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Le développement du modèle low-cost long courrier

Depuis les années 2000, le modèle low-cost des lignes court- et moyen-courriers s’est fortement développé dans le monde. Ainsi, Ryanair est aujourd’hui la première compagnie aérienne mondiale en termes de passagers transportés sur des liaisons internationales.

Depuis les années 2000, le modèle low-cost des lignes court- et moyen-courriers s’est fortement développé dans le monde. Ainsi, Ryanair est aujourd’hui la première compagnie aérienne mondiale en termes de passagers transportés sur des liaisons internationales (81,7 millions de passagers en 2014, rapport annuel Ryanair 2014 (1)). Et si ce modèle est un succès, la pérennité d’un modèle équivalent pour le long-courrier reste en débat dans l’industrie aérienne. En 1977, la compagnie Laker Airways lance la première ligne low-cost Londres-New-York qui devra être arrêtée en 1980. Depuis, le modèle a été repris et semble se développer en Asie et alors que le modèle court- et moyen-courrier a déjà bouleversé le marché aérien en Europe, le développement de son pendant long-courrier pose la question de l’avenir des grandes compagnies européennes.

I- Un modèle qui s’est développé en Asie…

Le modèle long-courrier à bas coûts se développe en Asie où différents acteurs se sont implantés depuis le milieu des années 2000. Ils connaissent tous une croissance importante, supérieure à celles de compagnies historiques de la région (voir figure 1).

Air Asia X

Air Asia X est une filiale de la compagnie Air Asia, compagnie à bas coûts basée à Kuala Lumpur (Malaisie). Cette filiale s’est spécialisée sur les trajets long-courriers (> à 5 heures) dans une région asiatique où ces lignes sont nombreuses afin de relier l’Asie du sud-est, l’Australie, et le Japon. Elle dessert alors des lignes telles que Melbourne – Kuala Lumpur (7h20).

Air Asia X a démarré ses opérations fin 2007 et a depuis connu un développement important avec plus de 10 millions de passagers transportés et une croissance de son chiffre d’affaire de 128% de 2010 à 2014 (2).  

La compagnie est notamment connue pour la création de lignes Londres/Paris – Kuala Lumpur  à la fin des années 2000. Si ces lignes ont rapidement été stoppées en 2012, 3 ans après leurs ouvertures, la compagnie n’exclue par un retour en Europe sur du moyen terme.  En effet, la fermeture de ces lignes avait plus à voir avec la conjoncture économique et le type d’avion utilisé  (Air Asia X utilisait alors un Airbus A340) qu’avec la rentabilité de celles-ci (la ligne Londres-Kuala Lumpur affichait des taux de remplissage supérieurs à 80%(3)).

Jetstar

Les vols long-courriers de la compagnie Jetstar sont nés d’une réponse à Air Asia X par la compagnie historique australienne, Quantas. La filiale low-cost a initié ces vols en 2008 en quittant son rôle d’acteur domestique et en développement différentes filiales en Asie. Le groupe Jetstar relie aujourd’hui près de 60 destinations de la région et dessert notamment une route Melbourne-Honolulu (environ 10 heures) pour un peu plus de 200€(4).

Scoot

Comme Jetstar, Scoot est née d’un acteur historique : Singapore Airlines. Elle est créée en 2011 en réponse aux autres compagnies à bas coûts.  Elle dessert aujourd’hui 14 destinations, parmi lesquelles une route Singapour – Sydney (8 heures). Son développement se confirme par le renouvellement progressif et l’extension à venir de sa flotte par une vingtaine de Boeing 787 depuis 2015 (5).

FIG 1. - Sur ces cinq dernières années, la croissance des compagnies low-cost de la région Asie est supérieure à celle de scompagnies historiques

II- … qui reprend les caractéristiques du low-cost court- et moyen-courrier tout en adoptant ses spécificités …

Le modèle low-cost long-courrier est encore en train de se dessiner. Il s’inspire néanmoins fortement du modèle low-cost traditionnel et il n’est pas étonnant qu’une compagnie comme Air Asia X, filiale d’une compagnie low-cost, en soit le fer de lance aujourd’hui. En reprenant une à une ses caractéristiques, ce modèle permet de mieux comprendre comment se construit le modèle économique du long-courrier (voir figure 2).

FIG 2. - Certaines caractéristiques du low-cost traditionnel doivent être adaptées au long-courrier

  • Une maximisation des rotations des avions. Si ce point est une caractéristique majeure du low-cost courte distance, il paraît difficile à appliquer aux long-courriers. Sur ce type de trajet, le nombre d’heures de vol/jour d’un appareil est en effet déjà élevé. De plus, les temps d’immobilisation au sol paraissent difficilement compressibles. Ils comprennent des temps de repos du personnel et des opérations techniques (telles que le plein de kérosène). Enfin, il est difficile d’appliquer des allers-retours le plus rapide possible quand la demande est centrée sur des vols de nuit, immobilisant l’avion pendant la journée. 
  • Un réseau constitué de liaisons point à point. Ici encore, l’exploitation de vols sans escales et sans transferts peut difficilement être réalisée pour dégager des économies. Le modèle long-courrier repose en effet sur des hubs avec beaucoup de passagers (favorisant le taux de remplissage des avions) provenant de correspondances. Le groupe Air Asia a bien compris ce point et opère des synergies entre son organisation courtes-distances et son organisation longues-distances (Air Asia et Air Asia X). En 2014, 60% des passagers Air Asia X ont ainsi réalisé des correspondances entre leurs vols et des vols du groupe Air Asia(6).
  • Une desserte d’aéroports secondaires. La nécessité de massifier les flux de voyageurs impacte aussi cette caractéristique du modèle low-cost courtes-distances. Pour le long-courrier, les compagnies doivent en effet réaliser un arbitrage entre l’utilisation d’aéroports secondaires, aux tarifs compétitifs mais plus éloignés des centres urbains, avec des hubs permettant de garantir des flux importants de passagers. Cette caractéristique est néanmoins bel et bien reprise dans certains cas. Ainsi Air Asia X opère en Thaïlande depuis le second aéroport de Bangkok, Don Mueang.
  • La maximisation de la distribution directe, en ligne, via le site de la compagnie, pour éviter les coûts de distribution des intermédiaires classiques (telles que les agences de voyage ou les GDS).  Cette caractéristique peut être reprise dans les modèles long-courriers. L’importance des GDS sera néanmoins plus importante en raison de la connexion nécessaire avec des correspondances. Les compagnies Scoot et Jetstar, comptent notamment sur l’image de leurs maisons mères, Singapore Airlines et Quantas, pour bénéficier d’une redirection naturelle vers leurs vols.
  • L’utilisation d’une flotte d’avions homogène pour diminuer les coûts de formation, de pièces détachées et de maintenance. Les compagnies jouent pleinement sur ce point en misant notamment sur des appareils de nouvelle génération tels que les Boeing 787 Dreamliner ou les Airbus A330-Neo (voir figure 3).

FIG 3. - Les compagnies low-cost misent sur une flotte homogène d'avions de nouvelle génération pour leurs activités long-courriers

  • Une minimisation des coûts structurels. Sur ce point, les compagnies long-courriers à bas coûts profitent de leur flotte récente et des nouveaux appareils disponibles aux catalogues des constructeurs : Airbus et Boeing. Ainsi, la nouvelle série NEO (New Engine Option) et le 787 Dreamliner offrent respectivement des perspectives de réductions du poste carburant de allant jusqu’à 20% par rapport à leur précédente génération (7). En termes de masse salariale, les compagnies asiatiques peuvent de plus compter sur un vivier de travailleurs à bas coûts qui pourront leur bénéficier sur des marchés internationaux. De plus, le coût unitaire peut être revu à la baisse en optimisant la densification des cabines avec des avions mono-classe. Ainsi là où Singapore Airlines fait voler des Boeing 777-200 à 323 sièges, sa compagnie low-cost, Scoot, propose des configurations à 402 sièges (+25%)(8). Cette densification peut aussi s’opérer avec des classes premiums réduites. Sur ses Boeing 787, Norwegian propose 32 sièges en premium economy pour 292 au total contre 60 sièges chez British Airways (toutes classes premium confondues) pour 214 au total (9). Enfin, de nouvelles filiales low-cost peuvent bénéficier de nouvelles négociations salariales pour optimiser la productivité de leurs salariés par rapport à leurs maisons mères. C’est notamment sur ce dernier point que les compagnies européennes auront une carte à jouer.
  • Une offre « dépackagée ». Il s’agit ici d’un point crucial pour le low-cost long courrier. Le modèle low-cost repose sur des tarifications « nues » des billets autour desquelles de nombreux services additionnels sont proposés (ancillary services). Sur le long-courrier, cette source de revenu représente un enjeu important avec des passagers qui passent plus de temps en vol et qui ont par conséquent plus de chances de céder à des achats compulsifs. Ainsi, la compagnie Scoot développe ses services annexes avec, pour exemple, des locations de tablettes durant ses vols. Ses ancillary services représentent déjà plus de 20% de ses revenus (10). Chez Air Asia X, en 2014 ils représentaient 19,9% du CA (11).

III- … et qui commence à intéresser les compagnies européennes

En Europe, des initiatives de compagnies historiques comme de compagnies à bas coûts commencent à apparaître.

En Europe

Depuis 2013, la compagnie low-cost Norwegian a commencé des opérations long-courriers. Ces dernières permettent dans un premier temps de relier Oslo et Stockholm à New-York ou encore à Bangkok. La compagnie a depuis ouvert une ligne New-York – Londres opérant depuis le second aéroport de la capitale anglaise : Gatwick. La stratégie de la compagnie repose sur l’utilisation du Boeing 787 Dreamliner, sur une optimisation des temps de vols des avions, et, pour les vols asiatiques, sur une partie du personnel basée à Bangkok. La compagnie profite notamment d’une masse salariale compétitive comparée aux groupes historiques européens (voir figure 4). Après deux ans d’opérations, si Norwegian ne communique pas encore sur son éventuelle rentabilité, la compagnie indique un bon taux de remplissage de ces lignes long-courriers : 91% (12).

Mais les compagnies historiques ne restent pas passives. Chez Lufthansa, l’offre long-courrier est déjà en développement via la filiale low-cost Eurowings. Preuve de l’enjeu pour cet acteur allemand, le groupe  a annoncé une nouvelle organisation pour janvier 2016 qui mettra sur un pied d’égalité les branches premium (Lufthansa, Austrian, Swiss) et low-cost (Eurowings). Les premiers vols long-courriers de cette dernière devraient décoller en octobre avec des destinations telles que Dubaï, la Thaïlande ou encore les Caraïbes, depuis Bonn et Cologne. La compagnie opérera à l’aide d’Airbus NV A330 et attend une rentabilité sous 12 à 24 mois. Du côté d’IAG, le modèle low-cost « est à l’étude » (13).

En France

En France, XL Airways s’engage déjà sur un segment plus économique du long-courrier.  La compagnie se base notamment sur l’utilisation de flottes mono-classe ou bi-classe avec une classe Premium Galaxie faiblement représentée (maximum 21 sièges par avion (14)) pour augmenter le nombre de sièges par avion. Elle dégage aussi des économies sur les services en proposant, par exemple, des divertissements collectifs plutôt que des écrans individuels. Des tablettes sont alors disponibles comme service additionnel ou gratuitement en classe Premium Galaxie.

FIG 4. - Le faible poids de leur masse salariale donne un avantage compétitif important aux compagnies low-cost (LCC) 

Le low-cost long-courrier devrait aussi être développé par Air Caraïbes. La compagnie a annoncé lors de son assemblée générale, en juin, qu’elle planifiait l’exploitation d’une filiale low-cost, le projet « Sunline ». Cette compagnie devrait débuter ses opérations en juin 2016 et exploitera un Airbus A330-300 commandé pour ses besoins en ciblant les marchés loisirs. La rentabilité de la compagnie passera notamment par des ventes directes par internet et par une augmentation du nombre d’heures de vol du personnel : 800 heures contre 750 à l’heure actuelle (15).

Conclusion

Si la pérennité d’un modèle low-cost long courrier depuis et vers l’Europe reste encore à démontrer, les compagnies historiques, telles que Lufthansa, semblent néanmoins vouloir réagir plus vite qu’elles ne l’ont fait dans le cadre des court- et moyen-courriers. Avec des cours du baril de pétrole au plus bas et des négociations salariales en cours, dans le cadre de leurs plans de transformation, l’heure est certainement à la réflexion sur cette problématique.

(1) International Air Transport Association (IATA)

(2)Rapports annuels Air Asia

(3)AirAsia X Will Wait Before Returning To Europe, Aviation Week, Janvier 2015
(4)Prix de base observé le 16/09/15 sur le site Jetstar.com pour un vol aller simple le 17/10/15: 319 $ AUD
(5)Scoot begins new chapter as Singapore Airlines long-haul LCC subsidiary takes first 787,Centre for aviation-  CAPA, Janvier 2015
(6)Air Asia X, Rapport annuel 2014
(7)Sites officiels, Airbus et Boeing
(8) Scoot begins new chapter as Singapore Airlines long-haul LCC subsidiary takes first 787, CAPA, Janvier 2015
(9) Sites officiels, British Airways et Norwegian
(10) Asian Budget Airlines Broaden Revenue Streams, Wall Street Journal, Février 2013 
(11) Air Asia X, Rapport annuel 2014
(12) Norwegian Air Shuttle 2Q2015 back to operating profit. Long haul load factor 91%; leasing draws near ,Centre for aviation-  CAPA, Juillet 2015
(13) IAG 'evaluating' low-cost long-haul model: Iberia chief, FlightGlobal, Juin 2015
(14) Site officiel Xl Airways
(15) Air Caraïbes lance sa compagnie low-cost, Le  Monde, Juin 2015