La reconversion, parent pauvre des politiques d…
L’âge, le statut marital... ces critères démographiques utilisés par les assureurs pour déterminer un profil de risque et proposer un montant de prime adapté, Elon Musk souhaite les mettre au placard afin de ne conserver qu'une seule information : Êtes-vous un bon conducteur ?
Tesla commercialise des véhicules connectés qui disposent d'une technologie IoT de pointe. Elles collectent depuis des années les informations de conduite de leurs conducteurs. C'est grâce à l'analyse de ces données que l'entreprise a mis en place une analyse comportementale de la conduite permettant le calcul d'un "Safety Score" qui permet d'évaluer la qualité de conduite d'un utilisateur après 30 jours d'utilisation et en temps réel après ce délai.
La formule de calcul du safety score est disponible publiquement sur le site officiel de Tesla. Se basant sur différents critères permettant d’évaluer la qualité de la conduite, il vise à prédire le nombre de collisions susceptibles de se produire par million de kilomètres parcourus. C’est une formule statistique sur la base de coefficients calculés après analyse de 8 milliards de données récoltées par Tesla pour chacune des variables sélectionnées :
Cette fréquence de collision est transformée en un score compris entre 0 et 100.
Depuis peu, Elon Musk utilise ce Safety Score pour proposer un produit d’assurance sur mesure aux propriétaires de Tesla. Ce dispositif n’est actuellement mis en place que dans certains états des États Unis, un marché où la prime d’assurance des Tesla est particulièrement élevée. Cette assurance à la conduite permet non seulement à Tesla de proposer une alternative à ses clients mais également de lutter contre l’aléa moral que peut entrainer la souscription d’une assurance. Les conducteurs sont incités à mieux conduire malgré la couverture que propose leur assurance.
L’utilisation de ce Safety Score en assurance n’est pas sans rappeler le produit d’assurance YouDrive mis en place par Direct Assurance en 2015. En effet, YouDrive propose aux assurés d’installer un boitier GPS connecté permettant de capter les données de conduite afin d’évaluer la qualité de la conduite et récompenser les bons conducteurs par la réduction de leurs primes. Bien que présentant de nombreuses similitudes avec l’offre de Tesla, de nombreux aspects les différencient :
La nature des capteurs : YouDrive demande à ses assurés d’ajouter un boitier aux véhicules. La technologie IoT présente dans les Tesla suffit quant à elle à récolter les informations nécessaires. Aucune installation supplémentaire n’est nécessaire, c’est ce qui fait la force d’un constructeur pour ce type d’assurance.
Les véhicules ciblés : YouDrive ouvre son offre à tous les véhicules pouvant supporter la technologie du boitier là ou Tesla ne se concentre que sur les conducteurs de Tesla.
Ces différences qui semblent minimes permettent tout de même à Tesla de s’affranchir des règles classiques. Mais cela amène à se demander : Comment créer un tel produit ? Le marché français est-il prêt à utiliser de telle méthode ? Les constructeurs automobiles ont-ils une carte à jouer ?
Actuellement en France la grande majorité des compagnies d’assurance automobile de particulier construisent leur prime de la façon exposée ci-après. Un modèle de fréquence et un modèle de coût sont établis pour chacune des garanties.
Chacun de ces modèles intègre un grand nombre de variables liées :
Le score de conduite a pour objectif de remplacer ou à minima d'améliorer les informations liées au profil du conducteur. Ici, on désigne en vert les modèles les plus impactés par les informations de type « profil du conducteur ». Ce sont ces garanties qui seront impactées par l'utilisation d'un score de conduite. Le montant de prime des autres garanties est principalement déterminé par des informations sans lien avec la conduite. On comprend aisément que le vol d'un véhicule n'est pas influencé par une mauvaise conduite ou encore que la survenance de catastrophes naturelles ne sera pas déclenchée par un conducteur trop brusque dans les virages.
La création et l'intégration du score de conduite dans la modélisation de certaines garanties comme proposé par Tesla peut être mise en place de façon similaire à celle d'un zonier :
Face à cette « innovation », déjà appliquée dans certains États américains, une interrogation émerge sur sa capacité à être mise en place en France.
D’un point de vue réglementaire, il n’existe aucune disposition s’opposant à une tarification à la conduite excluant les informations de profil du conducteur. Bien évidemment, il faudra s’assurer de bien respecter les directives RGPD et du « pack de conformité – véhicules connectés et données personnelles » publié par la CNIL depuis 2017. Il s’agira de recueillir les données avec le consentement des propriétaires de véhicules, mettre en place des mesures de sécurité pour protéger les données, être transparent sur l’utilisation des données et leur durée de conservation. Il sera nécessaire notamment, si le porteur de risque est le constructeur automobile, que le consentement soit recueilli lors de la signature du contrat de prestation, qui doit être distinct du contrat de vente du véhicule. Par ailleurs, selon les recommandations de l’ACPR, il sera nécessaire d’introduire de l’interprétabilité dans l’estimation des coefficients utilisés pour évaluer le score de conduite. Cela est aujourd’hui un frein dans l’utilisation des modèles de machine learning pour la tarification. Sera-t-il possible de remplir cette condition pour l’assurance comportementale ?
D’un point de vue culturel, la tâche s’annonce plus ardue. En effet, en France, l'assurance automobile comportementale existe depuis plusieurs années, mais elle n'a pas encore été largement adoptée par les conducteurs. Il y a plusieurs raisons à cela :
Culture de l'assurance traditionnelle : les conducteurs français ont tendance à privilégier les systèmes d'assurance traditionnels basés sur des critères tels que l'âge, le type de véhicule, le lieu de résidence, etc. Une tendance ancrée, stable et facilement compréhensible par les assurés. L'assurance automobile comportementale est peut être perçue comme une intrusion dans la vie privée des assurés.
Manque de confiance : les conducteurs peuvent craindre que leurs données de conduite soient utilisées à des fins autres que l'assurance, ou qu'elles soient utilisées contre eux en cas d'accident. En effet, si pour l’instant, l’offre d’assurance comportementale récompense les bons comportements, les mauvais conducteurs ne seront-ils pas in fine pénalisés ?
Coût d’entrée : Toutes les voitures ne disposent pas d’une technologie IoT permettant la transmission d’information de conduite en temps réel. Les voitures du parc français demandent pour la plupart une installation de boîtier et donc l'assuré doit faire la démarche de se rendre au garage. C'est un coût d'entrée non négligeable dans le parcours client. Il est également important de considérer le coût de maintenance du boîtier : qui serait en charge de l’entretien, l’assuré ou l’assureur ?
Culture de la mutualisation : Il est intéressant de se demander ce qu'il adviendrait de la mutualisation dans le cadre d'une utilisation partielle de ce système. Si les bons conducteurs se tournent vers ce type d'assurance, il ne resterait que les mauvais profils dans le portefeuille des produits classiques ce qui déstabiliserait considérablement l’équilibre assurantiel actuel.
D'un point de vue opérationnel, une refonte totale des systèmes d'information des assureurs sera nécessaire pour traiter et stocker le flux important de données collectées. De plus, des traitements seront à faire quasiment en continu pour évaluer en temps réel le score de conduite et la prime associée, là où aujourd'hui les études de tarification peuvent se faire une fois par an. Une architecture logicielle adéquate sera nécessaire ainsi que des serveurs haute performance.
S'il apparaît que l'assurance à la conduite comporte certaines limites sur son application à l'assurance automobile du particulier, ce type de tarification pourrait être une solution aux problématiques rencontrées en assurance de flottes automobiles.
La tarification d'un produit d'assurance en flottes automobiles peut être problématique lorsqu'il s'agit de définir un profil de risque en raison de la diversité des profils de conducteur. Utiliser uniquement des variables propres à la conduite, comme le suggère Tesla, permettrait de définir un profil de risque sans passer par les informations classiques de type âge, ancienneté du permis...
Les voitures connectées ouvrent aujourd'hui un nouveau champ des possibles en ce qui concerne les données utilisables pour la tarification automobile. On peut désormais connaître de façon précise la qualité de conduite de l'assuré, au-delà des traditionnels profils de risque macros. C'est cette précision que Tesla a décidé d'exploiter entièrement afin d'avoir une tarification personnalisée reflétant uniquement le risque que présente l'assuré.
Cette innovation pourrait bouleverser le marché de l'assurance automobile si elle devait être généralisée. Toutefois, les spécificités du marché français, sa culture, le volume de voitures non connectées sur le territoire ainsi que les implications techniques laissent penser qu'à court terme, cette approche ne pourrait effacer des années de tarification traditionnelle.
La généralisation de cette technologie pourrait rebattre les cartes de l’assurance automobile avec des constructeurs qui deviendraient les « gatekeepers » des données de conduite et potentiellement les assureurs de demain. La vente de contrats d’assurance par les constructeurs n’est pas nouvelle mais s’inscrit actuellement dans un schéma traditionnel avec un courtier et un assureur portant le risque. À l'image de Tesla, les constructeurs pourraient y voir une source de diversification visant à offrir à leur client une offre complète de services liée à la mobilité. A défaut, la vente de ses données aux acteurs traditionnels de l’assurance ferait des constructeurs un nouveau maillon clé de la chaîne assurantielle.