La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Retenu en décembre 2007 par le Chef de l'Etat en Conseil de modernisation des politiques publiques, le «projet Balard» entre dans sa phase décisive: il s'agit de regrouper d'ici fin 2014 l'administration centrale du Ministère de la Défense à Paris sur le site de Balard, dans le XVème arrondissement.
Les pouvoirs publics viennent de trancher : le futur Pentagone à la française sera l'oeuvre de Bouygues. Le contrat de partenariat, estimé à plus de 3 Mds d'euros, sera signé le 30 avril. Projet architectural majeur, le projet Balard représente l'aboutissement d'une refonte globale du ministère de la Défense.
L'objectif est ambitieux : réunir en 2014 en un même lieu près de 10 000 personnes, aujourd'hui éparpillées sur une quinzaine de sites parisiens, dans 300 000 mètres carrés de bureaux. Il s'agit du plus grand chantier immobilier depuis celui de la Bibliothèque Nationale en 1995, et le plus vaste déménagement jamais entrepris par l'Etat depuis le transfert du ministère des finances du Louvre à Bercy à la fin des années 1980.
Le projet comporte trois volets :
- la construction de 140 000 m2 de bâtiments neufs (principalement à l'ouest du site) ;
- la rénovation de 140 000 m2 de bâtiments existants sur la parcelle est et du bâtiment Perret de la parcelle ouest ;
- dans l'optique de générer des recettes annexes, la construction de 90 000 m2 de bureaux locatifs et commerces sur l'extrémité ouest.
Balard deviendra une véritable « ville dans la ville », avec en plus des centres opérationnels des armées, des restaurants, des hébergements pour près de 850 personnes, trois crèches, un espace média, un centre sportif dont une piscine de 25 mètres ouverte aux parisiens.
Lancés en 2004, les dispositifs de partenariat public privé (PPP) permettent de confier au secteur privé le financement et la réalisation d'équipements publics, moyennant l'octroi d'un loyer ou de recettes d'exploitation pendant de longues périodes (25 à 35 ans).
Pour le Pentagone à la française, la solution d'un partenariat a été préférée à une opération strictement patrimoniale compte tenu de l'ampleur de la tâche. Il reviendra au constructeur (Bouygues) de supporter le coût de l'investissement - estimé à 600 millions d'euros - et d'assurer la maintenance des bâtiments (restauration collective, nettoyage, etc.) contre la perception d'un loyer annuel de 132 millions d'euros pendant 27 ans, au terme desquels l'Etat deviendra propriétaire de l'ensemble.
Malgré quelques risques en matière de sécurité, les avantages du PPP ne sont pas négligeables :
- le gouvernement ne dépensera pas un centime tant qu'il n'aura pas pris possession de ses nouveaux locaux en 2014 ;
- il n'aura pas le problème du financement à court terme et pourra redéployer le produit des sites libérés (600 millions en théorie) et vendus pour abonder les crédits d'équipement de la défense ;
- un partenaire privé qui s'engage de manière contractuelle est plus à même de respecter les délais.
Projet non seulement immobilier, « Balard 2015 » s'inscrit de fait dans la réforme globale des armées engagée depuis quelques années déjà et qui devrait aboutir à la suppression de 54 000 postes et à la création en 2011 de 60 « bases de défense » interarmées, de manière à mutualiser au maximum les structures de soutien pour que le plus grand nombre de militaires puissent désormais se consacrer au coeur de leur métier et soient affectés dans les forces.
La même logique interarmées se cache derrière le « projet Balard », qui sera l'occasion pour une réorganisation en profondeur des états-majors et services centraux, en combinant une réduction globale des effectifs et une nouvelle répartition entre les implantations à Paris, dans la proche banlieue et en province.
Plusieurs chantiers ont déjà été ouverts pour permettre une mutualisation des fonctions support :
- création d'un service parisien unique de soutien à l'administration centrale (SPAC) ;
- cible de 200 applications informatiques contre les 750 actuellement utilisées;
- mutualisation de la fonction communication des quatre états-majors ;
- harmonisation entre armées et entre personnels civils et militaires des droits et des processus dans le domaine des ressources humaines ;
- instauration d'un système d'information des ressources humaines ministériel unique (SIRH).
En matière de gouvernance, le regroupement donnera une réalité concrète aux nouvelles modalités de management mises en place (comité exécutif, comité d'investissement) et favorisera les échanges entre les états-majors et les principaux services administratifs de pilotage et de contrôle. Une nouvelle architecture du haut commandement militaire devrait par ailleurs apparaître à la faveur de ce déménagement.
Le déménagement à Balard représente une occasion unique pour accomplir la modernisation du ministère à condition que les risques liés au changement soient pris en compte et maîtrisés.
La réduction des effectifs et la sélection des services transférables à Balard devront faire l'objet d'un accompagnement social adéquat et d'une concertation préalable, tout en essayant de tenir compte des objectifs en matière de ratio gérant-géré (passer de 3,14 à 2,78 en 2013).
L'uniformisation préalable des outils informatiques (objectif de passer de 9,47 applications par fonction à 5,9 en 2013) et la création d'un SIRH unique faciliteraient certainement la rapidité d'intégration des équipes si elles pouvaient intervenir en amont du déménagement, afin de donner le temps aux agents de s'y familiariser.
Enfin, le « choc des cultures » propres aux différentes armées ne doit pas être sous-estimé : il serait donc souhaitable de recenser en amont les bonnes pratiques enregistrées lors des fusions territoriales au niveau des « bases de défense », pour capitaliser sur les expériences passées et faciliter la fusion.
Après s'être dotée de son avion présidentiel sur le modèle de l'Air Force One, la France disposera-t-elle de son Pentagone à Balard en 2014 ? L'analogie fait sourire plus d'un à Washington : le siège du Département de la Défense accueille en effet 22 000 personnes sur 600 000 mètres carrés. Pourtant, malgré les différences de taille, le concept reste le même, et ce projet pharaonique pourrait devenir le symbole d'un ministère qui aura su, avant les autres, se réformer en profondeur, jusqu'aux fondations.