté rattachés aux transporteurs voient leur marge de manœuvre et leur pouvoir de dissuasion augmenter, c’est aussi le cas des agents de police municipale depuis la mise en application de la loi Savary. Ils auront eux aussi la possibilité d’être équipés d’armes à feu, à la distinction près qu’une telle disposition devra nécessairement être validée par l’autorité municipale locale, représentée par la mairie. Cette requête avait été notamment émise par les syndicats de police de la ville de Nice, suite à l’attentat meurtrier du 14 juillet 2016.

Par ailleurs, le champ des infractions relevables par les agents de police municipale a été augmenté par la loi du député Girondin. Ceux-ci pourront en effet verbaliser l’ensemble des infractions relevant de la sûreté des transports, au même titre que les contrôleurs et services de sûreté des transporteurs.

Les agents de police seront désormais habilités à accomplir leur mission sur les autres municipalités couvertes par le réseau de transport local, à la condition que des arrangements soient pris entre ces différentes municipalités. Cela renforce particulièrement le champ d’action des polices municipales, au gré de la bonne entente des municipalités adjacentes.

Enfin, les policiers municipaux, au même titre que les agents de sûreté des transports, participeront à une expérimentation de caméra-piéton similaire à celle effectuée par les agents de la SUGE et la GPSR, à la différence près qu’elle durera uniquement 18 mois, jusqu’au 3 juin 2018.

La répression accrue de la fraude

Avec des pertes considérables liées à la fraude, les opérateurs attendaient le soutien d’un texte de loi pour mettre en œuvre de réelles mesures dissuasives. La loi Savary a répondu à leurs attentes, en redéfinissant dans un premier temps le délit de fraude par habitude : ce délit est atteint à partir de cinq infractions au cours des douze derniers mois, contre dix auparavant. Le contrevenant s’expose alors à une peine allant jusqu’à six mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende.

Si, lors d’un contrôle, l'usager n'a pas ses papiers, les agents de sûreté ferroviaire pourront désormais maintenir un usager le temps qu'un officier de police judiciaire (OPJ) contrôle ses papiers d'identité. Le délit de fuite sera passible de deux mois de prison et de 7500 euros d'amende. D’autre part, la non-justification de son identité en cas de contrôle sera passible d’une amende de 11 euros.

Quant aux mutuelles de fraudeurs, ces caisses communes alimentées par des passagers et destinées à régler les amendes, elles sont désormais interdites. Ce délit est passible de 45000 euros d’amende et de six mois de prison.

La communication sur la présence et la position des contrôleurs via les réseaux sociaux devient également un délit passible de deux mois de prison et de 3750 euros d’amende. Certaines applications, comme « Check my Metro » qui se définissait comme un réseau social dans les transports en commun, mais était utilisé de fait pour dénoncer les emplacements des contrôles, sont notamment dans le viseur de cette loi.

Pour lutter contre les fausses adresses et traquer les fraudeurs, la RATP et la SNCF, dont les taux de recouvrement des amendes sont très faibles (de l’ordre de 15% pour la RATP[4] ), bénéficieront d'un "droit de communication" pour accéder aux données de l’administration fiscale et possiblement d'autres administrations. Cependant, la mise en place de la plate-forme d'informations est retardée par la Sécurité sociale. Car si la Direction générale des finances publiques (DGFiP) a autorisé la consultation de Ficoba (Fichier national des Comptes Bancaires et assimilés) dans un cadre très précis, pour retrouver les coordonnées d'un fraudeur, la Sécurité sociale n'a donné aucune réponse pour croiser les données avec son fichier.

La répression des violences et harcèlements sexistes

Point d’actualité de plus en plus remonté et partagé via les réseaux sociaux, la question du harcèlement et des violences à caractère sexiste dans le métro a été reconnue comme un axe prioritaire dans le texte de loi du député Savary. Les autorités organisatrices des transports devront ainsi établir un bilan des atteintes à caractère sexiste relevées dans les transports publics, qui inclura un plan des actions menées pour lutter contre ces phénomènes. Ce document devra être transmis au Défenseur des droits, mais aussi à l’Observatoire national des violences faites aux femmes et au Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes.

Le criblage des employés transporteurs

La prévention de tout acte terroriste amène les transporteurs à devoir vérifier l’intégrité de leurs salariés, et cette disposition est prévue par la loi Savary. Appelée criblage, cette pratique doit permettre aux entreprises sensibles aux risques terroristes, dont la SNCF et la RATP font partie, de pouvoir interroger les services de renseignement pour déterminer si un candidat à l'embauche ou un employé présente un danger. Rejetée dans un premier temps par le Conseil d'État peu après le vote de la loi, car elle ne précisait pas ce qu'il adviendrait du salarié si celui-ci était jugé "dangereux", la mesure a finalement été validée avec le décret paru en mai 2017.

Résultats et application de la loi Savary

Bien que la loi Savary ne se soit appliquée que par étapes, au travers des différents décrets s’étant appliqués de manière échelonnée de septembre 2016 à mai 2017, sa mise en œuvre a été à l’origine de changements remarqués dans les pratiques des transporteurs.

La lutte contre la fraude est la première activité directement impactée par le texte de loi. Les nouvelles dispositions prévues donnent en effet beaucoup plus de marge de manœuvre aux contrôleurs et agents de sûreté pour effectuer leurs opérations de contrôle, leur permettant de prendre bien plus souvent les contrevenants en flagrant délit.

C’est le cas pour la SNCF, qui a notamment organisé de larges opérations de ce type sur plusieurs lignes de son réseau de trains de banlieue en Ile-de-France, le Transilien, victime chaque année d’un manque à gagner de 63 millions d’euros dû à la fraude [5]. Depuis l’été 2017, les contrôles en civil ont été lancés sur les lignes E et P du transilien, avec un dispositif particulier comprenant deux équipes différentes de contrôleurs : l’une en uniforme réglementaire, l’autre en civil. L’efficacité d’un tel dispositif est revendiquée par le directeur général du Transilien, Alain Krakovitch, qui met en avant « l’effet souricière » qu’il produit : les contrôleurs en civil peuvent désormais bien plus aisément repérer les « fuyards », ces personnes essayant de se soustraire au contrôle, et les obliger à justifier la validité de leur titre de transport. La loi Savary leur permet par ailleurs de retenir les personnes en infraction si celles-ci ne peuvent justifier de leur identité, ce qui n’était pas le cas avant.

En plus de diminuer le taux de fraude, ces opérations ainsi que l’augmentation globale du prix des amendes devraient permettre aux opérateurs de transport d’augmenter les recettes réalisées dans le cadre de la régularisation des situations de fraude. La présidente d’Ile-de-France Mobilités (anciennement STIF), Valérie Pécresse, a ainsi fixé des objectifs précis d’augmentation des recouvrements pour la RATP et la SNCF sur le réseau francilien, à respectivement 20 millions et 10 millions d’euros supplémentaires. Ces objectifs représentent une hausse importante pour les deux transporteurs, la SNCF ayant à titre d’exemple recouvré 9,5 millions d’euros d’amendes en 2015 sur le réseau Transilien.

Outre la répression de la fraude par le contrôle, les opérateurs ont pour ambition de faire baisser le taux de fraude, particulièrement élevé en France en comparaison avec ses voisins européens, par des campagnes de communication. La RATP a ainsi lancé en septembre 2016 une campagne de communication visant à informer les voyageurs des nouvelles dispositions importantes de la loi Savary en termes de répression de la fraude. De son côté, la SNCF avait choisi d’utiliser ses sites internet et différents blogs Transilien afin d’informer les voyageurs des changements amenés par la loi.

Conclusion

La loi Savary, très attendue des autorités organisatrices comme des opérateurs de transport, a apporté des solutions et moyens nouveaux pour lutter à la fois contre la menace terroriste, mais aussi contre la fraude et les incivilités, qui impactent la qualité du service rendu tout comme le bilan financier des transporteurs. Face à ces nouvelles possibilités, les transporteurs ont adopté de nouvelles méthodes et dispositifs, dont les résultats se feront très certainement sentir dans les années à venir.

[1] Article Capital du 10/02/2016 : La resquille fait perdre au moins 600 millions d'euros par an

[2] Pour Sûreté Générale

[3] Groupe de Protection et de Sécurisation des Réseaux

[4] D’après Libération du 4 avril 2016 : Transports en commun : ce que dit la loi Savary

[5] Chiffres publiés sur le site de transilien transilien.fr