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Montée en gamme : quels enjeux pour les compagnies aériennes européennes ?

Le classement annuel Skytrax 2015 (organisme britannique reconnu qui évalue la qualité de service des compagnies aériennes), paru en juin dernier, fait ressortir l’urgence qu’ont les compagnies européennes à réagir face à la concurrence des compagnies du Golfe et d’Asie qui monopolisent le TOP 10.

Le classement annuel Skytrax 2015 (organisme britannique reconnu qui évalue la qualité de service des compagnies aériennes), paru en juin dernier, fait ressortir l’urgence qu’ont les compagnies européennes à réagir face à la concurrence des compagnies du Golfe et d’Asie qui monopolisent le TOP 10. Si Air France se hisse à la 15ème place en gagnant 10 rangs par rapport au classement 2014, le bilan pour les compagnies européennes reste inquiétant : seulement 5 compagnies européennes sont présentes dans le Top 20 du classement, ce qui les incite à placer la montée en gamme de leurs différentes classes au cœur de leurs stratégies de développement long terme.  

La classe Business : répondre aux exigences de la clientèle la plus rentable

La montée en gamme des compagnies aériennes concerne depuis longtemps déjà les voyageurs de la classe Business, considérés comme les plus rentables. Si chez Air France les passagers de la classe affaires représentent seulement 2 millions de passagers sur un total de 80 millions par an, ils représentent un tiers du chiffre d’affaires de la compagnie en 2014 [1]. Ainsi, les compagnies européennes historiques participent toutes à une course à l’innovation pour séduire une clientèle de plus en plus exigeante et très bien informée.

Cette course à l’innovation vise notamment à s’aligner sur les standards qu’ont progressivement imposés les compagnies du Golfe sur cette classe affaires, et qu’elles ne cessent de relever, pour répondre tant aux exigences de la clientèle d’affaires qu’aux particuliers aisés. Chaque service doit ainsi être optimisé et chaque détail étudié, pour rendre le confort optimal.

D’autre part, les compagnies traditionnelles sont concurrencées par les compagnies low cost qui créent des offres business avec un rapport qualité/prix imbattable, sous la forme de vols à la carte que le passager d’affaires peut agrémenter de services payants semblables aux services de la Business des compagnies traditionnelles (pass Early Boarding de Wizzair, kit de confort ou tablette tactile sur Air Asia, option flexibilité sur Spirit Airlines).

British Airways a été la compagnie pionnière de ce mouvement en équipant dès 2000 sa classe affaires de sièges se transformant en lits entièrement plats. Depuis, l’ensemble des compagnies historiques propose notamment à sa clientèle haut de gamme plus d’espacements entre les sièges, des repas gastronomiques, un accès à des salons réservés dans les aéroports, un embarquement et une remise des bagages prioritaires.

Aujourd’hui ces éléments, devenus basiques, ne suffisent plus à concurrencer les compagnies du Golfe qui font s’élever à chacune de leur innovation les attentes de cette clientèle et qui semblent toujours avoir un temps d’avance : appareils de moins de 5 ans d’âge (contre 10 à 12 ans pour Air France et Lufthansa [2]), des sièges Business qui offrent plus de place  (les B777 de Qatar offrent 84  centimètres entre les sièges contre 81 chez Air France), l’accès au wi-fi sur tous les vols.

D’ailleurs, ce n’est pas sans effort que Lufthansa vise la 10ème place du classement Skytrax en 2014 et se place à la 12ème place en 2015. Depuis 2011, la compagnie a investi 1,5 milliard d’euros dans la modernisation de ses cabines [3]. En 2015, la compagnie mise sur sa classe Business en proposant de nouveaux services innovants, à l’image de sa nouvelle offre de restauration inspirée des standards de l’hôtellerie haut de gamme : le service au chariot est remplacé par un service à l’assiette, et les hôtesses sont chargées d’un nombre défini de passagers, ce qui permet de renforcer le service client et de valoriser l’expérience client. La compagnie propose également un service Internet haut débit FlyNet à bord de tous les vols long-courriers. 

De son côté, Air France a présenté en avril 2015 ses nouvelles cabines moyen-courriers (sièges en cuir, repas chaud en Business), dans le cadre de la poursuite de sa stratégie de montée en gamme, après avoir déjà investi un milliard d’euros dans la refonte de ses avions destinés à ses vols long-courriers en 2014. Cette refonte de sa classe Business en 2014 lui a permis de passer de la 40ème à la 25ème place du classement Skytrax en 2014, et de se positionner à la 15ème place en 2015. La compagnie a fait appel à des designers et à l’avis de ses clients pour refondre les sièges de ses Boeing 777 et A380, parfaitement plats et spacieux (près de 2 mètres de long), offrir des repas gastronomiques signés par des chefs étoilés (Régis Marcon et Joël Rebuchon) et agrémenter l’espace de détails qui font la différence (prise électrique, port usb, oreiller XXL, trousse avec des produits Clarins). La compagnie a également mis l’accent sur le service client en formant 13 000 collaborateurs Air France en relation direct avec le client à la « caring attitude ».

Les classes Economy et Premium Economy : plus de sur-mesure et de confort

Les besoins et attentes des passagers aériens tendent à évoluer : recherche du meilleur tarif, de vol « à la carte » permettant de sélectionner les services et produits souhaités, de flexibilité sur les conditions d’annulation et de modification, de confort à bord.

Pour y répondre, les compagnies aériennes ont progressivement étendu leur gamme d’offre par le développement de stratégies de montée en gamme tout en conservant et en préservant le positionnement par classe et la distinction entre chacune d’elles. Ainsi, par une segmentation plus fine des différentes cibles, ils adaptent leurs offres afin de répondre aux exigences des différents profils de voyageurs.

Cette segmentation plus fine du marché a conduit à la création de la classe « Premium Economy ». Ce positionnement nouveau s’adresse notamment aux clients souhaitant allier confort et prix abordables et qui souhaitent bénéficier d’un palier intermédiaire entre les deux classes traditionnelles Economy et First. Cette classe hybride répond également aux besoins des entreprises engagées dans une démarche de réduction des coûts et contraintes d’instaurer une politique plus stricte sur les dépenses de voyages d’affaires. En créant la classe Premium Economy, les compagnies aériennes se dotent d’un levier compétitif fort pour contrer un transfert de la clientèle d’affaires de la Business à la classe Economy ainsi qu’un report de ces voyageurs vers une compagnie Low Cost.

Alors que Lufthansa n’a introduit son offre Premium Economy sur ses vols long-courriers que depuis la fin de l’année 2014, la plupart des compagnies s’attèlent déjà à refondre l’offre de cette classe hybride, à l’image d’Air France qui a fait de cette classe un argument différenciant. Air France propose en effet une offre assez proche de celle de la Business : 40% d’espace en plus par rapport la classe Economy, un repose pied ajustable, un écran HD tactile, une offre de restauration haute gamme, embarquement et débarquement prioritaire, trousse de toilette.

Cette opportunité n’aura pas échappé non plus aux compagnies asiatiques, renforçant la concurrence sur cette cible de clientèle, notamment avec Singapore Airlines, qui lance sur l’axe Singapour-Sydney puis sur les vols au départ de l’Europe, une nouvelle classe Premium Economy (sièges plus large avec un écran tactile individuel de 34 cm de largeur - un record en Premium Economy – deux ports USB, alimentation électrique et la possibilité de choisir son plat principal la veille du départ via le service « Book the Cook »).

Les stratégies de montée en gamme ne se limitent cependant pas à la Business et à l’Economy : la course au luxe du positionnement de la classe First est également au cœur de la stratégie des compagnies européennes.

La classe First : un positionnement sur le luxe et l’ultra-luxe

La classe First est aussi la cible des investissements de montée en gamme, mais plus marginale puisque cette classe se place par essence sur le marché de niche de l’ultra luxe. En mai 2014, Air France dévoilait sa nouvelle première classe dans laquelle elle a investi 50 millions d’euros : espaces privatifs de 3 mètres carrés, avec un large fauteuil transformable en lit de 2 m sur 77 cm, restauration gastronomique. La même année le classement Skytrax jugeait le Salon « La Première » d’Air France à l’aéroport Charles de Gaulle meilleur salon de première classe au monde. Les compagnies du Golfe, qui conservent une longueur d’avance, redoublent de créativité pour perfectionner leur offre « luxe » : Etihad présentait en juin 2014 « The Residence », un mini-appartement situé à l'avant du pont supérieur de ses A380 dont le tarif s’élève à 25 000 dollars. La stratégie de montée en gamme, ou la « surenchère du luxe », est essentielle pour la classe First dont les (rares) passagers choisissent leur transporteur non pour le prix mais pour la qualité de service.

Conclusion

Cette dynamique défensive de montée en gamme ne semble cependant pas suffisante pour égaler leurs rivaux du Golfe tant au niveau de leurs résultats nets qu’à celui de l’expérience client, ces compagnies annoncent des résultats record pour l’exercice 2014-2015 (une hausse de 40% du bénéfice d’Emirates et de 52% du résultat nets d’Etihad Airways) et font de nouveau partie du TOP 10 du classement Skytrax [4]. Les compagnies du Golfe s’enracinent de plus en plus dans le paysage européen par le biais de rachats stratégiques (Etihad rachète fin 2014 49% des parts de la compagnie italienne Alitalia et 75% de son programme de fidélité, Alitalia Fidelity) et la négociation d’alliances (Air-France-KLM et Etihad ont noué un accord commercial sur la liaison Paris-Abou Dhabi en 2012). Les compagnies traditionnelles européennes, condamnées à l’excellence, devront redoubler d’efforts pour poursuivre leur montée en gamme