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LGV Tanger - Casablanca : Quelle stratégie commerciale à adopter ?

Avec la pose de la première pierre du futur réseau à grande vitesse du Maroc en présence du Roi Mohamed VI et de Nicolas Sarkozy, Sia Conseil a souhaité analyser les enjeux commerciaux qui attendent la future LGV Marocaine.

A l'horizon 2015, Tanger et Casablanca seront reliées par une ligne grande vitesse (LGV). Premier pays d'Afrique et du monde arabe à mettre en place une ligne à grande vitesse, le Maroc compte sur cet investissement pour engager une dynamique de croissance globale de l'ensemble du système national de transports.
Plusieurs questions se posent aujourd'hui concernant l'élaboration d'une stratégie commerciale capable de garantir la santé financière de l'ONCF (Office National des Chemins de Fer) et d'offrir une prestation comparable aux normes mondiales tout en prenant en considération le pouvoir d'achat des marocains : quels canaux de distribution à mettre en place, quelle stratégie tarifaire adopter pour optimiser le remplissage des trains et le revenu... Cet article décrypte les problématiques qui attendent L'ONCF sur sa future politique commerciale et propose quelques éléments de réponse.

Vue d'ensemble

Le choix stratégique ferroviaire du Maroc s'est porté aujourd'hui sur la grande vitesse. A terme, les lignes classiques devraient être remplacées. En 2010, l'ONCF, a transporté 31 millions de voyageurs sur l'ensemble du réseau et 2 millions sur l'axe Tanger-Casablanca. Un chiffre en augmentation de 7% par rapport à l'année précédente. Actuellement, elle emploie 7784 employés et gère un réseau de 2167 km.

En 2015 le Maroc devra inaugurer la première ligne à grande vitesse (LGV). Elle reliera Tanger à Casablanca (310 Km) en 2h10 au lieu de 4h45 aujourd'hui. Un gain de temps précieux entre deux villes stratégiques du territoire marocain. Les coûts de ce projet s'élèveront à 20 milliards de dirhams (environ 2 milliards d'euros).

La croissance de la fréquentation touristique, la réalisation du projet Tanger-Med, la hausse du prix du carburant, le report modal de la voiture vers les transports collectifs et la proximité de l'Europe sont autant de facteurs qui plaident pour cette hypothèse ambitieuse de croissance du trafic avec l'arrivé de la LGV. En revanche, la faiblesse du pouvoir d'achat des marocains peut constituer un frein important et représente un élément clé de la réflexion sur la politique commerciale à mettre en place.

Quelle offre et pour quelle clientèle ?

Dans son offre commerciale, l'ONCF intègre aujourd'hui une segmentation sociodémographique et par typologie de clientèle. Elle offre ainsi, l'accès à des niveaux tarifaires avantageux selon les catégories d'âge et les statuts (enfants, jeunes, adultes, familles, séniors, résistant, étudiant, enseignant et professionnels) et selon le degré de fréquentation des voyageurs. Ci-dessous un aperçu des offres :

En revanche l'offre de service et les produits proposés aux clients restent assez limités : peu de services en gare et à bord des trains, pas de modulations de l'offre tarifaire en fonction des conditions d'échanges et de remboursement, de tarif réduit en fonction de la date de réservation...

Il existe une offre dédiée à la clientèle affaire, qui pourra être enrichie avec la mise en place de la LGV et le développement attendu de ce segment de clientèle. En effet, la réalisation du projet Tanger-Med, et l'installation des zones franches, qui commencent déjà à attirer les investisseurs, constitueront une réelle opportunité pour faire émerger ce type de clientèle. Elle pourra emprunter la LGV le matin pour se rendre à Tanger par exemple et revenir le soir chez elle à Casablanca. L'émergence d'une classe affaire permettrait à l'ONCF de doper son chiffre d'affaire et sa marge car Il s'agit d'une clientèle pourvoyeuse de revenu et de marge.

Quel canal de distribution approprié ?

Les marocains utilisent aujourd'hui les agences physiques comme principal canal de distribution. La totalité des ventes de billets s'effectue dans les guichets de l'ONCF. Le canal internet n'est pas proposé aux voyageurs pour le moment. Ce canal est en très forte croissance en termes d'utilisateurs et l'évolution des abonnées à internet connaît une croissance très soutenue comme l'illustre le graphique ci dessous :

Ce canal est également en forte croissance en termes de transactions (évolution de 43% du montant total des transactions entre les 1ers trimestres 2010 et 2011, selon le site maroctelecommerce.com).

Pour suivre l'évolution de ce canal de distribution, la mise en place d'une plateforme de réservation semble indispensable.

Cette plateforme devra être accessible dès le départ via des applications pour Smartphone. En effet, 77,45% des abonnés internet accèdent au web via des Smartphones, par le haut débit mobile basé sur la technologie 3G+. A moyen terme ces appareils remplaceront les 34 millions de téléphones portables présents sur le marché. Ce canal de distribution est ainsi d'une importance stratégique dès l'ouverture de la LGV, sans compter qu'il représente un levier de communication important pour attirer des clientèles jeunes ou dont le temps est limité.

Au contraire du canal internet, le canal « centre d'appel » nous semble moins prioritaire. L'industrie des centres d'appel est très développée et mature au Maroc avec des coûts et une qualité bien maîtrisés, mais s'adresse essentiellement à des sociétés étrangères et in fine n'est pas très utilisé par la population marocaine pour faire des achats. Ce canal de distribution sera plutôt à considérer sur les aspects service après vente (traitement des annulations, remboursements, réclamations...).

L'utilisation de nouveaux canaux de distribution doit s'accompagner d'une réflexion sur les moyens de paiement associés. Un premier frein apparait avec le taux de bancarisation du Maroc qui croît de manière continue depuis plusieurs années, mais reste très en deçà de celui des pays les plus développés (En 2013, selon une étude du cabinet Sia Conseil, ce taux atteindra 62% au Maroc, et 95% dans les pays les plus développés). Le paiement en ligne de l'achat de billet ne sera pas accessible à toute la population marocaine, au moins à court et moyen terme.

Pour réussir à capter la clientèle non bancarisée, une solution serait de proposer des moyens de paiement par mobile sachant que le taux d'équipement est déjà extrêmement fort et que ces services seront proposés dans un avenir très proche par les opérateurs télécom.

Et la question du prix ?

La future gamme tarifaire proposée par l'ONCF pour la LGV devra impérativement prendre en considération le pouvoir d'achat des marocains. Les niveaux de prix proposés actuellement par le train ne sont pas à la portée de l'ensemble de la population marocaine mais restent comparables aux niveaux des autres moyens de transport terrestre : la voiture et l'autocar. L'avion quant à lui reste plus cher et a l'inconvénient d'être situé à l'extérieur des agglomérations, ce qui génère une contrainte supplémentaire (distance et temps d'accès aux aéroports par rapport aux gares situées généralement dans les centres villes).

Les investissements à consentir pour la mise en place de la LGV (environ 2 milliards d'euros) posent des questions sur le modèle économique à mettre en place et l'impact potentiel important sur le prix des billets. Il est certain qu'une hausse du prix des billets sera très handicapante pour la grande majorité des usagers, et Il est fort probable, que dans le futur modèle économique de la LGV, une partie du coût réel des billets soit subventionnée par l'état afin que les prix actuels ne subissent qu'une légère hausse.

La question reste cependant ouverte sur la hausse du prix du billet acceptable par les usagers marocains, au regard des nouveaux services et avantages apportés par la LGV. Les premières hypothèses et études convergeraient vers une hausse moyenne de 15 à 20% du prix du billet (à moduler en fonction des typologies de clients, certaines catégories - étudiants, séniors - ne seront pas capable de suivre cette hausse). Sur cette base, la LGV marocaine resterait globalement en phase avec les prix des autres modes de transport. Le tableau ci-dessous présente une projection à l'horizon 2015 des prix moyen des différents modes de transport :

Yield management : Support à la gestion des prix

Depuis 2009, un premier pas vers une optimisation de la gestion des trains a été effectué. Des prix différenciés sont pratiqués selon les périodes de pointe ou creuse afin de lisser la demande en soulageant les trains fortement sollicités.

Même si ce type de tarification est en voie d'être abandonné par la SNCF pour la rigidité qu'elle engendre, cette première incursion vers les techniques de Yield Management confirme la volonté de l'ONCF de s'ouvrir à ces méthodes.

Le yield management ou revenue management est un ensemble de techniques permettant la variation des prix afin de les adapter au contexte du marché et d'optimiser le revenu. L'objectif principal étant de vendre le bon produit, au bon client, au bon prix et au bon moment. Le Yield Management combine différentes méthodes pour offrir la meilleure disponibilité d'une offre fixe à une demande fluctuante, trouver le meilleur équilibre possible entre remplissage et recette unitaire, gérer les promotions et les annulations...

Pour pouvoir optimiser le revenu avec la mise en place des techniques du Yield Management, L'ONCF va devoir au préalable ouvrir un certains nombre de chantiers :

• Revoir la gamme tarifaire en l'élargissant avec de nouveaux tarifs couplé à de nouveaux services ou conditions générales de ventes (échange de billets, remboursement, achat anticipé) permettant de capter une clientèle plus large (notamment clientèle affaire),

• Mettre en place un système de réservation compatible avec un système de yield (technique de gestion par classes tarifaires ...),

• Réfléchir et arbitrer sur la mise en place de la réservation obligatoire. Ce chantier n'est pas un pré requis obligatoire pour mettre en place un système de Yield Management, mais représente un levier important pour son efficacité (fiabilité des données de trafic, meilleure gestion des périodes de pointe, ...), cette décision étant par ailleurs très structurante en termes de parcours client

Une fois ces réflexions menées et transformées en projets aboutis, l'ONCF peut espérer accroître son revenu de 5% à 7%, (chiffres moyens constatés par les compagnies ferroviaires utilisant des systèmes de Yield Management).