La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Développée par trois étudiants de Stanford en 2011, l’application Snapchat, aujourd’hui rebrandée Snap, s’est faite une place de choix dans l’écosystème des réseaux sociaux...
Développée par trois étudiants de Stanford en 2011, l’application Snapchat, aujourd’hui rebrandée Snap, s’est faite une place de choix dans l’écosystème des réseaux sociaux. Au sein d’un environnement fortement concurrentiel, caractérisé par pléthore d’applications et de sites sociaux, Snap s’est désormais imposée en seulement quelques années. L’année 2017 inaugure à cet effet l’entrée en bourse de la start-up, valorisée près de 24 milliards de dollars à Wall Street. Si Snap a affronté jusqu’à présent sans coup férir les nombreuses tentatives d’imitations et de rachats par ses concurrents, notamment Facebook, elles pourraient à terme la fragiliser. Dès lors, l’application est-elle une onde éphémère ou une véritable vague numérique amenée à perdurer ?
Tout d’abord, Snap a développé une relation singulière avec Facebook, et présente de nombreux points en commun avec le réseau social, pouvant prédire une trajectoire optimiste. Son historique de création rappelle celui du groupe de Mark Zuckerberg, qui a fondé son site communautaire en 2004 alors qu’il était étudiant à Harvard. Aux origines de la création, un désir de développer des liens sociaux avec les autres au sein d’un réseau exclusif. Cette volonté est également motrice pour les trois étudiants de Stanford, Evan Spiegel, Bobby Murphy et Reggie Brown qui ont lancé Snapchat. Egalement élèves de l’une des plus prestigieuses universités des Etats-Unis, les trois étudiants n’ont pas terminé leur cursus universitaire lorsqu’ils développent l’application. Par ailleurs, Evan Spiegel, principal représentant de la start-up, – Reggie Brown étant rapidement écarté et Bobby Murphy jouant un rôle davantage opérationnel – souhaite comme son concurrent de Harvard conserver le contrôle et écarte toute tentative de rachat extérieur. En 2010, Mark Zuckerberg refuse la proposition de rachat de Microsoft, pour une offre estimée à 24 milliard de dollars. En 2013, il se voit à son tour refuser sa proposition de rachat sur Snapchat pour un montant de 3 milliards de dollars. Ce parallèle montre les similitudes dans les trajectoires adoptées par les deux entrepreneurs, trajectoires qui intègrent également toutes deux un passage par Wall Street. Ainsi, Facebook fait une entrée mouvementée au Nasdaq en 2012 pour une valorisation de 104 milliards de dollars. Cinq ans plus tard, Snap, organise à son tour son entrée en bourse avec une valorisation de 24 milliards de dollars. Cette relation particulière s’explique également par la tentative d’imitation de la firme de Palo Alto, à l’origine de quatre copycats de la start-up de Venice ; tentative qui tend vers l’obsession. En 2012, Facebook lance en effet Poke, une application permettant de partager des photos éphémères entre utilisateurs. Elle ne rencontre pas le succès escompté et est finalement supprimée. Le site communautaire persévère et lance l’application SlingShot, permettant d'envoyer à ses amis des photos et des vidéos qui s'autodétruisent après quelques secondes. Elle est finalement abandonnée, tout comme l’application Bolt, messagerie instantanée lancée par Whatsapp - appartenant à Facebook. Le réseau social parachève sa copie de Snap, en lançant en mars 2017 des « stories » et des filtres animés. Ces nombreuses imitations visent volontairement à « tuer » l’application au fantôme jaune et pourraient à terme parvenir à l’affaiblir.
D’autre part, l’application d’Evan Spiegel présente de fortes perspectives de croissance, grâce à une monétisation accélérée. Le chiffre d’affaires de Snapchat est ainsi passé de 58 millions de dollars en 2015 à 404 millions de dollars en 2016, et a donc été multiplié par 7. L’application bénéficie d’une aura significative auprès d’un public très jeune, notamment dans la tranche d’âge des 15-24 ans, ce qui attire les annonceurs et les grands groupes. En France, EDF développe par exemple ses relations avec les Millennials et a créé un compte début mars 2017 sur l’application. L’objectif, n’est pas tant de promouvoir les offres et services du géant de l’énergie, mais plutôt de relayer des informations sur la marque et de la renforcer auprès des jeunes générations. Aux Etats-Unis, des marques comme BMW utilisent Snap pour partager leur contenu rédactionnel grâce à la fonctionnalité Discover. Le même succès est observé en France puisque 6 mois après le lancement de la version française de Discover, le temps passé par les utilisateurs a été multiplié par trois et a attiré des annonceurs tels que Sephora, La Banque Postale (2). Cette monétisation du traitement de l’attention offre à l’application toute sa singularité et lui octroie une longueur d’avance vis-à-vis de ses concurrents. En revanche, elle ne dispose pas de la même force de frappe financière et de la même audience que la firme de Mark Zuckerberg. L’application présente de surcroît une perte nette de 515 millions de dollars en 2016 (contre 373 millions de dollars en 2015) et pèse peu face aux 27 milliards de dollars de chiffre d’affaires de Facebook (en croissance de 54% en un an) et au bénéfice net annuel de 10 milliards de dollars (3). Par ailleurs, le site communautaire rassemble 1,86 milliard d'utilisateurs actifs, contre 158 millions pour Snap.
Enfin, la force de Snap réside également dans l’ancrage sociétal qu’elle a progressivement forgé depuis son lancement en 2011. L’application fait de la photo un relais de communication renouvelé, constituant un « moyen pour parler ». Elle s’est installée dans le quotidien de ses utilisateurs, qui développent avec les autres membres un réseau et un contenu exclusifs. L’application devient un relais de fidélisation des marques auprès des consommateurs mais confère également aux utilisateurs un rôle de citoyen. Cet ancrage sociétal s’est notamment manifesté lors des élections présidentielles américaines de 2016. Depuis 10 ans, chaque campagne électorale américaine est portée par un acteur du net. L’élection de Barack Obama en 2008 fut portée par Facebook, sa réélection en 2012 par Twitter. En 2016, les deux camps des candidats ont été très actifs sur Snap afin d’atteindre les 200 millions d’utilisateurs américains, dont plus de la moitié se connecte chaque jour. La cible jeune est en effet stratégique, plus de 60 % des 18-34 ans qui ont un smartphone aux Etats-Unis sont des "Snapchatters", selon le vice-président de la communication de Snapchat, Jill Hazelbaker. Les Démocrates et les Républicains ont donc lancé de nombreux contenus, promouvant leur candidat, et récriminant le camp adverse. Cette stratégie médiatique a incité l’application à recruter des journalistes et à nouer des partenariats avec des médias comme le Daily Mail, Vice, et Sky News (4). L’application devient alors un véritable média d’information, relayant des vidéos et des photos des meetings des candidats.
Ainsi, Snap connaît depuis son lancement un développement significatif et présente une certaine singularité au sein de l’écosystème des réseaux sociaux. De par la jeunesse du public qu’elle cible, sa monétisation accélérée et ses caractéristiques propres (présence de filtres, l’aspect éphémère des contenus partagé, l’exclusivité du réseau), l’application dispose de nombreux atouts. Elle reste en revanche menacée par ses concurrents, en premier lieu Facebook, qui développent des imitations agressives pouvant à terme la fragiliser, voire la réduire à une « onde éphémère » ?