La reconversion, parent pauvre des politiques d…
A l'heure actuelle environ 1000 points de charge en accès libre ou sur la voie publique équipent la région Rhône-Alpes: trop peu pour rassurer les utilisateurs et permettre un vrai développement du véhicule électrique !
A l'heure actuelle environ 1000 points de charge en accès libre ou sur la voie publique équipent la région Rhône-Alpes: trop peu pour rassurer les utilisateurs et permettre un vrai développement du véhicule électrique ! Mais la situation évolue rapidement: le soutien du gouvernement et la multiplication des initiatives privées concourent tous deux au maillage de la région en infrastructures de recharge. Dans ce contexte, les élus rhônalpins ont un rôle clé à jouer pour assurer un déploiement intelligent, efficace, et ce, à moindre coût pour les collectivités. Cet article propose un éclairage instructif sur 6 points d’attention qui méritent une réflexion toute particulière de la part de nos élus.
Malgré le super bonus accordé par le gouvernement depuis le 1er avril 2015, les ventes de véhicules électriques représentent seulement 1,04% des immatriculations de voitures en juin 2015[i]. Si les consommateurs envisagent positivement le véhicule électrique[ii], encore peu d’entre eux passent à l’achat.
Perçu ou avéré, le manque de points de charge reste l’une des principales causes de résistance des conducteurs[iii].
Avec 95% des recharges qui y sont effectuées, le domicile est de loin le lieu principal de recharge[iv] Pour ce faire les particuliers peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt de 30% pour l’installation d’une borne de recharge à leur domicile. La plupart des trajets peuvent ainsi se faire sans difficulté, sachant que le trajet quotidien d’un conducteur moyen est de 31km[v] et que l’autonomie d’une voiture électrique telle que la Zoé de Renault varie de 100 à 150 km en parcours périurbain.
Pratique et économique, la recharge sur le lieu de travail, quand elle est possible, est le mode de recharge privilégié par les salariés propriétaires de véhicules électriques[vi]. Pour répondre à ce besoin, certaines entreprises, comme par exemple la CNR, mettent à disposition des bornes de recharge pour leurs salariés et leurs visiteurs. D’après la loi Grenelle II, tous les parkings de bureaux doivent être pré-équipés (câblage relié à un compteur individuel basse consommation) pour permettre l’installation de prises ou bornes de recharge. Néanmoins à ce jour il n’existe pas de dispositif d'aide au financement spécifique pour les entreprises et le nombre d’entreprises équipées reste difficile à évaluer.
Location de bornes de recharge entre particuliers
D’après Chargemap, l’application internet de localisation de bornes de recharge, environ une cinquantaine de particuliers propriétaires de véhicules électriques proposent l’accès à leur borne de recharge à d’autres utilisateurs en Rhône-Alpes.
Plus qu’une source de revenu additionnel, la mise à disposition des bornes de particuliers serait motivée par un sentiment d’appartenance communautaire entre les propriétaires de véhicules électriques. Face à une offre limitée en zone rurale et périurbaine, les particuliers mettent à disposition leurs bornes pour répondre solidairement à un besoin d’équipement du territoire.
Nouveau venu sur le marché des applications de localisation de bornes, WattPOP parie sur une forte croissance de la location entre particuliers. L’application est développée en partenariat avec Renault et Schneider Electric, deux acteurs complémentaires de l’électromobilité.
On estime qu’environ 1000 rhônalpins mettront à disposition leurs bornes via des sites tels que Chargemap ou WattPOP d’ici 2019.
D’autre part restaurateurs et hôteliers se lancent aussi dans l’équipement de leurs hôtels et restaurants en infrastructures de recharge pour véhicules électriques. 35 hôtels/restaurants proposant un total de 80 points de charge sont ainsi renseignés sur le site Chargemap en Rhône-Alpes. Certains hôtels/restaurants hauts de gamme peuvent d’ailleurs solliciter des constructeurs automobiles comme Tesla ou BMW pour s’équiper. BMW a ainsi passé un partenariat avec « Relais & Châteaux » en mars 2014 visant à équiper les Relais & Châteaux en zones urbaines et périurbaines en bornes de rechargement pour les voitures électriques[vii]
Néanmoins les recharges au domicile, sur le lieu de travail ou sur le lieu de vacances ne peuvent suffire à répondre aux besoins de mobilité des conducteurs de véhicules électriques. Le déploiement massif de bornes de recharge en accès libre sur la voie publique joue un rôle rassurant, notamment pour les trajets plus longs ou itinérants.
Un point de charge tous les 20 km c’est le minimum requis pour rassurer véritablement les utilisateurs[viii].
D’autre part, si certains centres villes sont déjà bien équipés, l’effort doit se concentrer sur les zones les plus pertinentes pour le développement du véhicule électrique à savoir les zones rurales et périurbaines où les habitants disposent majoritairement de garages pour recharger leur véhicule.
L’Etat actionne à la fois le levier public et le levier privé pour réaliser son objectif de 7 millions de bornes de recharge pour véhicules électriques d’ici 2030 sur le territoire national[ix]. Décliné à l’échelle rhônalpine, cet objectif représente environ 700 000 points de charge.
Depuis janvier 2013 et jusque décembre 2015[x], les collectivités peuvent déposer des demandes de financement de plan de déploiement de bornes de recharge auprès de l’ADEME dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir (PIA). Sous réserve de certaines conditions telles que l’installation d’au moins une borne pour 3 000 habitants[xi] l’agence finance jusqu’à 50% du coût d’installation des bornes. Au 5 janvier 2015, une quinzaine de projets concernant plus de 5000 bornes avaient été validés[xii] à l’échelle nationale, dont seulement un en Rhône-Alpes. En revanche en 2015 plusieurs projets ont été initiés par les syndicats d’énergie rhônalpins comme l’illustre la carte de la Figure 2.
Si les collectivités vont jusqu’au bout de leurs projets tels qu’ils sont décrits sur la carte, ce sont 1332 stations, soit 2660 nouveaux points de charge, qui équiperont le territoire rhônalpin grâce au programme d’aide de l’ADEME d’ici 2019.
Plus récemment, avec les débats sur la loi de transition énergétique, l’Etat a désigné des opérateurs nationaux de bornes de recharge électrique qui bénéficient de l’exonération de la redevance au titre de l’occupation du domaine public.
Ces opérateurs ne sont pas les seuls à installer des bornes de recharge. Concessionnaires automobiles, acteurs de la grande distribution ou exploitants de parkings se positionnent aussi sur ce service. Il existe donc une importante potentielle offre privée pour équiper le territoire en complément des bornes publiques et des opérateurs nationaux.
Grâce aux initiatives privées identifiées, ce sont plus de 1100 stations, soit près de 2600 points de charge, qui équiperont le territoire rhônalpin d’ici 2019.
Ajoutés aux plans de déploiement soutenus par l’ADEME et aux particuliers mettant à disposition du public leurs bornes de recharge, se sont donc au total près de 3500 stations soit 6300 points de charge qui devraient être sur la voie publique ou en accès libre en Région Rhône-Alpes d’ici 2019. Même s’il est difficile d’évaluer le nombre d’entreprises, d’hôtels, et d’immeubles d’habitation proposant des bornes respectivement à leurs salariés et à leurs résidents, ces chiffres montrent néanmoins que l’objectif du gouvernement sera difficilement atteint dans les conditions actuelles.
Les communes ont un rôle décisif à jouer pour répondre localement au besoin d’équipement du territoire en infrastructures de recharge.
La loi[xv] MAPTAM désigne les élus des intercommunalités comme acteurs compétents pour toutes les questions d’installations de bornes de recharge sur leur territoire. Ce sont donc eux qui vont devoir négocier avec les opérateurs privés et il est donc important qu’ils sachent défendre les intérêts des citoyens. D’autre part, la loi NOTRe attribue aux régions les compétences en matières de mobilité interurbaine. L’échelon régional a donc aussi un rôle à jouer dans la question du déploiement de bornes de recharge. La Région Rhône-Alpes a récemment effectué un recensement des initiatives pour la mobilité « décarbonée » (sans CO2) dans la région et a mené une réflexion prospective sur les actions qu’elle pourrait mener dans ce domaine.
L’intervention du privé représente pour les collectivités locales l’opportunité de bénéficier à moindre coût de l’installation de bornes de recharges. Dans ce contexte, elles doivent chercher plus loin qu’une simple application des recommandations officielles[xvi] pour maximiser les bénéfices de l’implantation de bornes de recharge par les opérateurs privés ou au contraire limiter les risques qui en résulteraient.
L’objectif des collectivités est d'offrir un service de recharge équilibré et accessible à tous sur leur territoire.
L’appropriation par le privé de ce service peut mettre en péril ce principe d’égalité du territoire : concentration des bornes sur les espaces à forte densité, plus rentables, et émergence de zones blanches dépourvues d’infrastructure (de la même façon qu’il existe des zones blanches pour l’internet à très haut débit ou la téléphonie mobile). Il est donc important que les collectivités s’approprient la question du déploiement des bornes de recharge pour assurer une égalité des territoires.
C’est ce que fait par exemple le SYANE (syndicat d’énergie départemental) en Haute Savoie à travers son plan de déploiement offrant « un aménagement équilibré et solidaire de l'ensemble du territoire, rural comme urbain ». Le déploiement concerne 183 communes et est suffisamment dense pour « assurer la visibilité des véhicules électriques et assurer la confiance des usagers ». Ce déploiement équilibré est rendu possible grâce à une péréquation des coûts à l’échelle de la Haute-Savoie. [xvii]
Les bornes de recharges pour véhicules électriques peuvent avoir un impact sur l’équilibre du réseau électrique. C’est particulièrement le cas des bornes de recharge rapide qui appellent brutalement une grande quantité d’énergie.
ERDF, en tant qu’opérateur du réseau de distribution d’électricité, joue un rôle clé dans l’exercice d’équilibrage du réseau et est notamment impliqué dans deux démonstrateurs de réseaux intelligents à Lyon et à Grenoble (projet Greenlys). L’implantation de bornes de recharge offre de nouvelles possibilités de gestion intelligente du réseau de distribution électrique (smart grids) : les capacités de stockage des batteries des véhicules électriques permettent d’optimiser la production et la consommation d’énergie renouvelable. Ainsi l’implantation de bornes de recharge peut être l’occasion pour une collectivité de développer une gestion plus intelligente de son réseau de distribution. La région Rhône-Alpes porte déjà 40% de la recherche sur les smart grids en France[xviii].
Dans le quartier de la Confluence à Lyon, le service d’autopartage Sunmoov est alimenté en énergie renouvelable. Un système informatique surveille en permanence la charge des voitures et les réservations prévues ; en cas de pics de consommation d’énergie, seules les voitures nécessaires pour répondre aux demandes de réservation sont rechargées ; en cas de faible demande, l’énergie produite par les panneaux photovoltaïque peut être stockée dans les batteries des voitures.
Les données sur la mobilité alimentent les réflexions des collectivités pour les questions d’aménagement urbain et d’infrastructures de transport. Elles participent aussi à la fourniture d’une information voyageur fiable et en temps réel. Les données sur la mobilité détenues par les opérateurs de services de transport sont donc essentielles pour fournir aux citoyens des services de transport de qualité. Les données relatives aux services de recharge pour véhicules électriques suivent la même logique.
Les données des opérateurs de bornes complèteront donc les informations sur la mobilité dont disposent les collectivités : Enquêtes Ménage Déplacement (EMD), comptages de trafic, fréquentation des transports en commun, données GPS... Ainsi, si les collectivités posent dès l’origine le principe de mise à disposition des données, elles bénéficieront de données de valeur dans le futur.
Bolloré fournit ainsi au Grand Lyon toutes les données d’exploitation de son service de véhicules en libre-service Bluely.
L’implantation de bornes de recharge pour véhicules électriques vient questionner la place de la voiture en ville. Pour des raisons de pollution de l’air, d’occupation de l’espace public ou de congestion urbaine, nombre de communes cherchent à diminuer la part de la voiture individuelle au profit des transports en commun et des modes doux (vélo, marche à pied, …). Comment l’implantation de bornes de recharge peut-elle répondre à cet objectif ?
Un choix judicieux d’emplacement des bornes de recharge peut diminuer la part modale de la voiture individuelle en ville.
Implanter des bornes de recharge sur les parcs de rabattement (P+R) favorise l’intermodalité et le rabattement des conducteurs vers les transports en commun. De même l’implantation de bornes sur des parcs de co-voiturage favorise l’émergence des nouveaux usages. Ainsi la Région Rhône-Alpes fait la promotion du covoiturage et cofinance les parcs de rabattement. La mise en place de bornes de recharge sur ces installations pourrait renforcer efficacement cette politique.
L’ADEME, dans une étude publiée en 2014 sur les déplacements en 2050, prévoit que le nombre de véhicules passera en France de 35 millions à 22 millions, dont 5 millions en auto-partage.
La population aspire de moins en moins à la propriété et de plus en plus au partage. Cette implantation de bornes de recharge pour véhicules électriques peut donc aussi être l’occasion de favoriser la transition d’une économie de la propriété à une économie d’usage grâce à l’autopartage. La station de sport d’hiver de l’Alpes d’Huez a ainsi mis en place un service de voitures électriques en autopartage pour réduire la pollution atmosphérique et résoudre le problème de congestion automobile en station[xix].
L’interopérabilité économique des bornes consiste pour un usager en la possibilité de payer la recharge de son véhicule, et ce à un prix correct, sur toutes les bornes de recharge, y compris à celles qui ne sont pas gérées par l’opérateur auprès duquel il a souscrit un abonnement. L’enjeu est de taille car un système complexe et non uniformisé de paiement des services de recharge représenterait un frein au développement de l’usage des véhicules électriques dans un contexte d’augmentation du nombre d’opérateurs (Cf. tableau plus haut).
Le GIREVE (Groupement pour l’Itinérance des Recharges Électriques de Véhicules) propose une solution de partage des informations des usagers inter-opérateurs permettant ce paiement indifférencié. Néanmoins certains opérateurs privés ne sont pas toujours enclins à fournir leurs données à un acteur privé. S’il n’est plus temps de réinventer des groupes d’interopérabilité, les collectivités doivent cependant influer sur les groupements existant pour garantir l’intérêt des citoyens en demandant une interopérabilité économique et une facilité d’utilisation des bornes de recharge.
Nombre de collectivités proposent d’ores et déjà des supports de paiement unifiés pour les différents moyens de transport. La carte OùRA ! en région Rhône-Alpes supporte l’abonnement aux transports en commun de réseaux urbains mais aussi les TER, les abonnements Velov’, l’abonnement au service d’autopartage Cité lib by Ha:mo à Grenoble, etc. Les services couverts par la carte vont augmenter en nombre dans la région. Pour continuer sur cette lancée et permettre de faciliter la vie des usagers, la Région envisage fortement d’inclure le paiement des recharges pour véhicules électriques aux fonctionnalités couvertes par la carte OùRA!
A l’occasion de l’installation de bornes de recharge, les collectivités s’interrogent sur le prix à facturer à l’usager pour le service de recharge.
La gratuité de la recharge renforce l’avantage économique du véhicule électrique par rapport au véhicule thermique et incite alors d’autant plus de personnes à s’équiper de véhicules électriques. De nombreux opérateurs privés proposent des recharges gratuites. C’est le cas des concessionnaires (Renault, Nissan) des acteurs de la grande distribution (E. Leclerc, Casino, …) et des exploitants de parkings (ces derniers ne facturant que le prix du stationnement). Pour ces opérateurs privés, la mise à disposition gratuite d’un service de recharge est un argument commercial.
Mais la gratuité de la recharge risque aussi de déprécier la valeur du service rendu. D’autre part, cela représente un coût pour la collectivité qui ne reçoit donc aucune contrepartie financière de la part des utilisateurs pour couvrir ses coûts (fourniture de l’énergie, mais aussi maintenance des bornes et gestion du service si ces dépenses sont à sa charge). Enfin la gratuité des recharges n’incite pas les consommateurs à faire des économies d’énergie. Pour toutes ces raisons, la gratuité du service de recharge ne semble pas être opportune. De nombreux opérateurs privés proposent des services de recharge payants. Par exemple, la CNR facture 5€ pour une recharge rapide (80% de la batterie en seulement 20 à 30 minutes) à partir d’électricité verte. De même Bluely (service de véhicules en libre-service à Lyon) propose un accès payant à ses bornes aux particuliers propriétaires de véhicules électriques.
Certaines collectivités ont fait le choix d’un compromis : le département de l’Allier en Auvergne compte proposer l’accès à ses bornes de recharge gratuitement pendant 2 ans[xx].
Les élus doivent se préoccuper de la question du déploiement des bornes de recharge parce qu’ils ont indéniablement un rôle à jouer dans ce déploiement qui est un point clé de l’aménagement du territoire.
La question des bornes de recharge dépasse largement la seule question du raccordement au réseau et la mise en conformité avec les préconisations techniques fournies par le gouvernement. Les communes et intercommunalités doivent s’approprier le sujet pour défendre les intérêts de leur territoire et utiliser au mieux les possibilités qui s’offrent à eux (financements de l’ADEME, plan de déploiement des opérateurs privés, plans de déplacement des entreprises, initiatives des particuliers, …). L’action publique locale, venant compléter les mesures nationales (super bonus, subvention des bornes, …) contribue pleinement à convaincre les citoyens de se tourner vers le véhicule électrique et rend ainsi possible la transition vers un parc automobile décarboné.
Le déploiement d’infrastructures de recharge doit se faire en gardant en tête l’évolution des technologies et notamment l’augmentation de l’autonomie des batteries. D’autre part l’électromobilité n’est pas la seule réponse au besoin de mobilité décarbonée. Le développement du GNV (Gaz naturel Véhicule) et particulièrement du bio-GNV (Gaz naturel Véhicule d’origine renouvelable) devra trouver sa place aux côté de l’électromobilité dans les priorités politiques des élus.