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Le train à grande vitesse aux Etats-Unis : quelle place dans l'offre de transport et le paysage urbain ?

Fin Août 2016, Alstom décrochait un contrat historique de 1,8 milliard d’euros pour vendre ses trains à grande vitesse aux Etats-Unis.

Fin Août 2016, Alstom décrochait un contrat historique de 1,8 milliard d’euros pour vendre ses trains à grande vitesse aux Etats-Unis. La compagnie ferroviaire américaine Amtrak a commandé au groupe français 28 trains de nouvelle génération pour le «Northeast Corridor», la seule ligne à grande vitesse du pays qui relie Boston à Washington DC via New York et Philadelphie (sur une distance de 730 kilomètres). Ce contrat comprend la fabrication aux États-Unis de trains pendulaires de dernière génération à laquelle s'ajoute un support technique d'une durée de quinze ans. Les premiers essais devraient être réalisés en 2019, et les premières séries devraient sortir des usines en 2021.

L’annonce de ce contrat est intervenu au moment où le développement des infrastructures de transport faisait partie des enjeux de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, pays où le train reste le moyen de déplacement le moins emprunté face à la voiture reine et à l’avion. Si l’ex-président Obama a fait de la politique ferroviaire un de ses fers de lance, en annonçant en 2010 la réalisation de 13 tracés de lignes ferroviaires à grande vitesse, le président Trump devrait faire perdurer ce dynamisme.

Cependant, si l’engouement américain vis-à-vis de la grande vitesse se renforce, le pays reste confronté à des problématiques de financement et à des questionnements sur l’utilité et la cohérence spatiale de la grande vitesse ferroviaire pour le territoire des Etats Unis.

Quelle est la place du rail et en particulier de la grande vitesse dans l’histoire des politiques de transports étatsunienne et l’offre actuelle de transport ? Dans quelle mesure les projets actuels de développement de la grande vitesse aux Etats-Unis modifient les réseaux de transports et restructurent le paysage urbain ?

Le rail aux Etats-Unis : sa place dans la répartition modale actuelle et l’héritage des politiques de transports de ces 40 dernières années

La répartition des différents modes de transport aux Etats-Unis témoigne du retard culturel américain vis-à-vis du secteur ferroviaire, en particulier pour la Grande Vitesse.

Le terme de « Grande Vitesse » désigne aujourd’hui les lignes ferroviaires permettant de faire circuler des trains à 200 km/h minimum [1].  En conséquence, les lignes Grande Vitesse se caractérisent par la présence de systèmes de signalisation évolués adaptés à des vitesses importantes.

La Grande Vitesse américaine se heurte à deux modes de transports majeurs du pays que sont l’avion et l’automobile : le premier pour les longs trajets, soit au-delà de 500 km [2], comme en témoignent les quelques 15 000 aéroports du pays, le second pour les trajets plus courts, notamment pour se rendre sur son lieu de travail. Pour 209 millions de titulaires du permis de conduite, 246 millions de véhicules sont répertoriés sur l’ensemble du territoire américain.

Le secteur ferroviaire est quant à lui le mode privilégié pour le transport de marchandises. Néanmoins, la ligne Grande Vitesse du Nord Est, la seule actuellement en exploitation, transporte plus de 3 milliards de passagers par an.

Les transports en commun au sein des villes (métro, bus et tramway) sont relativement peu fréquentés. A titre d’exemple, ils représentent 10% des modes de transport au sein de Los Angeles. New-York fait exception avec une fréquentation élevée des transports en commun, qui représentent dans ce cas les modes de transport dominants pour circuler dans la ville.

La Grande Vitesse américaine s’est développée relativement tard, à partir de la fin du 20e siècle, en comparaison à l’Europe ou l’Asie qui ont démarré les investissements après la Seconde Guerre Mondiale pour proposer des services Grande Vitesse dès la fin des années 60, et un développement considérable des lignes Grande Vitesse par la suite.

Figure 1: Chronologie de l'histoire du secteur ferroviaire et de la Grande Vitesse aux Etats-Unis

Le réseau ferré américain a été construit au cours du XIXe siècle, mais il ne fut exploité qu’à partir du XXe siècle. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, la plupart des longs trajets se faisaient en train [3]. L’attractivité de ce mode de transport, au départ améliorée grâce à des trains de plus en plus profilés donc rapides, a néanmoins été altérée par les accidents survenus, notamment en 1921. D’autre part, l’émancipation de l’automobile, combinée à la crise économique de 1929, ont freiné le développement du ferroviaire aux Etats-Unis.

La période d’après-guerre est marquée par un nouvel accident résultant d’une collision entre deux trains, qui a conduit à la mise en place de systèmes de contrôles de trains, ainsi que de limitations de vitesses, imposés par la Commission de Commerce Inter-états (ICC). Les pays bombardés durant la guerre (Europe, Japon) ont fait le pari de l’investissement dans le secteur ferroviaire, la population, de plus en plus importante sur la 2ème moitié du 20e siècle, ne pouvant se permettre d’investir dans l’automobile [4]. De leur côté, les Etats-Unis ont développé leur réseau routier, et plus particulièrement les autoroutes, afin de répondre aux attentes du peuple américain, constatant les progrès édifiants du secteur automobile.

Le terme de Grande Vitesse n’apparaît finalement que dans les années 60, avec le High Speed Ground Transportation Act en 1965, qui aboutit à la création du Metroliner, circulant entre Washington DC et New York à une vitesse maximale de 200 km/h. Par la suite, le Passenger Rail Road Rebuilding Act de 1980, et l’Intermodal Surface Transportation Efficiency Act de 1991 ont permis la construction de cinq corridors Grande Vitesse à partir de 1992. L’Acela Express, pouvant atteindre 240 km/h, fut mis en service sur le corridor Nord-Est entre Boston et New York en 2000 pour remplacer complètement le Metroliner en 2006, représentant alors 25% des revenus de l’exploitant Amtrak.

L’arrivée à la présidence de Barack Obama en 2008 a donné une impulsion au développement de la Grande Vitesse aux Etats-Unis, avec plusieurs projets de construction de corridors Grande Vitesse, dont la ligne californienne, soit un investissement d’ensemble de 8 milliards de dollars sur cinq ans. L’augmentation du prix du pétrole, ainsi que les embouteillages constants sur les autoroutes, ou encore l’augmentation de la sécurité dans les aéroports avec des menaces d’attentat de plus en plus importantes, ont d’autant plus favorisé le récent développement de la Grande Vitesse aux Etats-Unis.

Les projets de développement de la grande vitesse aux Etats-Unis : l’étude du cas californien [5]

Si l’actualité de l’été 2016 fut marquée par le contrat décroché par Alstom pour l’exploitation du corridor Nord-Est, un autre corridor Grande Vitesse, celui reliant San Francisco et Los Angeles, est à l’étude des industriels ferroviaires. Ce corridor, dont les travaux ont démarré en 2015, devrait être mis en exploitation en 2020. Le projet californien est certainement l’exemple qui témoigne le plus de la nouvelle dynamique insufflée par la présidence Obama.

En effet, les californiens prévoient une arrivée en grandes pompes dans le monde de la grande vitesse ferroviaire.  Ce corridor devra relier San Francisco à Los Angeles en 2h40 environ et pour ce faire le matériel roulant devra atteindre les 350 km/h en circulant sur des voies longues de 1200km. La réalisation du projet se décompose en la construction de 8 tronçons qui seront livrés entre 2018 et 2029. L’infrastructure reliera 24 villes dont Sacramento, San Francisco, Los Angeles et San Diego.

Le projet trouve ses racines en 1993 lors de la mise en place de la High Speed Rail Commission. Cette commission créée par l’Etat doit mener des travaux préliminaires et monter une agence publique chargée de l’élaboration du projet. Trois ans plus tard, la California High-Speed Rail Authority (CHSRA) est conçue à cet effet. Trois années après avoir entamé les études d’impacts, la première proposition de projet est rendue publique en 2004. En 2008 la Proposition 1A, autrement appelée Safe, Reliable High-Speed Passenger Train Bond Act for the 21st Century, est soumise à un référendum californien. Son approbation à 52,7% autorise l’Etat californien à émettre 9.95 milliards de dollars d’obligations à caractère général ; ce procédé est fréquemment utilisé pour le financement de projets publics et repose sur la capacité de remboursement d’un Etat via impôts et taxes notamment. Viennent s’ajouter en 2009 2,34 milliards de dollars de subvention suite à une décision de l’administration du président Obama. Malgré ce pas vers l’avant, et le soutien fervent de Jerry Brown, actuel gouverneur de la Californie, la controverse autour du projet tient bon. De nombreuses poursuites judiciaires motivées par la remise en question de la légalité du projet sont un frein à l’acquisition des terrains nécessaires au démarrage du projet. Aussi, certains opposants soulèvent que les financements dégagés auraient plutôt dû permettre de rénover les infrastructures ferroviaires existantes. Les travaux débutent finalement en juin 2015. Cependant, les maigres sources de financement interrogent sur la pertinence de réaliser le tronçon entre Merced et Fresno en premier. Dans l’hypothèse où la réalisation serait parcellaire, le segment en place serait peu fréquenté puisqu’il ne desservirait pas les villes principales du tracé proposé.

Outre les incertitudes évoquées, des interrogations concernant l’impact potentiel de la mise en place d’un tel axe névralgique sont régulièrement émises. A l’échelle de la nation, le projet souligne la notoriété californienne. A l’échelle de la Californie, cette nouvelle alternative de transport est susceptible d’engendrer des évolutions structurantes. Les réseaux de transport public présents dans les agglomérations desservies proposent une offre diversifiée mais qui manque de lisibilité du fait de la multiplicité des acteurs. La CHSRA s’appuie sur ce constat pour défendre la pertinence de la mise en place de ce corridor qui viendrait alors s’imposer comme un axe principal et duquel découlerait une hiérarchisation des réseaux et a fortiori une mise en cohérence du maillage ferroviaire du territoire. Aussi, cette ligne à grande vitesse a une ambition d’interconnexion, et d’intermodalité de taille. En effet, le tracé reliera plusieurs réseaux ferroviaires urbains existants et desservira différents aéroports de taille. Cette nouvelle desserte permettra de désenclaver des territoires oubliés à ce jour des modes routier, aérien et ferroviaire et proposera un nouvel entrant dans la répartition modale.

Outre une forte amélioration de l’offre de transport en commun terrestre, ce projet pourra rivaliser avec les modes aérien et routier ancrés dans les mœurs californiens. En effet, bien que le trajet en avion soit plus court, il implique des pertes de temps non négligeables pour se rendre aux aéroports et passer les formalités. Aussi, la CHSRA positionne ce train comme mode complémentaire de l’aérien pour desservir les villes situées aux alentours des gros aéroports et ne pas contraindre les usagers à s’y rendre en voiture. Au vu de ces constats le report modal prévisible engendrera certainement des restructurations urbaines. Certaines découleront du changement des habitudes de déplacement des californiens. Par exemple, les vastes espaces dédiés aux loueurs de voiture aux alentours des aéroports pourraient pâtir de la redistribution des flux. D’autres seront à l’initiative des collectivités locales. En effet, un projet de train à grande vitesse doit être étayé d’un remodelage urbain adapté pour être un levier économique. La CHSRA exige notamment des projets d’aménagement d’envergure des villes majeures du tracé. Le but est de responsabiliser les acteurs locaux pour la réussite du projet global. Leur implication est fortement influencée par le tracé. En effet une ville traversée héritera d’une scission territoriale alors qu’une ville desservie peut prétendre jouir de retombées positives. A une échelle plus fine, le tracé envisagé par la CHSRA semble aller à l’encontre des dynamiques urbaines des villes américaines. Les grandes métropoles californiennes sont étalées et peu d’activités sont concentrées dans les centres villes. Pour autant, ces espaces souvent oubliés sont les cibles mêmes des points de desserte. Cela donne l’opportunité aux agglomérations de repenser ces zones centrales et d’accroître la redynamisation qu’amorcera la ligne à grande vitesse. Les villes concernées ont donc une carte à jouer pour que ces futurs éléments d’infrastructure nécessaires deviennent des lieux d’attraction identitaires. Dans cette dynamique, San Francisco compte s’appuyer sur le projet de la CHSRA pour réaliser un pôle multimodal et réhabiliter les quartiers environnants.

 

Le XXe siècle a symbolisé le retard accumulé par les Etats-Unis sur l’Europe ou encore l’Asie en termes de développement de lignes Grande Vitesse. Depuis les années 2000, les investissements dans ce secteur se multiplient et permettent aux américains d’envisager de nouvelles perspectives. Au-delà du corridor californien en construction, d’autres lignes Grande Vitesse sont à l’étude, comme la ligne texane reliant Dallas à Houston, ou encore une deuxième ligne californienne connectant Las Vegas et Palm Dale.

Le projet californien San Francisco – Los Angeles permet de mettre en lumière les interrogations résultant de la construction de nouvelles lignes conçues spécifiquement pour la Grande Vitesse. En premier lieu, la question de la non rénovation de lignes ferroviaires existantes a régulièrement été soulevée, bien que celles-ci n’aient pas été construite pour faire rouler des trains à plus de 200 km/h. Les tronçons choisis ont également été mis en doute par certains observateurs, dénonçant un manque d’optimisation de fréquentation dû au passage par certaines villes jugées peu dynamiques.

Un tel projet porte également des conséquences non négligeables sur l’aménagement de l’espace urbain, en particulier au sein des grandes métropoles. La volonté d’interconnexion entre les différents modes de transport, notamment vis-à-vis des transports publics et des aéroports, a pour objectif de connecter des zones mal desservies et de fait éloignées du centre-ville et autres points d’activité. Enfin, un projet de construction de lignes Grande Vitesse, par sa capacité à concurrencer les deux modes de transports principaux que sont l’avion et l’automobile, impacte les flux sur chaque mode de transport et permet de dynamiser les centres-villes, représentant ainsi un enjeu économique considérable.