La reconversion, parent pauvre des politiques d…
A l’étude depuis de nombreuses années, la totale libéralisation ferroviaire européenne a été définitivement actée en décembre dernier par le Parlement. Mais cette ouverture aura nécessité de multiples phases réglementaires.
A l’étude depuis de nombreuses années, la totale libéralisation ferroviaire européenne a été définitivement actée en décembre dernier par le Parlement. Mais cette ouverture aura nécessité de multiples phases réglementaires. De plus, bon nombre de pays européens n’auront pas attendu les directives de Bruxelles et ont déjà ouvert leurs lignes à l’exploitation par d’autres entreprises ferroviaires européennes que leur entité nationale. Dans cet article, Sia Partners vous propose de revenir sur les différentes étapes réglementaires qui ont préparé cette ouverture totale du marché ainsi que sur les bénéfices attendus pour les différents acteurs de l’écosystème ferroviaire. Enfin, nous reviendrons sur l’état de l’art de la libéralisation ferroviaire à date chez certains de nos voisins européens.
Initiée dès 1991, la libéralisation ferroviaire européenne s’est depuis construite autour de cinq projets de texte : la directive 91/440/CE et les quatre paquets ferroviaires (paquet ferroviaire : ensemble de directives européennes visant à définir les conditions d’accès aux réseaux ferroviaires et la gestion des infrastructures en vue de la libéralisation européenne du rail).
La directive de la Commission Européenne 91/440/CE marque en 1991 la première étape de la libéralisation européenne du rail. En effet, elle impose dès lors une séparation à minima comptable entre le gestionnaire des infrastructures ferroviaires et les entreprises ferroviaires qui les utilisent. A l’échelle française, c’est donc de cette directive que va découler en 1997 la création de Réseau Ferré de France (RFF), qui devient propriétaire et gestionnaire des infrastructures ferroviaires de l’Etat. Bien que la réforme ferroviaire française de 2013 ait acté la création d’un groupe industriel public regroupant gestionnaire et exploitant des infrastructures ferroviaires, cette directive reste respectée via la séparation comptable de ces entités en deux EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial).
Acté en 2001, le premier paquet ferroviaire est composé d’une directive principale visant à prévoir l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire international en Europe. Elle définit ainsi les droits d’accès d’une entreprise ferroviaire sur le réseau d’un autre Etat membre :
Deux directives supplémentaires viennent compléter ce premier paquet ferroviaire, la première définissant les conditions d’attribution des licences permettant l’exploitation de services de fret ferroviaire, la seconde relative à la tarification des sillons.
En 2004, le deuxième paquet ferroviaire consigne définitivement l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, tant au niveau international que domestique et en définit les dates maximales d’application :
De ce deuxième paquet ferroviaire résulteront également deux importantes mesures :
Une fois le cadre de la libéralisation du fret ferroviaire défini et son lancement officiel, les instances européennes se sont alors penchées sur l’ouverture à la concurrence pour le transport de voyageurs. Ainsi, en 2007, est voté le troisième paquet ferroviaire, axé sur le transport international de personnes.
La directive principale de ce paquet concerne alors l’accès au marché et prévoit l’ouverture des réseaux pour le transport international de voyageurs au 1er Janvier 2010 au plus tard. Cela signifie que les entreprises ferroviaires (établies dans un Etat membre) se verront accorder un droit d’accès aux infrastructures ferroviaires de tous les Etats membres dans le cadre du transport international de voyageurs. De plus, cette directive autorise le cabotage, à savoir la possibilité de prendre et de déposer des voyageurs au sein d’un même pays lors d’un trajet international. Par exemple, sur un trajet Paris – Turin passant par Milan, SNCF pourra vendre des billets Milan – Turin. A noter cependant que certaines restrictions sont appliquées en termes de proportion de passagers et de chiffre d’affaires sur les tronçons nationaux, visant à garantir que l’objet principal du service reste bien une desserte internationale.
Enfin, certaines directives complémentaires viennent enrichir ce troisième paquet ferroviaire, concernant notamment la certification des conducteurs d’engins ainsi que les droits des voyageurs.
Conséquence de ce troisième paquet à l’échelle nationale, la création de l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires (ARAF, qui deviendra ARAFER (… Et Routières) lors de la loi Macron de 2015) en 2009, chargée de surveiller le bon déroulement de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, ainsi que de garantir l’équité d’accès au réseau sans discrimination.
Dernière étape pour une libéralisation complète du ferroviaire au sein de l’Union Européenne, le quatrième paquet ferroviaire aura été adopté en 2016 en deux étapes.
La première étape fut l’adoption du pilier technique, le 28 Avril 2016. Ce volet comprend plusieurs mesures concernant notamment l’interopérabilité des réseaux des Etats membres, la définition d’un certificat de sécurité unique ou encore l’évolution du rôle de l’Agence Ferroviaire Européenne comme unique délivreur d’autorisations de circulation ferroviaire transfrontalière.
Seconde étape de ce paquet ferroviaire, le pilier politique (ou pilier marché), adopté le 14 Décembre 2016. Au-delà de la mise en place de certaines règles concernant les modalités d’ouverture à la concurrence et les mesures de non-discrimination à développer, ce pilier entérine surtout les dates effectives d’ouverture à la concurrence sur le territoire national de chaque Etat membre :
La route aura été longue mais l’Union Européenne aura réussi au gré d’une implémentation progressive et séquencée à instaurer une libéralisation totale du rail au sein de ses Etats membres à l’orée de 2023. Mais cette ouverture complète à la concurrence n’est pas sans conséquence pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème ferroviaire, chacun se retrouvant plus ou moins fortement impacté.
Compte tenu des nombreuses évolutions à venir suite aux différents paquets ferroviaires promulgués par l’Union Européenne, le trafic ferroviaire au sein des Etats Membres va s’en retrouver fortement impacté. Et ces conséquences vont se répercuter sur l’ensemble des acteurs de l’écosystème ferroviaire : entreprises ferroviaires historiques, gestionnaires d’infrastructures, usagers …
Afin d’analyser au mieux les conséquences envisagées pour ces différents protagonistes, nous nous appuierons sur les exemples de certains de nos voisins européens. En effet, comme évoqué précédemment, plusieurs pays n’ont pas attendu les textes de l’Union Européenne pour ouvrir leurs espaces ferroviaires respectifs à la concurrence. Preuve de cette anticipation, un indicateur spécifique, le Rail Liberation Index, a été mis en place ; son rôle étant de classer les pays selon le degré de libéralisation de leur marché. Cet index nous permet par exemple de mettre en lumière les pays les plus avancés et ayant devancé les obligations réglementaires tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Suède. Mais également les pays évoluant au rythme des paquets ferroviaires comme la France, ou encore ceux considérés comme en retard dans leur démarche telle l’Espagne.
En préambule des nombreux exemples à venir et afin d’en faciliter leur compréhension, le tableau ci-dessous résume de manière condensée un certain nombre d’indicateurs permettant d’attester de l’état d’avancement de l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire chez certains pays européens.
A l’aube de faire face à une ouverture totale à la concurrence, tant au niveau des services commerciaux que conventionnés, les entreprises ferroviaires historiques vont voir leurs adversaires se multiplier sur leur propre territoire. Concernant les lignes de service commercial tout d’abord, cela se traduira par une concurrence directe sur les prix les plus attractifs pour les usagers, notamment au niveau des lignes les plus rentables pour les exploitants. Autrement dit, une concurrence sur le marché. Concernant les services conventionnés à l’inverse, les procédures d’appel d’offres donneront lieu à une concurrence préalable à l’exploitation des lignes. Nous parlons alors ici de concurrence pour le marché. Nous pouvons envisager dans les 2 cas l’entrée de nouveaux acteurs ferroviaires, qu’ils proposent des offres sur les grandes lignes ou qu’ils exploitent un service conventionné.
A ce sujet, les cas de nos voisins illustrent des résultats différents en fonction des pays.
En Suède par exemple, bien que l’entreprise historique reste dominante sur le transport de voyageurs avec 65% du marché, une trentaine d’acteurs se partagent les 35% restants ainsi que le marché du fret.
Au Royaume-Uni, l’opérateur historique a été démantelé, donnant naissance à des groupements de lignes gérés par des entreprises privées nationales et internationales. Une gestion attribuée par le ministre des transports suite à des appels d’offres créant ainsi une concurrence pour le marché entre une trentaine d’entreprises.
En Allemagne enfin, la mise en concurrence pour le marché est réalisée par les régions qui observent un fonctionnement non homogène. Cela aura permis aux nouveaux entrants d’obtenir un quart du marché sur le transport régional. Cependant, la concurrence sur le marché en Allemagne reste limitée, l’opérateur historique Deutsche Bahn conservant 99% du marché des services commerciaux.
Alors que ces trois pays sont soumis à la même législation, les évolutions auront été différentes. L’entrée de nouveaux acteurs pouvant en effet être localisée sur certains pans du marché, l’impact pour l’opérateur historique devient dépendant du contexte national.
En miroir de ce constat, la libéralisation aura également des impacts pour certains acteurs devenant de nouveaux entrants sur certains marchés, s’y positionnant alors qu’ils n’y avaient par forcément accès jusqu’alors. Et cette opportunité concernera aussi bien les acteurs existants du marché ferroviaire qu’un vivier plus vaste d’investisseurs. La typologie des acteurs pourra donc être amenée à changer et de nouvelles entreprises ferroviaires pourraient voir le jour avec notamment le soutien d’opérateurs privés par exemple. A notre échelle nationale, les entreprises ferroviaires françaises profitent déjà de l’opportunité ouverte par la libéralisation du transport ferroviaire allemand, la quasi-totalité du marché régional étant en effet soumis à appels d’offres auxquels ces entreprises françaises participent activement. Enfin, en matière de nouveaux entrants, un exemple italien est représentatif de cette dynamique. Une nouvelle entreprise ferroviaire privée, NTV, a été créée et se positionne désormais comme l’unique concurrent majeur de Trenitalia, l’opérateur historique, sur le marché des grandes lignes italiennes.
Ces exemples démontrent ainsi l’opportunité que représente la libéralisation pour les opérateurs des pays voisins mais également pour des investisseurs privés qui n’avaient pas accès à ce marché.
De la même manière, les usagers se verront impactés par cette ouverture totale à la concurrence et bénéficieront notamment d’une offre plus large. En effet, pour une même destination, plusieurs choix de transporteurs se présenteront à eux, ce qui rapprochera le ferroviaire du modèle aérien, où pour un même parcours, plusieurs acteurs proposent une offre de transport. Plusieurs effets sont ainsi à prévoir. Au niveau de la qualité de service tout d’abord, pour laquelle il est permis d’imaginer au sein des exploitants ferroviaires une intensification de la concurrence en termes de service client. Aussi, l’ouverture des marchés permettra à des entreprises de se positionner sur des périmètres restreints et donc d’y consacrer plus d’attention pour mieux atteindre les attentes des usagers. Ces éléments réunis pourront donner lieu d’une part à des dessertes plus fréquentes ou a minima plus adaptées, et présentant une qualité de service supérieure ; ou d’autre part à des prix cassés.
Cela pourrait engendrer un report modal vers le ferroviaire et donc une augmentation de trafic sur l’ensemble du réseau ferroviaire.
Le cas de l’Allemagne illustre bien l’émulation induite par la nouvelle législation. Bien que l’opérateur historique conserve 99% du marché des grandes lignes, il a été fortement stimulé par cette mise en concurrence et peut capitaliser sur ces éléments pour tenter d’entrer sur des marchés européens libéralisés. Concernant la meilleure gestion de certaines portions du réseau, il est à noter que des tronçons désormais exploités par de nouveaux opérateurs sont bien mieux desservis en Italie et l’ouverture à la concurrence en Allemagne a permis la réouverture de certaines lignes. Finalement, les pays où la libéralisation est réelle ont connu une augmentation de trafic comme en Suède avec 40% de trafic en plus en 10 ans. Les cas voisins soulignent une stimulation des opérateurs ferroviaires qui induit une augmentation de la qualité de service et a fortiori une meilleure fréquentation du réseau ferroviaire.
Dans le cadre des services non conventionnés, une optimisation des procédures d’appels d’offres ainsi qu’une formalisation de la relation entre les autorités organisatrices des transports et les transporteurs sera nécessaire et bénéfique. En effet, dans ce cadre, le choix de l’exploitant et le déroulé de l’exploitation permettront d’optimiser les coûts et le service de transport. De plus, il faudra trouver des moyens concrets et partagés de mesurer l’efficience des systèmes d’exploitation pour comparer pertinemment les propositions des entreprises ferroviaires en lice pour un marché.
La gestion des infrastructures ainsi que l’attribution de sillons (attribution d’une portion de voie sur un créneau horaire) aux exploitants ferroviaires devra être assurée par un acteur impartial pour assurer une égalité dans le partage de l’infrastructure entre les acteurs. A l’échelle française, ces éléments d’attention feront notamment partie du rôle de SNCF Réseau, de l’entité Gares & Connexions (SNCF Mobilités) et de l’ARAFER. SNCF Réseau devra par exemple assurer l’impartialité nécessaire à une allocation équitable des sillons et un accès aux infrastructures. De la même manière, Gares & Connexions devra garantir de manière équitable l’accès aux gares pour les entreprises ferroviaires concurrentes d’SNCF ainsi que leur présence interne pour leurs activités commerciales et d’information des voyageurs. L’ARAFER, gendarme jugeant de l’impartialité, sera le garant de la bonne application des règles de fonctionnement pour une libéralisation effective et équitable.
Les problématiques liées à cette ouverture à la concurrence devraient être multiples et certaines sont d’ores et déjà observables. La Deutsche Bahn par exemple a la possibilité d’emprunter à des taux très avantageux étant donné qu’elle a l’Etat comme garant. Elément discriminant aux yeux de ses concurrents. Ce type de cas particulier devra être adressé par une autorité comme l’ARAFER. Autre exemple plus concret, NTV, seul réel concurrent à l’opérateur historique italien Trenitalia se plaint d’un placement de ses guichets peu mis en avant dans les gares. La libéralisation du rail impliquera donc une forte robustesse des instances de surveillance pour assurer l’établissement du cadre strict nécessaire à la réussite de la démarche.