La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Ces quinze dernières années, les séries se sont imposées dans le débat public comme les stars incontestables de la programmation télévisuelle, égalant le prestige des œuvres cinématographiques,...
Ces quinze dernières années, les séries se sont imposées dans le débat public comme les stars incontestables de la programmation télévisuelle, égalant le prestige des œuvres cinématographiques, cristallisant les débats sur la délinéarisation des contenus et la fin annoncée de la télévision traditionnelle face aux plateformes de diffusion à la demande.
Pourtant, face aux programmes dits de stock que constituent les séries mais aussi les films et les documentaires, les chaînes de télévision peuvent aussi compter sur les programmes de flux : émissions de plateaux, magazines, jeux et divertissement. Moins prestigieux, ces programmes ont souvent été réduits à une fonction de variable d’ajustement pour les chaînes voire à un remplissage. Pourtant, cette catégorie ne manque pas de programmes iconiques et rassembleurs, qui ont su répondre aux nouveaux usages des téléspectateurs et participent activement à la transformation du secteur de la télévision française face au numérique.
Programmes de flux, programmes de stock
Les programmes de stock désignent les programmes audiovisuels diffusables plusieurs fois car ils conservent un intérêt pour le téléspectateur après leur première diffusion. Il s’agit essentiellement des fictions, documentaires et de magazines culturels et d’information.
Par opposition, les programmes de flux ne sont généralement diffusés qu’une seule fois : entrent dans cette catégorie les journaux d’information, les jeux, le sport ou encore les émissions de divertissement.
Historiquement, le premier choc numérique pour la télévision française a été l’arrivée des premières chaînes de la TNT en 2005. Face à cette concurrence et à l’émiettement des ressources publicitaires, les « grandes chaînes » ont dû réagir en affirmant leur identité éditoriale tout en limitant leurs investissements. Dans ce contexte, les programmes de flux, moins coûteux que les œuvres audiovisuelles, ont constitué une arme clé. C’est ainsi que M6 a démarré un repositionnement vers les programmes de type « lifestyle » autour de la cuisine ou de la décoration, délaissant les programmes de télé-réalité au profit de sa petite sœur W9. De même TF1 a investi prioritairement dans les grands programmes de divertissement familiaux, au premier rang desquels « The Voice » et « Danse avec les stars ». Si les films et grandes séries américaines comme « Mentalist » assurent encore de grands succès d’audience à TF1, la chaîne a bien compris que son identité ne pouvait se limiter à des programmes désormais disponibles sur de nombreuses plateformes Internet et qu’il lui fallait investir dans de grands rendez-vous fédérateurs et porteurs de la « marque TF1 ».
Plus récemment, ce sont les chaînes du groupe Canal Plus qui ont misé sur ces programmes pour étoffer l’offre en clair de Canal Plus et surtout faire de D8 une vraie grande chaîne. Le succès croissant de D8, porté par « Touche pas à mon poste », l’a conforté dans cette stratégie et Vincent Bolloré a annoncé en septembre 2015 un investissement de 250 millions d’euros sur 5 ans dans la société de production de son animateur vedette Cyril Hanouna, H20, premier producteur de programmes de flux en France sur la saison passée avec 870 heures d’antenne. Le groupe Vivendi, premier actionnaire de Canal Plus, a également accru sa présence dans le secteur de la production, à travers ses parts dans la société Banijay-Zodiak, tandis que TF1 vient de recevoir l’accord de l’Autorité de concurrence pour racheter le producteur Newen.
L’autre grande transformation numérique concerne les nouveaux usages des téléspectateurs, en attente d’un renouvellement du format des contenus face à la concurrence venue du Web : des pure players comme Vice mais aussi des grands acteurs comme YouTube qui investissent de plus en plus dans les contenus. Pour enrayer le déclin de la consommation de télévision des plus jeunes (1h30 par jour pour les 13-24 ans contre 3h45 en moyenne pour les Français selon le CSA) au profit d’Internet, les chaînes tentent de décrypter les facteurs de succès des contenus du Web pour mieux les reproduire, en premier lieu l’intégration aux réseaux sociaux. En effet, les réseaux comme Facebook et Twitter mais aussi Snapchat, jouent un triple rôle de caisse de résonance pour les programmes : ils permettent de promouvoir et susciter l’intérêt des téléspectateurs en amont de la diffusion, de conserver et d’engager l’audience pendant la diffusion, et surtout de prolonger l’expérience et le lien avec le média en aval. Les chaînes ont donc développé leurs fonctions de community management et noué des partenariats avec des réseaux comme Twitter. TF1 a notamment investi dans l’intégration des réseaux sociaux dans sa plateforme en ligne my TF1 et le service Twitter Amplify pour mettre en avant ses programmes phare comme « The Voice » mais aussi les matchs de la Coupe de monde de football. Les programmes de flux sont au premier rang de cette évolution puisqu’ils sont majoritairement liés au direct et à l’actualité, là où les programmes de stock sont plus pérennes et moins événementiels.
En parallèle, les grands acteurs du secteur cherchent à tirer parti du développement de la télévision de rattrapage pour démultiplier l’audience des programmes de flux, notamment les divertissements et les magazines. Selon une étude du CSA menée en octobre 2014, près de 71% des Français déclaraient avoir regardé des programmes en rattrapage au cours des 12 derniers mois, proportion qui atteint 80,2% chez les 15-24 ans. Pour satisfaire au mieux ces nouveaux usages, les chaînes investissent dans des plateformes de rattrapage plus performantes, avec un effort particulier sur l’éditorialisation. En juin 2015, France Télévisions a lancé l’application Zoom, qui propose sur smartphone une sélection personnalisée de programmes en fonction du profil de l’utilisateur et du temps dont il dispose, inspirée des fonctions de suggestions de YouTube ou encore de la plateforme musicale Spotify. La chaîne Arte a également étoffé son portefeuille d’applications mobiles pour mieux segmenter son offre : en parallèle de l’application Arte cohabitent des offres plus spécifiques comme Culture Touch, un hebdo culturel pensé pour les tablettes ou encore Arte 360 qui offre une fonctionnalité de réalité virtuelle.
Comme le rappelait en 2014 Olivier Schrameck, président du CSA, « le « flux » incarne profondément la télévision […] il donne corps à une ligne éditoriale et imprime sa marque à l’ensemble d’une grille ». Cette vision est d’autant plus juste à l’heure où le numérique démultiplie la concurrence et renouvelle les attentes du public. Les succès récents de certains programmes montrent que les chaînes possèdent encore une capacité à rassembler sur des rendez-vous nationaux qui leur sont propres, et non seulement des œuvres audiovisuelles.