La reconversion, parent pauvre des politiques d…
À quatre mois de la COP21, la conservation des ressources en eau et l’optimisation des réseaux apparaissent comme un point d’orgue de la transition écologique vers des économies résilientes.
L’amélioration de la performance des réseaux et du service aux consommateurs passe par une gestion « smart » du petit cycle de l’eau. La télérelève de l’eau (smart-metering) désigne les nouvelles infrastructures de comptage communicant. Ainsi, elle améliore la connaissance du patrimoine des services d’eau potable par leur exploitant. En facilitant le diagnostic en cas d’anomalie sur les réseaux d’eau, elle contribue de manière primordiale à la préservation de la ressource en eau par la réduction rapide des fuites. La télérelève enrichit par ailleurs la qualité du service proposé au consommateur en lui conférant davantage d’autonomie et en instaurant une facturation sur la base de ses consommations réelles et non plus d'estimations. Il s’agit donc d’une innovation au service des consommateurs et des réseaux eux-mêmes.
Sa complexité technique nécessite l’intégration des savoir-faire d’une grande diversité d’acteurs : les équipementiers, les opérateurs télécoms, les éditeurs de logiciels, et les 3 opérateurs historiques de l’eau (Veolia Eau, Suez – la Lyonnaise des Eaux et la SAUR). Alors que le marché mondial de la télérelève d’eau devrait atteindre 12 milliards d’euros en 2018 contre 5 milliards en 2014[ii], le nombre d’acteurs spécialisés ne cesse de croître en France. Les pure players du marché de l’eau ont inscrit leur stratégie dans de nouvelles logiques d’intégration verticale et proposent aujourd’hui des solutions de smart-metering intégrées clés en main. Ainsi, des filiales dédiées au smart water et à la télérelève des compteurs d’eau ont été créées par ces acteurs, désormais positionnés en leaders nationaux du marché de la télérelève de l’eau : m2ocity, filiale de Veolia et Orange, ou encore Ondeo Systems, filiale de Suez Environnement. Ces filiales s’appuient sur une maîtrise de technologies de radio complémentaire à celle des métiers de l’eau.
Il n’existe pas de réalité nationale du marché de l’eau en France à l’instar de l’électricité ou du gaz : les services d’eau en France sont placés sous la responsabilité des collectivités locales. Celles-ci sont propriétaires des installations, déterminent les objectifs, le mode de gestion ainsi que le tarif du service. Deux modes de gestion du service de l’eau prédominent : la régie (la collectivité gère elle-même son service public avec ses ressources propres), et la Délégation de Service Public – DSP (la collectivité délègue le service public à un opérateur privé, pour une durée moyenne de 11 ans). En 2014, la distribution de l’eau potable était majoritairement assurée en gestion déléguée (59 % des usagers étaient desservis dans le cadre d’une DSP[iii]).
Les besoins des collectivités locales déterminent la nature de tout contrat de gestion du service de l’eau, et les exigences requises pour la mise en place d’un service de télérelevé semblent a priori réserver cette opportunité aux grands services gérés en DSP. Techniquement d’abord, le télérelevé est une technologie maîtrisée par les opérateurs privés et leurs filiales dédiées qui disposent de compétences-clés pour sa mise en œuvre. De plus, la télérelève de l’eau s’adresse principalement aux villes ou zones urbaines denses car la distance d’atteinte des ondes radio est limitée et les dispositifs de relais sont coûteux à installer. Par ailleurs, la gestion en DSP favorise les fortes politiques d’investissement et les opérateurs privés sont en mesure de mutualiser à l’échelle nationale les coûts liés à la recherche et à l’exploitation de leurs systèmes de télérelève. Les grands services, dont les métropoles, sont majoritairement gérés par des opérateurs privés : la taille moyenne d’un service géré en DSP est de 9 204 habitants, contre 3 677 pour une gestion directe[iv]. Enfin, la volonté d’un service client différencié ou d’un impact territorial fort tel celui représenté par le déploiement d’un système télérelevé, sont autant d’éléments favorisés par une gestion en DSP. Ce sont aussi des besoins fortement liés aux problématiques des villes qui souhaitent devenir « intelligentes » ou éco-responsables. Les opérateurs privés historiques ont de fait déployé des réseaux de télérelève d’eau pour des collectivités urbaines. Ainsi, le Syndicat des Eaux d’Île-de-France a confié à Veolia Eau et à sa filiale m2ocity le déploiement d’un réseau de 540 000 compteurs d’eau télérelevés sur l’ensemble de son territoire[v]. Tous les consommateurs pourront ainsi fin 2015 bénéficier de services liés à la télérelève de l’eau. Suez Environnement a quant à lui récemment inauguré le Smart Operation Center, centre de supervision et de traitement des données issues de la télérelève de ses 1,2 millions de compteurs équipés en France.
Si les services d’eau ruraux, plus petits, ne disposent pas toujours des moyens pour accomplir de tels projets, certains gros services en gestion directe décident quant à eux de faire appel aux opérateurs privés dans une logique de Partenariats Publics Privés : ainsi, la régie du Havre (qui dépend de la CODAH), a formé un partenariat avec m2ocity pour le déploiement de son réseau de compteurs télérelevés. De même, des acteurs privés alternatifs émergent et peuvent s’implanter dans des territoires non gérés par les 3 opérateurs privés dominants (Veolia Eau, la Lyonnaise des Eaux et la SAUR). La Communauté de Communes du Pays de Gex, dont SOGEDO exploite le réseau d’eau, a par exemple sélectionné un consortium formé par Smarteo Water, Connit et Sigfox pour le déploiement d’ici 2017 d’un système de télérelevé composé de 30 000 compteurs pour ses 80 000 habitants[vi].
Aujourd’hui, le marché de la télérelève se développe principalement à la maille locale favorisant les DSP et davantage adapté aux spécificités des zones urbaines, notamment à travers des partenariats avec les acteurs privés de l’eau dont le savoir-faire favorise la mutation des « villes intelligentes ». À la maille nationale, on constate la subsistance de disparités territoriales fortes en matière d’accès au télérelevé. Malte s’est distinguée comme pionnière dans l’établissement d’un smart-grid multi-fluides à échelle nationale grâce à un partenariat entre IBM, Enemalta Corporation (le fournisseur historique) d’électricité) et Water Services Corporation (le fournisseur historique d’eau) : néanmoins, la superficie de l’île équivaut seulement à 3 fois la taille de Paris. Sur l’hexagone, bien plus grand et rural à 78% en 2010[vii], il conviendra à l’avenir de remplacer les stratégies curatives existantes de traitement des pertes par des compléments à la télérelève simples à mettre en œuvre, là où les réseaux sont les moins efficaces et où la télérelève n’est vraisemblablement pas généralisable à l’ensemble des compteurs.
Le SMAEP des Eaux de Loire, qui compte parmi les plus grands syndicats ruraux de France (124 000 habitants desservis en 2014), a par exemple confié à Veolia Eau le développement dès 2007 d’un plan de sectorisation du réseau afin de conserver un rendement supérieur à 85%. Il a ainsi été divisé en 135 sous-secteurs dont les volumes entrants et sortants sont depuis mesurés à l’aide de compteurs télérelevés ou de débitmètres installés aux points stratégiques de ces sous-secteurs. Les analyses régulières des données permettent alors de déclencher des interventions de recherche et de résolution des fuites. Ainsi, les progrès d’une télérelève rurale, localisée et adaptée aux réseaux étalés, pourrait à l’avenir permettre de palier l’écart de rendement qui existe aujourd’hui entre les réseaux de distribution d’eau des espaces urbains et des espaces ruraux.
Sources
Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, Rapport national des données SISPEA – Edition de juillet 2015, données 2012
MarketsandMarket, « Smart Water management Market – Smart Water meters, EAM, Smart Water Networks, Analytics, Advanced Pressure Management, MDM, SCADA, Smart Irrigation Management, Services – Worldwide Market Forecasts and Anlaysis (2013–2018)”, 2013
Fondation Bordeaux Université, Rapport de l’Observatoire des PPP – novembre 2013
Notes
[i] Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, Rapport national des données SISPEA, edition de juillet 2015, données 2012
[ii] « Smart Water management Market – Smart Water meters, EAM, Smart Water Networks, Analytics, Advanced Pressure Management, MDM, SCADA, Smart Irrigation Management, Services – Worldwide Market Forecasts and Anlaysis (2013 – 2018)”, MarketsandMarket, 2013
[iii] Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, Rapport national des données SISPEA – Edition de juillet 2015, données 2012
[iv] Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, Rapport national des données SISPEA – Edition de juillet 2015, données 2012
[v] SEDIF
[vi] Sigfox
[vii] Insee