La reconversion, parent pauvre des politiques d…
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Le 1er décembre 2019, Ursula Von Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne prenait ses fonctions et s’apprêtait à lancer le Green Deal, le jour même où apparaissait le premier cas officiel de coronavirus en Chine. 6 mois plus tard l’Union Européenne doit surmonter une crise économique sans précédent qui aura des conséquences sur la trajectoire verte de l’Union Européenne. Un éclairage préalable du Green Deal et de la crise du coronavirus permet de prendre la mesure de cet impact
Le Green Deal fut présenté par la Commission au Parlement le 11 décembre 2019 comme la « nouvelle stratégie de croissance européenne ». Il réhausse l’objectif de baisse d’émissions de CO2 à l’horizon 2030 à 55% (contre 40% précédemment) et cible la neutralité en 2050. Sa mise en œuvre prévoit d’engager ou d’accélérer nombre de chantiers : décarbonation de l’énergie, élargissement et renforcement de la tarification du carbone, économie circulaire, mobilité propre, accroissement du transport par rail, taxe carbone aux frontières, accompagnement des populations et des entreprises fragilisées… Le plan est approuvé le 13 décembre 2019 en Conseil par les Etats membres, (à l’exception de la Pologne) puis un mois plus tard par le Parlement Européen.
L’Union Européenne avait mis en place dès 2007 une politique de réduction des émissions (3X20, suivi du Paquet Energie Climat). En 2014, le Conseil avait fixé à 40% l’objectif de baisse des émissions de CO2. Et depuis quelques années, plusieurs Etats pressaient la Commission d’intensifier les efforts afin de faire respecter les engagements de l’Accord de Paris sur le Climat.
Toutefois, ce projet n’a pas toujours fait consensus. Lors du Conseil de juin 2019, la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et l’Estonie avaient fait échouer la proposition de neutralité carbone pour 2050 poussée par la France, l’Espagne et les Pays-Bas. La Grèce, Chypre et Malte avaient aussi fait part de leurs réserves.
Les ratios de la formule de Kaya appliqués à quelques Etats européens aident à mieux saisir ces divergences :
La richesse par habitant traduit le niveau de production par habitant.
L’intensité énergétique représente la quantité d’énergie nécessaire en Tonne équivalent pétrole pour produire une unité (en M€) des biens et services du pays.
L’intensité carbone traduit le niveau de nocivité des émissions de CO2 ou de Gaz à Effet de Serre (en équivalent tonnes de CO2) de l’énergie produite.
En Pologne et en République Tchèque, le charbon, présent en quantité dans les sous-sols, est, avec la main d’œuvre bon marché, un des piliers de la compétitivité industrielle depuis les années 1990. Les objectifs de baisse des émissions de CO2 auront pour conséquence une hausse des coûts de production et une augmentation de la dépendance énergétique (en cas de substitution par le gaz par exemple). La transition verte impose une profonde et délicate remise en question de ces pays encore fragiles.
L’Allemagne et la France se caractérisent par des économies plus diversifiées, plus riches et moins intenses énergétiquement. Le verdissement y est davantage perçu comme une issue inéluctable, car répondant à une inquiétude grandissante qui s’installe, mais de laquelle des opportunités peuvent émerger. En effet, les deux pays sont alignés avec la politique du Green Deal. La nouvelle loi allemande de protection du climat, entrée en vigueur le 18 décembre 2019 engage l'Allemagne à une réduction de 55% des émissions de CO2 pour 2030 et à la neutralité pour 2050. En France, la loi énergie climat du 8 novembre 2019 inscrit la neutralité carbone pour 2050.
La Suède, avec un taux d’émissions parmi les plus bas d’Europe et une dépendance énergétique faible est précurseur et fait figure de référence.
Pour les citoyens européens, la préoccupation est croissante et prépondérante. 38% d’entre eux considèrent le changement climatique et l’environnement comme les sujets les plus importants auxquels l’Union Européenne doit faire face (sondage UE ci-dessous).
Cette tendance est mondiale. L’étude Obs’COP2019[ii] menée par EDF et IPSOS dans 30 pays des 5 continents (24 000 personnes sondées) révèle que le changement climatique n’est plus contesté, en raison des effets qui commencent à se faire ressentir, surtout dans les régions du sud.
La sécurité énergétique et la stratégie industrielle entrent aussi en ligne de compte. A la différence des Etats-Unis, de la Russie ou de la Chine, l’Union Européenne est presque totalement dépendante du reste du monde dans ses approvisionnements en gaz et en pétrole. Le gaz et le pétrole constituent 58% des énergies primaires consommées par les pays de l’Union Européenne. Cette exposition se traduit par un déficit structurel des balances commerciales qui s’exacerbe avec la hausse de prix de marché. En outre, l’instauration d’une économie circulaire et la taxation carbone aux frontières fixeront des standards auxquels devront se conformer les partenaires du reste du monde. Le verdissement est l’opportunité pour les Etats membres de soulager leurs balances commerciales et de prendre un ascendant dans leurs rapports commerciaux et industriels avec les autres régions du monde. L’Union Européenne qui pèse autant que la Chine ou que les Etats Unis dans les échanges internationaux aurait les moyens d’influer pour subordonner les règles du commerce international aux principes écologiques et environnementaux.
Les répercussions économiques du coronavirus questionnent quant à la capacité des Etats membres à poursuivre l’implémentation du Green Deal.
Dès le début de la crise, les gouvernements Polonais et Tchèque, ainsi que les acteurs du monde de l’entreprise ont appelé à démanteler le Green Deal. En réponse, plusieurs personnalités politiques et des affaires se sont fédérées autour d’une « Green Recovery Alliance ».
Le soutien au tissu économique obère les finances publiques des Etats, qui font face dans le même temps à des baisses de recettes fiscales (TVA, IS). L’intervention des Etats et de la BCE qui ont encaissé les premiers effets du choc à la place des ménages et des entreprises entraînera un enflement des dettes publiques avec des répercussions durables, un mix de 3 effets : une hausse des impôts, un rationnement de la dépense publique, une possible inflation en cas de rachat par la BCE[iii].
Les entreprises en sortiront considérablement affaiblies. La récession dans la zone Euro en 2020 pourrait être 2 à 3 fois supérieure à celle de 2009 (-4,1%). Une contraction du PIB des Etats de l’Union Européenne entre 8% et 12% en 2020[iv] équivaut à une disparition de valeur ajoutée entre 1100 et 1600 milliards € (le financement du Green Deal sur la période 2021-2027 était évalué à 1 000 milliards €).
Les perceptions des acteurs économiques ont été modifiées. Le coronavirus a confronté la société moderne à sa vulnérabilité. Il illustre qu’elle peut être à la fois le moyen par lequel le facteur nuisible se réalise (pandémie qui se propage par les échanges) et sa victime (décès, arrêt des activités). Une analogie avec le réchauffement climatique, à la différence que la représentation de celui-ci est théorique et non vécue.
Une variante de la formule de Kaya permet de mettre en évidence les variables qui ont été en jeu pour mitiger la pandémie :
Les difficultés des Etats à se préparer et à anticiper ont eu pour conséquence de devoir stopper la propagation du virus dans l’urgence par la suspension des échanges physiques. Du fait de la forte corrélation du PIB avec ces derniers, la production s’est effondrée. Les secteurs qui tirent leur valeur de la dématérialisation des échanges (GAFAM et autres) s’en sont bien sortis. Le coronavirus a rappelé de façon cinglante que la phase de préparation est cruciale.
Le Green Deal est une préparation à un risque de crise environnementale de plus grande ampleur. L’effort à consentir est élevé. Une baisse de -55% des émissions de CO2 à horizon 2030 revient à réduire les émissions moyennes de 8%, or entre 2007 et 2017 la variation moyenne dans l’Union Européenne (hors RU) n’était que de -1,5%.
Malgré des politiques européennes de type soft law en faveur de la décarbonation depuis les années 2000, les variations des émissions de CO2 restent corrélées au prix du baril de pétrole et à l'évolution des PIB des Etats. La baisse des émissions de CO2 de -7 ,1% en 2009 s’explique par la crise financière, le rebond de 2010 par la reprise d’activité. Puis, la baisse continue des émissions de CO2 entre 2011 et 2014 est la conséquence du maintien du prix du baril de pétrole au-dessus des 100 dollars, enfin la hausse des émissions de CO2 après 2014 s’explique par le tassement des prix du baril de pétrole.
L’enjeu du cadre réglementaire et de régulation en construction à travers le Green Deal est de rompre cette corrélation. Le coût de conversion des secteurs économiques impactés sera élevé (remplacement d’actifs bruns non amortis par des actifs verts, innovation, formation et réaffectation de la main d’œuvre) et va devoir se fondre avec le plan de relance post coronavirus.
Le 27 mai 2020, la Commission a proposé l’instrument de relance « Next Generation EU », par lequel elle lèvera 750 milliards d’euros sur les marchés sans grever les dettes publiques des Etats, et augmentera l'enveloppe du budget pluriannuel européen à hauteur de 1 100 milliards d'euros.
Les dotations du Green Deal seraient élargies mais elles représenteraient une part minimale du plan (25%) dont l’essentiel portera sur le maintien à flot de l’économie. En effet, comme l’explique Veblen-Institute[v], « le contrôle politique exercé par l’Union sur l’utilisation des fonds accordés aux Etats membres à travers la nouvelle facilité de relance et de résilience (dotée d’un budget de 560 milliards d’euros) risque de se traduire par une forme de conditionnalité plus économique qu’écologique ».
Les versions définitives des textes (plan de relance et cadre de régulation du Green Deal) seront connues après les validations du Conseil et du Parlement.
La capacité des institutions européennes à amorcer une réelle rupture semble incertaine. Des signes accélérateurs et ralentisseurs s’entremêlent. L’agenda du Green Deal est maintenu mais les acteurs dépendant d’actifs bruns continuent de résister. Les plans de relance publics annoncés sont partiellement verts mais des actifs bruns vont en bénéficier pour éviter l’aggravation de la crise économique. Aussi, la baisse temporaire des prix des matières premières, en particulier du pétrole, n’encouragera pas la transition énergétique. Les européens sont préoccupés par le risque climatique et l’écologie, mais ils sont dans le même temps réticents aux hausses des prix de l’énergie quand elles se justifient par une taxe carbone. En outre, la montée du chômage et l’état des finances publiques alimenteront les inquiétudes des européens. L’Europe est dépendante de l’extérieur dans ses approvisionnements énergétiques (gaz et pétrole), mais elle n’est pas leader sur les technologies vertes qui arrivent à maturité (unités de production d’énergies renouvelables, batteries de véhicules électriques).
La période actuelle est trouble. Elle pourrait toutefois prendre un caractère radical et rapprocher l’Union Européenne du point de bascule vers une économie décarbonée si les signaux de long terme, déterminés par le cadre de régulation du Green Deal et ses déclinaisons dans les Etats européens, étaient suffisamment incitatifs. En effet, les plans de relance ne suffiront pas à sécuriser nombre d’entreprises qui subiront l’effondrement de leurs résultats et de leurs capacités d’autofinancement. Elles devront renforcer leurs fonds propres ou se financer auprès d’acteurs privés (banques, investisseurs) tout en cherchant des leviers de croissance. Avec des signaux clairs, la finance privée favorisera les financements et les investissements des actifs verts, les actifs bruns deviendront risqués. Dans un tel scénario, la période post coronavirus pourrait être marquée, au sein de l’Union Européenne, par l’accélération de l’innovation et de la compétition vertes.
Une analyse de Jean-Baptiste Zang