La reconversion, parent pauvre des politiques d…
En mai 2012, l'ancien DG de Yahoo !, Scott Thompson, a été poussé vers la sortie pour avoir gonflé son CV et y avoir mentionné un diplôme en informatique, alors même qu'il n'était diplômé qu'en comptabilité.
La fraude a été rapidement détectée car le cursus informatique n'existait pas dans son université au moment où il en est sorti.
Plus près de chez nous, un certain Philippe Gaillard a occupé pendant 3 mois le poste de directeur de l'Aéroport international de Limoges, avant de se faire licencier en février dernier pour avoir falsifié son CV et son casier judiciaire. Le protagoniste n'avait en réalité aucune expérience dans l'aéronautique.
Au-delà de ces exemples frappants, embellir son CV est une pratique courante. Selon une étude du cabinet de recrutement Robert Half, menée en 2011, 54% des recruteurs français considèrent que les candidats gonflent leur CV, notamment sur le contenu réel de leur emploi actuel ou précédent.
Le CV étant devenu ces dernières années l'outil incontournable d'un recrutement, les candidats n'hésitent pas à retravailler leur parcours, pour répondre aux exigences de plus en plus importantes des recruteurs et passer la première phase de sélection.
Dans ce contexte, peut-on encore se fier au CV des candidats ? Reste-t-il aujourd'hui un outil pertinent du recrutement ? Existe-t-il de vraies alternatives ?
Plusieurs idées ont été lancées récemment pour réinventer le process classique de recrutement. L'objectif de ces méthodes innovantes est double : se concentrer sur les compétences des candidats et éviter de tomber dans l'un des écueils majeurs du recrutement sur CV, la discrimination. Cependant, si ces méthodes semblent être une bonne alternative au processus classique, elles ne sont pas adaptées à tout type de recrutement.
Ainsi, depuis 3 ans, l'Apec a lancé une grande opération de recrutement sans CV. Les entreprises qui souhaitent participer peuvent donc faire appel à l'association pour établir ensemble un questionnaire d'une trentaine de questions à remplir par les candidats. Ces questions portent uniquement sur la perception qu'ont les candidats du poste, ce qu'ils pourraient y apporter, des mises en situation autour des principales missions du poste à pourvoir... Côté candidat, le temps de réponse moyen à l'ensemble du questionnaire varie de 30 minutes à une heure. Grâce à ce processus, seules les compétences et la motivation (notamment à travers le temps de réponse) sont prises en compte dans le dépouillement des résultats. Si les questions et les mises en situation permettent de s'assurer que le candidat a bien compris le contenu du poste, il oblige aussi le recruteur à réfléchir en amont, et de façon plus poussée, sur la nature du poste à pourvoir et les compétences nécessaires à identifier chez les candidats. La réflexion mutuelle menée par les deux parties, l'employeur et le candidat, sur la nature du poste augmente la qualité du recrutement et ses chances de réussite. On est loin de l'annonce construite par copier-coller côté recruteur, et de l'envoi de CV en masse côté candidat.
Un autre avantage de cette méthode est qu'elle permet d'atteindre un nombre de postulants plus important qu'une annonce classique. Les candidats s'émancipent des préjugés liés à l'intitulé d'un poste et se détachent des exigences d'une annonce, qui correspondent plus souvent au profil parfait qu'à de véritables prérequis. Ainsi, l'an dernier, Auchan a reçu trois fois plus de candidatures qu'habituellement lors de sa campagne de recrutement sans CV pour des postes de chefs de rayon.
Enfin, cette méthode permet de s'affranchir des embauches discriminantes : en allant encore plus loin que le CV anonyme et en gommant toute information liée non seulement aux qualités intrinsèques du candidat, mais aussi toute information liée à son expérience, le recruteur se focalise uniquement sur les compétences et la motivation présentes des postulants.
Si la méthode du questionnaire centré sur les compétences et les mises en situation illustre bien les avantages de s'affranchir du classique CV, d'autres types de sélection proches de cette initiative se sont développés, dans le but de recruter différemment. L'étape de présélection peut donc aussi consister en un « serious games » : ces mises en situation virtuelles utilisent les techniques des jeux vidéo pour faire découvrir le métier et tester les réactions des candidats devant des problématiques liées au poste à pourvoir. Ainsi, la quatrième édition de « Ace Manager - The Fourth set » développée par BNP Paribas l'an dernier a attiré plus de 14 000 participants dans 145 pays différents.
Une autre méthode de recrutement a été lancée par l'Oréal cet été : les candidats doivent se décrire dans une vidéo originale de 2 minutes, puis la poster via une application Facebook et la promouvoir pendant 30 jours. Les auteurs des vidéos les plus populaires sont ensuite reçus en entretien.
Enfin, les séances de « speed recruiting » ou les tests psychotechniques en amont du processus, permettent également de se focaliser sur les compétences plus que sur l'expérience des candidats.
Si ces initiatives sont en plein essor, elles ne sont pas pour autant adaptées à tout type de recrutement. En effet, le processus est souvent beaucoup plus chronophage qu'un recrutement habituel, non seulement pour la phase de préparation (par exemple, élaboration d'un questionnaire vs rédaction d'une simple petite annonce) mais aussi pour la phase de sélection (dépouille des questionnaires vs visualisation rapide des CV). Cet investissement est largement amorti dans le cas de postes nombreux et récurrents, mais beaucoup moins pertinent pour des postes uniques. Par ailleurs, comme nous l'avons vu plus haut, cette méthode permet d'atteindre un nombre de postulants bien plus important que le processus classique. Il n'est pas nécessairement opportun de déployer une telle initiative pour des postes où les candidats sont déjà trop nombreux et les profils surqualifiés. En revanche, elle conviendra très bien aux recrutements d'informaticiens et de commerciaux, postes que les entreprises ont du mal à pourvoir même en période de crise.
Enfin, cela peut sembler évident, mais n'oublions pas de rappeler qu'un processus focalisé sur les compétences plus que sur l'expérience est inadapté aux professions réglementées exigeant une expertise technique. On n'imagine pas débuter un processus d'embauche pour un avocat, un médecin ou un expert-comptable sans vérifier au préalable la qualité de sa formation et de la véracité de ses diplômes.
Ainsi, si des alternatives au CV voient le jour, elles ne sont pas destinées à le tuer définitivement. Elles restent d'ailleurs assez marginales par rapport au processus de recrutement classique. Par exemple, les questionnaires développés en collaboration avec l'Apec ont débouché sur un peu moins de 500 embauches en 2011 (sur plus d'1,5 millions en France au total). Cependant, ces initiatives amènent à repenser le processus dans son ensemble et ouvrent la porte à des processus hybrides, où le CV n'interviendrait qu'en fin de processus par exemple. L'expérience ne jouerait qu'un rôle secondaire par rapport aux compétences et à la motivation du candidat. Un tel processus permettrait de fiabiliser le recrutement. En effet, si les méthodes citées ci-dessus testent concrètement les capacités des candidats (contrairement au CV basé sur du déclaratif), elles ne permettent pas d'écarter toute tentative de fraude : il est par exemple impossible de s'assurer que c'est le candidat lui-même qui a rempli le questionnaire. Les entretiens et le CV permettraient dans ce cas de confirmer les compétences détectées en présélection.
Enfin, le glas du CV n'a pas encore sonné tant sa version 2.0 permet de s'affranchir des limites du CV papier : multi supports (texte, vidéo...), aux formats variés (sur les réseaux sociaux, CV thèques...), validé ou recommandé par les contacts du candidat, le CV interactif a encore un bel avenir devant lui !