Benchmark des Plateformes de Gestion de la…
Omniprésente à Las Vegas au CES 2017, la voiture autonome est devenue le symbole du produit le plus sophistiqué à destination du grand public que l’homme serait capable de fabriquer à grande échelle.
Pour l’industrie automobile, conservatrice, établie, ancienne, c’est une revanche contre la dynamique des firmes qui organisent la société numérique et qui ont volé dans l’inconscient collectif à l’automobile son statut de plus innovante des industries grand public. C’est un enjeu d’image, pour continuer à attirer l’attention du public, notamment jeune, sur le produit automobile. C’est un enjeu de compétences pour continuer à attirer les ingénieurs les plus innovants tentés par les start-up du numérique. C’est aussi un enjeu de société car la multiplication sur la planète des « auto-mobiles » risque de conduire à l’« auto-immobilité ».
Congestions urbaines, pollution sonore, toxicité des gaz d’échappement, réchauffement climatique, mais aussi niveau élevé de mortalité (1,3 millions de morts, 50 millions de blessés par an), sont autant de maux qui touchent cette industrie et la conduisent à se repenser pour délivrer un service adapté au monde nouveau. 2014 a vu soudain apparaître dans le paysage automobile une nouvelle tendance technologique : la voiture sans conducteur. Dans une surprenante surenchère, tous les constructeurs ont annoncé mettre « prochainement » sur le marché une voiture qui pourrait rouler sans que son conducteur ne se préoccupe de cette tâche désormais futile, conduire.
Cette effervescence nouvelle, entretenue par de multiples annonces, répond-elle aux enjeux de marché pour l’industrie automobile ?
Le projet d’un véhicule capable de rouler sans conducteur n’est pas nouveau. On en trouve des prémices dans les visions futuristes des constructeurs dès la fin des années 30. Le projet AHS (Automated Highway System) a été lancé aux Etats-Unis en 1962. Mais les techniques étaient immatures. La ruée actuelle vers ce concept est apparue en sortie de la crise de 2009 comme une réponse de l’industrie au besoin ressenti de renouvellement et d’imaginaire.
Les voitures sont désormais très bien équipées en automatismes multiples qui assistent le conducteur dans sa tâche qui, dans les conditions réelles de circulation, est à la fois complexe et fastidieuse, mais aussi fatigante et dangereuse.
Les constructeurs ont tiré depuis longtemps profit des avancées de l’électronique pour équiper leurs véhicules d’outils d’aide à la conduite, limitant d’autant la capacité du conducteur à dompter sa machine. Capteurs et actionneurs ont été intégrés depuis l’apparition de l’antiblocage des roues au freinage, l’ABS, en 1978, pour aider à la conduite ou se substituer au conducteur en cas d’urgence. De fait, d’ores et déjà, une voiture moderne va prendre des décisions pour maintenir sa trajectoire avec l’ESP (Electronic Stability Program), assurer une vitesse constante avec le régulateur, améliorer l’adhérence en cas de pluie ou de neige, amplifier le freinage en cas d’urgence, avertir d’un franchissement de ligne ou de dépassement d’une vitesse autorisée, tout en pourvoyant le conducteur de multiples informations sur son itinéraire. Ces assistances ne se substituent pas au conducteur, même si elles corrigent, à la marge, ses décisions inappropriées.
Le débat sur la voiture sans conducteur est parti de la volonté initiale de Google de valoriser la suprématie de son système de cartographie, élément fondamental d’un système de conduite autonome qui nécessite une précision de l’ordre du centimètre. Les constructeurs ont réagi en montrant qu’en équipant une voiture de capteurs, radars, scanners laser, outils de géolocalisation et servomoteurs, ils étaient également potentiellement en mesure de se passer du conducteur.
Il est clair que le maillon faible de la conduite automobile, c’est l’homme : 90% des accidents automobiles sont dus à des facteurs humains. Plus d’un million de personnes meurent dans un accident de la route sur la planète chaque année. L’inattention, l’utilisation d’un téléphone ou surtout d’un smartphone au volant, la surestimation de ses capacités poussant à des vitesses excessives, la fatigue, comme la drogue et l’alcool qui dégradent les réflexes sont les multiples causes humaines, souvent additives, à l’origine des accidents. Par ailleurs, les personnes âgées ou handicapées perçoivent leur impossibilité de conduire comme une aggravation de leur isolement.
Dès lors mettre au volant un ordinateur doté de capacités sensorielles puissantes et dépourvu des limites biologiques de l’homme est tentant. La motivation est noble : tendre vers le zéro accident et le zéro mort. Mais on attend aussi de l’automatisation de la conduite des économies d’énergie, une réduction des embouteillages, un gain de temps considérable. A plus long terme, il suffira d’une flotte limitée de voitures sans conducteur, roulant en permanence, pour assurer un service personnalisé à domicile. Mais pour atteindre ces résultats il faudrait que la machine elle-même soit exempte de failles, tant dans la conception que dans la gestion des décisions. Confier sa vie à des automates et des algorithmes impose le zéro défaut.
On ne devrait pas encore parler de « voiture autonome » mais de voiture à « délégation de conduite ». Ce terme de délégation de conduite à des ordinateurs, permet en effet de couvrir une large gamme de situations.
La conduite automobile est en effet une tâche complexe. Le travail du conducteur est assisté par de multiples copilotes prévenants. Il faut infuser dans les ordinateurs de bord l’expertise du conducteur. Une voiture à conduite automatique qui se subsisterait aux véhicules actuels devrait remplir les missions polyvalentes d’un conducteur. Or les obstacles sont multiples : emprunter un itinéraire varié, sur des routes hétérogènes, en milieu urbain dense ou en rase campagne, faire face aux aléas du trafic, aux comportements imprévisibles des usagers et aux conditions météorologiques, aux changements de la configuration de la route. C’est le pari de l’intelligence artificielle qui va permettre aux véhicules d’apprendre la complexité de la conduite par l’expérience.
Pour le moment la délégation de conduite totale de niveau 4, qui fait de la voiture un véhicule réellement autonome à qui il s’agit d’indiquer la destination, n’est qu’un rêve lointain. Les voitures sont soumises à des conditions de fonctionnement bien plus difficiles que les avions, dont les conditions d’usage sont plus simples à modéliser et à programmer. Pour atteindre une telle fiabilité, condition indispensable à la prise de risque que représente la commercialisation de ces produits, il faut sécuriser l’ensemble des composants physiques et logiciels, capteurs, processeurs, programmes intégrant l’intelligence artificielle («machine learning »), automatismes. Un tel équipement complexe ne peut qu’être très coûteux dans cette phase d’innovation et de développement. Toutefois l’industrie électronique a toujours su faire baisser le prix des composants et on attend une diminution rapide, avec la multiplication des fournisseurs, du coût de ces capteurs pour atteindre des prix compatibles avec le marché.
Il faut donc revenir à une réalité opérationnelle qui fera certainement moins rêver mais qui a plus de chances de se concrétiser rapidement. Toyota prône une approche pragmatique et graduelle qui parle de voiture autonome, par couches successives d’avancées techniques, mais non sans conducteur. L’humain, pour Toyota, doit en effet rester en permanence en situation de contrôle. Cette piste est la plus vraisemblable. C’est d’ailleurs ce que valident les études sur l’acceptabilité du véhicule autonome. D’après une étude publiée par l’Université du Michigan en mai 2016, 46% des conducteurs interrogés souhaitent conserver le contrôle de leur véhicule et 95% veulent continuer à avoir un volant et le contrôle du freinage. Les constructeurs vont "simplement", même si le travail est déjà considérable, étendre progressivement le champ des automatismes déjà installés, en commençant par le très haut de gamme pour financer le coût de ces développements. Un tiers des conducteurs attendent d’ailleurs favorablement cette extension des outils semi-autonomes.
Un des aspects complexes de l’essor de la voiture autonome est son modèle d’affaire. Est-il pertinent de doter un véhicule de capacités techniques de pointe qui resteraient, dans le modèle actuel de possession individuelle en pleine propriété, inutilisées 97% du temps ? L’émergence du véhicule autonome repose avec acuité le problème du coût de possession et donc de la mutualisation des usages.
Il n’y a vraisemblablement que dans les usages professionnels que ces équipements pourront se justifier dans les prochaines années. On voit en 2016 se multiplier ce type d’expériences dans des environnements variés. Il s’agit généralement de navette de passagers autonome adaptée aux espaces sous contrôle comme les aéroports, les ports, les parcs d’attraction ou d’exposition. Il faut également suivre les travaux d’Uber pour valider un modèle de conduite automatique hautement sécurisée qui permettrait de fournir le service sans devoir gérer les chauffeurs. Les véhicules lourds comme les engins de manutention, en site propre, et les poids lourds profiteront également de l’avancée de ces techniques.
Le véhicule routier autonome est sorti du rêve pour engager une longue marche vers un déploiement opérationnel. Mais sur les 90 millions de véhicules commercialisés sur la planète, très peu sont éligibles pour entrer dans cette nouvelle aventure. Il faudra certainement de nombreuses années pour que le véhicule autonome de niveau 4 soit réellement visible sur les routes quand on constate la très lente vitesse de pénétration des véhicules électriques qui pose beaucoup moins de problèmes techniques. En revanche, le niveau 3 risque de se démocratiser assez rapidement au grand bénéfice de la sécurité routière et du confort des conducteurs.
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