La reconversion, parent pauvre des politiques d…
A l’heure où 2,6 milliards de personnes sont confinées dans le monde, la fréquentation des transports publics a drastiquement diminué. Pour autant, ils ne se sont globalement pas arrêtés, satisfaisant leur mission de service public, notamment pour le transport du personnel médical et des malades.
A l’heure où 2,6 milliards de personnes sont confinées dans le monde, la fréquentation des transports publics a drastiquement diminué. Pour autant, ils ne se sont globalement pas arrêtés, satisfaisant leur mission de service public, notamment pour le transport du personnel médical et des malades.
Mais ce sont aussi des espaces confinés et donc des vecteurs potentiels de propagation du Covid-19. Comment les opérateurs se sont-ils adaptés pour protéger les voyageurs et les collaborateurs durant l’épidémie ? Et surtout comment peuvent-ils accompagner un déconfinement progressif, déjà à l’ordre du jour en Asie et en Europe - et à partir du 11 mai en France ? Cette épreuve peut être l'occasion pour les transporteurs d’expérimenter des innovations en matière de connaissance client, d’information voyageurs, de tarification, et de pilotage des flux voyageurs.
Fortement incités ou contraints de réduire leurs déplacements afin de lutter contre l’épidémie du Covid-19, les voyageurs ont massivement déserté les transports publics que ce soit en Europe, en France ou en Asie. Si à Taïwan, cette diminution n’est que de 25% environ, elle oscille entre 75% et 90% en Europe. Pour garantir l’application des mesures gouvernementales et en anticipation d’une baisse de la fréquentation, les opérateurs de transport ont dû proposer une offre de transport adaptée. Panorama des politiques mises en œuvre en Europe et en Asie.
A l’exception de la région de Wuhan, épicentre de l’épidémie, aucun opérateur de transport, que ce soit à l’échelle nationale, régionale ou d’une agglomération, n’a suspendu complètement son offre de transport. En effet, le transport public est considéré comme une activité essentielle permettant d’assurer les déplacements, notamment ceux du personnel de santé.
En Europe où les pays font face à un confinement plus ou moins strict, certains déplacements restent autorisés (notamment pour le travail, pour assister une personne vulnérable ou pour un motif impérieux) portant à environ 15% la demande en transport par rapport au trafic habituel.
Pour le transport ferroviaire de longue distance, deux cas se présentent : une baisse drastique de l’offre de transport (qui s’élève aujourd’hui à 10% pour l’Espagne et à peine 7% pour la France) ou un maintien relativement élevé (75% pour la Belgique et pour l’Allemagne).
A l’échelle régionale, la situation selon les pays est très hétérogène : 80% de l’offre maintenue en Espagne en heure de pointe (60% en heures creuses), 65% en Allemagne, et 25% des TER en France. Le Royaume-Uni a quant à lui une spécificité de par l’intervention de plusieurs opérateurs de transport sur son territoire. De fait, certains opérateurs, tel que Hull Trains, réclamant une aide gouvernementale non reçue, ont annoncé l’arrêt de leur service.
A l’échelle des métropoles, le résultat est globalement homogène avec une baisse de la fréquentation des transports en commun entre 80% et 95%. En revanche l’offre de transport qui oscille elle entre 25% (pour Paris) et 70% de l’offre habituelle (pour Bruxelles).
En parallèle, en Asie parmi les pays touchés par le Covid-19, à l’exception de Wuhan, la restriction des déplacements est moins forte à ce jour qu’en Europe. De ce fait, la baisse de fréquentation se limite à environ 25% pour Taiwan ou la Corée du Sud, impliquant une adaptation moindre de l’offre de transport.
Si la demande en transport est évidemment un facteur clé pour définir une offre de transport adaptée, elle n’est pas le seul facteur à prendre en compte. D’ailleurs la plupart des réseaux proposent des offres surdimensionnées par rapport à la fréquentation. A l’échelle des métropoles européennes étudiées, les taux de fréquentation des transports publics de ces derniers jours se situent majoritairement autour de 3-5% - à l’exception de Bruxelles et Berlin avec respectivement 7% et 14% de fréquentation. Par ailleurs les opérateurs de transport doivent composer avec une ressource critique : leurs collaborateurs, à commencer par les conducteurs. Au fil des semaines, le nombre de leurs employés atteints par le Covid-19 a augmenté considérablement pouvant impacter de plein fouet le plan de transport défini. Les organisations syndicales également mettent la pression pour renforcer les mesures sanitaires de protection des collaborateurs, et parfois incitent à des arrêts de travail. Le plan de transport doit donc être quotidiennement ajusté afin de prendre en compte la disponibilité réelle des ressources.
Chaque opérateur a également défini – le cas échéant avec son autorité organisatrice – les flux à assurer en priorité. Priorité est souvent donnée à la desserte des centres hospitaliers et la prise en charge des déplacements du personnel soignant. A Madrid par exemple, les lignes de métro desservant les hôpitaux de la ville sont favorisées. En Île-de-France, la RATP a mis en place des navettes bus dédiées au personnel soignant. Côté SNCF Transilien, l’accent est également mis sur la desserte des hôpitaux, avec des bus spécialement affrétés en début de matinée et fin de soirée.
Certains opérateurs différencient aussi leur plan de transport sur la semaine et sur le week-end. Les horaires de circulation des métros sont aussi adaptés, comme à Paris où la fermeture a lieu aux alentours de 22h au lieu de 1h habituellement.
D’autres critères de priorisation sont envisageables : prédilection pour les lignes automatiques moins exigeantes en agents disponibles et plus rassurantes (pas de contact physique pour ouvrir les portes), priorisation des lignes à fort trafic voyageurs pour éviter la saturation (« dilution » des voyageurs pour maximiser la distanciation sociale) mais sans pour autant inciter le public à voyager sauf raison sérieuse (éviter l’ « induction » de trafic). La réactivité est en tout cas de mise pour ajuster l’offre à la demande et gérer les équilibres. Par exemple à Londres, les usagers ont remonté des rames trop remplies sur la Central Line et TfL a rééquilibré rapidement l’offre.
La mise en place d’un plan de transport adapté s’est faite graduellement en France avec une certaine anticipation dans la réduction de l’offre. En Belgique par exemple, elle n’a été effective que 48h après l’annonce du gouvernement sur la restriction des déplacements. Dans tous les cas, les opérateurs de transport se sont vu surprendre par un afflux massif des personnes souhaitant quitter les villes avant l’entrée en vigueur du confinement. A Milan par exemple, le soir même de l’annonce des mesures restrictives, les habitants ont afflué vers les gares et sont montés à bord des trains, sans titre de transport. Dans ce cas, évidemment, les mesures de protection individuelle et collective n’ont pas été respectées.
Pourtant, quelques jours avant l’application du confinement, les transporteurs avaient lancé des actions préventives pour sécuriser les déplacements des voyageurs en intensifiant, par exemple, les mesures de nettoyage et en multipliant les relais d’information.
Afin de communiquer aux usagers le nouveau plan de transport et confirmer la circulation des trains / métros / bus, les opérateurs de transport se sont massivement tournés vers les outils numériques, sites web et applications mobiles éditées par les transporteurs. Les réseaux sociaux, surtout Twitter, sont devenus un autre canal pour l’information conjoncturelle.
Certains opérateurs ont pu tirer parti de leur « connaissance client », en s’appuyant sur les bases de données pour diffuser une information voyageur proactive et personnalisée. La capacité est répandue pour le transport de longue distance (impliquant une réservation du titre de transport) mais elle l’est hélas beaucoup moins pour le transport urbain. Elle n’est certes pas critique pour communiquer sur les mesures générales de réduction de mobilité – en entrée de confinement – mais elle le sera davantage à l’heure de communiquer sur des mesures spécifiques en phase de déconfinement progressif. Surtout que la sortie de confinement promet d’être complexe : moindre capacité d’emport de voyageurs pour respecter la distanciation sociale (ou imposition de mesures de type « port de masque » aux voyageurs, qu’il faut donc prévenir) et reprise progressive de l’offre de transport – le temps que les clients reviennent.
Le trafic devra reprendre à l’issue de la période de confinement et de restriction des déplacements. Plusieurs jours d’adaptation sont généralement nécessaires, à partir du moment où les ateliers de maintenance retrouvent leur capacité. Cela pour deux raisons : d’abord les rames et les bus doivent subir des opérations spécifiques en sortie d’un garage de longue durée, ensuite les opérations « normales » d’entretien et de maintenance qui n’auront pas pu être réalisées auparavant devront l’être pour retrouver tout leur potentiel d’utilisation commerciale. En outre, le dimensionnement des équipes de nettoyage – souvent des entreprises prestataires – devra être durablement revu à la hausse dans les ateliers d’entretiens pour faire face aux exigences renforcées.
Le rythme d’augmentation de l’offre devra être piloté finement compte tenu de l’évolution des ressources (retour au travail des conducteurs, agents de maintenance et autre personnel d’exploitation), de la demande (retour des voyageurs, qu’on peut imaginer progressif compte tenu de leur prudence et de la « souplesse » au moins provisoire accordée par les employeurs et les établissements scolaires), des contraintes légales (déconfinement progressif – qui peut d’ailleurs s’apparenter à un casse-tête pour les transporteurs longue distance si le déconfinement est régional), et des exigences sanitaires (distance sociale).
Dans le cas où les transports sont maintenus (certes diminués), des mesures de protection sont mises en place qui touchent au nettoyage du matériel, au maintien de la distanciation sociale, et à la protection des voyageurs et du personnel.
Les entreprises de transport à travers le monde renforcent les mesures prises pour le nettoyage du matériel roulant et espaces recevant du public. Véhicules, distributeurs, portiques / valideurs / bornes de validation, guichets, et autres zones à risques font l’objet d’un nettoyage plus fréquent. Le renforcement des mesures s’observe dans l’ensemble des réseaux. En France, SNCF Transilien met en place des nettoyages systématiques des trains au moins une fois par jour. Ils sont ensuite nettoyés en profondeur tous les 15 jours et un traçage spécifique de ces opérations est assuré. En Espagne, TMB a recours à la projection d’ozone pour nettoyer ses bus. A Séoul, les équipes de nettoyage du métro ont été renforcées avec une augmentation de personnel d’environ 20% pour assurer la désinfection des rames, des tourniquets de validation et de l’ensemble des autres zones à risque. Pour une rame de métro ce sont 6 à 8 personnes qui sont monopolisées pendant presque 30 minutes. A Hong Kong, un robot désinfectant a été mis en place grâce à un partenariat entre la Mass Transit Railways et la société de Biotechnologies Avalon Biomedical. Ces robots pulvérisent dans les trains du « peroxyde d’hydrogène vaporisé » (VHP), agent désinfectant largement répandu dans les industries agroalimentaires et les établissements de santé. Quatre heures seulement sont nécessaires au robot pour nettoyer, en mode automatique, un train de huit voitures. Contrôlables à distance, ces robots pulvérisent les endroits les plus inaccessibles et complètent le travail des agents. Ils permettent donc un gain de temps et une protection accrue du personnel de nettoyage en limitant leur exposition aux zones à risque.
Toujours inspiré par le milieu hospitalier, en Chine, à Shanghai, la compagnie de bus Yanggao a recours à un nettoyage massif de ses trains par ultraviolets. Contrairement à la vaporisation de liquide qui ne permet pas d’atteindre toutes les surfaces, le rayonnement UV permet, sans intervention humaine, de nettoyer un bus en 5 minutes contre 40 minutes par des moyens traditionnels. La compagnie a même converti des tunnels de lavage en tunnel à UV. Cela lui permet de traiter chaque jour un quart de sa flotte de bus, soit 250 unités.
L’air aussi doit être purifié. Le nettoyage des climatisations est accentué. En Chine, des flottes de bus climatisés, dont les fenêtres ne pouvaient pas être ouvertes, ont été débloquées pour un meilleur renouvellement de l’air. En Chine toujours, les trains climatisés de China Railway renouvellent leur air plus fréquemment.
Les taxis aussi peuvent être considérés comme un mode de transport public, d’ailleurs ils sont parfois opérés par la compagnie de transport public – comme RTA à Dubaï. A Taïwan, les chauffeurs reçoivent des directives claires : le véhicule est nettoyé avant chaque prise de poste puis toutes les quatre heures au plus ; il est également nettoyé après toute course pour laquelle le client présentait des symptômes suspects. Evidemment cette procédure « sur mesure » selon l’état du voyageur n’est pas applicable pour le transport en commun.
Quelles que soient les mesures prises pour le nettoyage et la désinfection, il faut non seulement « faire ce que l’on dit » mais aussi « dire ce que l’on fait » : les voyageurs doivent être rassurés par les conditions sanitaires, pour emprunter sereinement les transports en commun. Les actions de « sanitisation » tant à bord que dans les gares / stations / arrêts doivent être bien visibles, tracées, communiquées.
Dans les pays où un confinement est imposé, s’il n’est pas accompagné d’une baisse de l’offre de transport, la fréquentation baisse elle-même. Mais en période de reprise, le risque de saturation des transports est majeur. Éviter cette densité excessive pour maintenir une distance sociale est primordial pour limiter la propagation du virus ou une recrudescence de l’épidémie en cas de reprise. Pour y parvenir, plusieurs mesures sont envisageables.
La distribution de titres de transport est un vecteur de transmission soit par le personnel qui l’opère soit par l’échange de billets physiques, le contact d’automates ou l’échange de monnaie porteurs de germes. Des transporteurs comme la Renfe en Espagne maintiennent les guichets en fonctionnement mais n’autorisent que les paiements par carte. En Île-de-France, les agents en guichets ne vendent plus de titres : les clients sont redirigés vers les automates de vente. Plus drastique encore pour éviter les contacts, à Singapour, l’opérateur a choisi de fermer la majorité de ses guichets pour ne privilégier que les solutions billettiques digitales.
Depuis le 28 mars, la compagnie Korail en Corée du Sud isole les voyageurs qui reviennent de l’étranger dans des espaces spécifiques dans les trains qui connectent l’aéroport à la ville. Ils font de même sur leur réseau de bus en dédiant des bus au transport de ces passagers. Couplée à l’obligation de quarantaine de 14 jours pour toutes les personnes qui entrent sur le territoire, cette mesure doit endiguer les contaminations par les personnes elles-mêmes contaminées à l’étranger.
Finalement, l’aspect le plus compliqué est bien sûr la distanciation sociale à bord des transports dans les espaces contraints qui les caractérisent. Plusieurs solutions sont envisagées :
- La communication sur les gestes barrières. En quelques jours après la crise, Médiatransport, deuxième afficheur français, et régie qui exploite presque l’entièreté des dispositifs publicitaires présents dans les transports d’Île-de-France a reconverti ses 60 000 panneaux publicitaires numériques Franciliens en écrans destinés à diffuser des communications du Gouvernement et de Santé Publique France pour des rappels sur les règles de confinement et gestes barrières. Cet usage pourrait être massifié et utilisé en alternance post-crise pour promouvoir des règles de conduite préventives, comme le port du masque. A Madrid et Londres, les exploitants diffusent des messages vocaux à bord et sur les quais pour inciter les voyageurs à garder une certaine distance avec leurs voisins.
- La répartition des personnes dans les trains à réservation. La compagnie Korail en Corée du Sud change ses processus de remplissage des trains à réservation pour maximiser le nombre de personnes aux fenêtres et le nombre de banquettes doubles avec un seul siège réservé. Cela reste insuffisant pour garantir un espacement supérieur à un mètre. Un tel espacement impliquait de réduire au quart la capacité d’une rame. Difficilement soutenable puisqu’un train doit être rempli généralement aux deux tiers minimum pour être rentable.
- L’imposition de mesures à bord. En Belgique, le recours à une présence renforcée de la police dans les transports permet de mieux surveiller le respect des consignes. A Shenzhen, les opérateurs veillent à ce que les bus ne soient pas remplis à plus de 50% de leur capacité nominale et mettent en place un marquage au sol (à bord comme aux arrêts et stations) pour inciter à respecter les distances minimales entre les personnes, dans un esprit de « nudge ». Des caméras sont utilisées pour assurer le respect des règles de distanciation sociale ou de protection (port du masque) ou du moins mesurer ce respect ; les caméras seront d’autant plus efficaces qu’elles seront complétées de technologies de vidéo intelligente pour automatiser l’analyse des images.
Quoi qu’il en soit, et s’agissant des transports urbains dans les grandes métropoles, les règles de distanciation sociale ne sont pas compatibles avec une grande capacité d’emport. Ces réseaux de transport sont saturés aux heures de pointe, ce qui se traduit par une densité au mètre carré de 4 voyageurs (situation d’inconfort) et jusqu’à 8 voyageurs (limite physique). Le respect d’une distance sociale de 1 mètre impliquerait de réduire d’un facteur 16 la densité par rapport à la situation normale « inconfortable », autrement dit la capacité d’emport serait réduite de 94%. Un schéma en damier permet de bien se représenter la situation : une surface de 36 mètres carrés permet d’accueillir 9 voyageurs avec un espacement adéquat, contre 144 voyageurs normalement aux heures de pointe :
Plusieurs opérateurs mettent à disposition du gel hydro alcoolique dans les transports ou dans les stations. L’exploitant Korail en Corée en met notamment à disposition des voyageurs dans la plupart des grandes stations. En France, ces solutions sont disponibles dans les voitures bar des TGV, et seront probablement généralisées en sortie de confinement. Le port du masque peut également être rendu obligatoire dans les transports, même si les transporteurs ne peuvent pas fournir ces masques aux voyageurs - . Tout manquement à cette règle se solde par une amende à Taïwan. Pourquoi pas dans les TGV français, pour desserrer l’impératif de distance de 1 mètre ?
Plus contraignant encore, à Taïwan, les taxis peuvent refuser de prendre un passager s’il ne porte pas de masque.
Outre les mesures de prévention évoquées, en Chine, des mesures de dépistage sont mises en place dans les transports. L’opérateur China Railway procède à des mesures de température des passagers de façon aléatoire lors du transport. A Shenzhen, des zones de contrôle de santé (“health control checkpoints”) sont déployées dans les gares ferroviaires et les stations de métro.
Finalement, à Wuhan, alors que les transports ont repris depuis le 24 mars, la compagnie de bus a remis en circulation environ 30% de sa flotte. Le conducteur est accompagné d’une personne chargée de la sécurité des voyageurs. Il vérifie que les voyageurs flashent un QR code à bord qui indique qu’ils sont en bonne santé ou fournissent un certificat médical dans le cas contraire. Ils sont eux-mêmes contrôlés chaque jour, ainsi que les conducteurs. Ils portent des gants et des masques et doivent ventiler le bus en ouvrant les fenêtres régulièrement et nettoyer le bus à chaque fin de parcours.
Bien que la situation en France ne soit pas à ce jour suffisamment stabilisée pour parler d’une reprise, il nous est permis d’imaginer « le monde d’après » dans les transports publics.
Les opérateurs bénéficieront-ils des dispositions nationales de contact tracing ou de surveillance en vue d’un déconfinement ? Quelles sont les solutions qui pourraient être mises en place par les opérateurs de transport, pour piloter une montée en charge progressive sans faire prendre de risques aux voyageurs et se prémunir de futures crises ?
Dans la grande majorité des pays asiatiques où le SRAS et d’autres épidémies ont sévèrement frappé au début des années 2000, le choix a été fait d’une prévention souveraine stricte via l’utilisation des données mobiles. A Taiwan, en Corée du Sud et en Chine : sous forme de bracelets électroniques, d’applications mobiles ou de caméras de surveillance, ces pays se sont rapidement dotés de dispositifs numériques qui retracent les déplacements de leurs utilisateurs permettant de savoir s’ils ont été en contact avec des personnes atteintes du Covid-19, voire d’alerter directement les services de police (Hong Kong, Taiwan, Chine).
En Chine, le dispositif Covid-19 digital se matérialise par le code couleur d’un QR code (vert pas d’alerte, jaune ou rouge pour inciter l’utilisateur à se mettre en quarantaine pour une durée de 7 ou 14 jours) et est généré par des applications telles que WeChat ou Alipay, applications destinées à l’origine au paiement. Ce QR code est créé à partir d’un algorithme qui détermine, via des données de géolocalisation et selon des règles non accessibles à l’utilisateur, une potentielle contamination par des contacts rapprochés avec des personnes malades.
A Hong Kong, le gouvernement a attaché un bracelet électronique à toute personne arrivant sur le territoire avec la consigne de rester quinze jours à domicile. Apparié à une application StayHomeSafe, ce bracelet électronique identifie les mouvements de son porteur. La technologie utilisée, le geofencing, ne traque pas les données de localisation. En fonction des signaux de télécommunication proches émis (WIFI, Bluetooth), l’appareil est capable de détecter si l’usager est à l’intérieur de son habitation ou dehors. Si le bracelet est déconnecté ou si la personne quitte l’espace autorisé, un signal est envoyé directement à la police.
Moins intrusive, l’application Trace Together disponible à Singapour, permet aux spécialistes de remonter rapidement une chaîne de contamination, sur la base d’un engagement volontaire de ses utilisateurs, via des échanges de signaux courte distance Bluetooth entre portables. Chaque téléphone génère un ID propre, et stocke pour une durée déterminée et de façon encryptée, les ID des téléphones proches. Lorsque l’un des usagers se déclare malade, les autres utilisateurs dont le téléphone a stocké précédemment cet ID sont alors notifiés et invités à se manifester auprès de « contact tracers » qui sont les seuls à pouvoir décrypter les ID et à récupérer le numéro de portable correspondant à l’ID. Aucune donnée de géolocalisation ou donnée personnelle n’est conservée par l’application.
Des initiatives similaires se dessinent en France, avec par exemple le projet StopCovid, projet d’application de contact tracing. Avec le consentement de son utilisateur, l’application échangerait via Bluetooth avec les portables environnants et inviterait l’utilisateur, dans le cas d’un contact avec un malade, à se faire dépister ou à se mettre en quarantaine.
Reste à savoir si le projet sera retenu ou non par le gouvernement et si le nombre de Français ayant choisi de l’utiliser sera suffisant pour préparer le déconfinement.
Ces dispositifs numériques dédiés Covid-19 peuvent être utilisés pour les transports publics. Par exemple à Wuhan, l’autorisation d’emprunter les transports en commun aujourd’hui est conditionnée par le scan du fameux QR Code qui autorise ou non l’entrée du voyageur dans le bus ou le métro.
Cependant, ces dispositifs étatiques soulèvent de nombreuses questions éthiques et légales en Europe. Ils ne sont pas les seules réponses digitales à une gestion du redressement de la fréquentation des transports publics et à une reprise progressive de la mobilité.
Au-delà de dispositifs nationaux de tracing, les opérateurs de transport pourraient développer de nouvelles fonctionnalités sur leurs applications mobiles, pour faire face à des situations sanitaires exceptionnelles et durables. Voici quelques-unes de ces propositions (également illustrées dans le tableau récapitulatif) :
Sur la distribution billettique :
Sur la gestion des flux de voyageurs :
En s’appuyant sur les applications de MaaS - ces applications qui proposent des trajets bout en bout et permettent l’achat en une fois des titres de transport successivement nécessaires – comme City Mapper, l’Assistant SNCF, ou la nouvelle application MaaX lancée par IDFM et la RATP – et sur un consentement explicite des usagers, récupérer les traces GPS comme c’est le cas actuellement des usagers afin de :
Certaines applications digitales ont prouvé leur efficacité pour lutter contre la propagation de l'épidémie en Asie. Bien que l'utilisation en Europe des données de géolocalisation soit davantage questionnée en raison des problématiques que cela soulève sur les libertés individuelles, le respect de la vie privée et la protection des données personnelles, des solutions moins intrusives basées sur la technologie Bluetooth sont à l’étude.
En ce qui concerne la congestion à bord que Sia Partners identifie comme l'un des principaux enjeux de la fin du confinement, plusieurs scénarios rapides à mettre en œuvre peuvent être envisagés : limiter le remplissage des bus, s'inspirer de la circulation automobile pour proposer une circulation alternée en limitant le nombre de voyageurs pouvant emprunter les transports publics en se basant sur divers critères de segmentation ou encore rendre obligatoire le port du masque à bord.
En 2019, 73 % des français ont utilisé les bus, métros ou autres tramways et trains pour leurs déplacements quotidiens. En Île-de-France, ils ont même été 85%. Si les déplacements via les transports publics ont augmenté ces dernières années, au vu du contexte actuel, ces derniers pourraient être mis au second plan face aux nouvelles mobilités qui offrent une congestion moindre. Dans une optique de déconfinement, les pouvoirs publics, les opérateurs et les usagers pourraient ainsi temporairement favoriser les modes de transport individuels (voiture personnelle, vélo, trottinettes électriques, e-scooters etc.) et même la marche à pied lorsque cela est envisageable.
Par ailleurs, cette crise sanitaire devrait stimuler l’essor des applications MaaS qui permettent d’accéder à l'ensemble des options de mobilité et de diffuser une information fiable en temps réel. Elles favorisent l'intermodalité et pourraient faciliter le report modal vers des solutions plus adaptées, moins congestionnées et moins risquées en situation de reprise. En allant plus loin, ces solutions permettraient de gérer les flux de voyageurs, afin de tenir l'engagement d’un trajet sécurisé et personnalisé pour la sortie de crise.