La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Vendredi 30 juin dernier, L’Express, Vogue, Society et MTV sont venus s’ajouter aux huit titres francophones déjà présents au sein de la section Discover depuis septembre 2016.
Vendredi 30 juin dernier, L’Express, Vogue, Society et MTV sont venus s’ajouter aux huit titres francophones déjà présents au sein de la section Discover depuis septembre 2016. Le Monde, Vice, Konbini, Cosmopolitan, Melty, Tastemade, Paris Match et L’Equipe proposent en effet depuis bientôt un an du contenu sur la plateforme intégrée à Snapchat. L’objectif ? Toucher, à travers leur réseau social privilégié, les jeunes et particulièrement les millennials, cette cible réputée difficile d’accès et exigeante. A ce titre, l’élargissement du portefeuille éditorial disponible sur Discover peut-il être interprété comme un signe de succès ? Discover est-il en train de devenir un incontournable dans la stratégie de diversification de la presse française ?
L’année passée, Snapchat avait fait coïncider de manière plutôt heureuse l’annonce de chiffres clés concernant ses utilisateurs – 8 millions de profils actifs chaque jour en France, avec en moyenne 18 accès quotidiens à l’application – avec la présentation de son offre Discover à destination des médias. A l’époque, les principaux titres de presse français s’étaient montrés très intéressés par les possibilités offertes par le service de Snap, mais les conditions particulièrement strictes en avaient refroidi certains. Le réseau social exigeait en effet que les rédactions aient une équipe d’au moins quatre personnes – journalistes et graphistes – dédiée à cette seule édition. Par ailleurs un engagement à produire du contenu interactif sur une base quotidienne et à investir un certain montant sur une durée déterminée avait également été requis.
Pour l’arrivée des quatre médias supplémentaires, le réseau social a adouci les conditions. L’Express et Society ne publieront en effet qu’à raison d’une édition par semaine, tandis que Vogue en publiera trois par semaine. Conséquence logique, la mobilisation de ressources au sein des rédactions est moindre : alors que sept personnes travaillent à plein temps sur l’édition du Monde, seules trois seront concernées à L’Express. Cet assouplissement s’explique très certainement par les chiffres rassurants communiqués par le réseau social américain concernant Discover France, dont l’audience aurait doublé depuis septembre. Le temps passé sur la plateforme aurait, lui, triplé.
85% des utilisateurs de Snapchat ayant moins de 35 ans, le réseau social est un moyen privilégié pour les titres de presse de toucher une génération qui semblait jusque-là hors d’atteinte. Les millennials, cette génération née entre 1980 et 2000 caractérisée par son ultra-connectivité et sa fidélité difficile à acquérir, viennent en effet nourrir la proportion grandissante de Français qui délaissent les journaux papier. Cependant, à rebours des idées reçues, les millennials ne se désintéressent pas pour autant de l’information. Selon une étude menée par Data & Society, leur manière d’appréhender l’information est tout simplement différente : au lieu d’aller chercher l’information de manière active, ils sont dans une posture passive, attendant que l’information vienne à eux. Investir Snapchat permet donc aux titres de presse de s’aligner sur cette logique, de s’insérer dans le quotidien des jeunes en minimisant les actions requises de leur part.
Au-delà de l’investissement financier et de la mobilisation de ressources internes, cibler les millennials via Discover signifie également pour les titres de presse être à même de s’adresser à cette population spécifique. Pour certains médias, cela peut s’avérer plus simple que pour d’autres - c’est le cas de Society par exemple, jeune média à la moyenne d’âge au sein de la rédaction relativement basse. Pour d’autres rédactions plus traditionnelles comme Le Monde ou L’Express, les éditions Discover ne présentent pas seulement un défi technique mais également éditorial : le format impose une longueur modérée, exige une structure claire et un ton de rédaction de préférence léger. Il est à noter que ces ajustements sont nécessaires pour les rédactions à l’origine des éditions comme pour les annonceurs. Parmi ces derniers, Netflix, Sephora, Dior ou encore la Société Générale tirent notamment leur épingle du jeu.
En dépit de certaines hésitations, les huit médias arrivés en septembre dernier ont tous décidé de prolonger leur collaboration avec Discover pour une année supplémentaire. Faut-il voir dans ce renouvellement et dans l’arrivée de nouveaux médias la preuve du caractère incontournable de la plateforme dans le paysage de la presse française ? Pas nécessairement a-t-on envie de répondre après avoir considéré l’exemple d’un média de référence ayant fait le choix de l’indépendance, Le Figaro.
Le Figaro, inscrit sur Snapchat depuis février 2016 avec son propre compte utilisateur, propose des mini-bulletins d’information deux fois par jour sous forme de stories élaborées par des journalistes et des membres de l’équipe social media. En septembre 2016, Le Figaro avait jugé les conditions de Snapchat trop exigeantes et décidé de poursuivre selon ce fonctionnement. A la clé, une totale liberté concernant les sujets traités et les ressources allouées ainsi qu’un investissement financier proche de zéro ; en contrepartie, Le Figaro se prive d’un format conçu spécialement pour les titres d’information ainsi que d’une mise en avant spécifique. Les premières éditions Discover des médias – anciennement et nouvellement – présents sur la plateforme ont en effet bénéficié d’une couverture médiatique importante et les éditions suivantes sont mises en valeur dans l’onglet Stories de l’application. Ce fonctionnement suppose également que les utilisateurs fassent la démarche de s’abonner aux stories du Figaro, ce qui implique donc une action de la part de la cible.
Il est difficile de comparer en termes quantitatifs les résultats des stratégies du Figaro et du Monde par exemple, tant les médias de Discover et Snap demeurent opaques concernant les chiffres d’audience. D’un point de vue qualitatif cependant, le choix du Figaro trouve des justifications pertinentes. Car bien que difficiles à capter, les millennials n’en ont pas moins été étudiés et parmi les caractéristiques clés qui leur sont attribuées, on retrouve la volonté d’être immergé dans un parcours client personnalisé : les millennials cherchent la disruption, le live, l’expérientiel. Ils veulent créer du lien avec la marque, se sentir connectés, considérés individuellement. Pour autant, ils abhorrent le ciblage ostentatoire ; Labbrand, spécialiste de l’innovation de marque, révèle d’ailleurs que 2/3 d’entre eux déclarent ne pas cliquer sur les posts ouvertement sponsorisés, posts qu’ils repèrent aisément grâce à leur connaissance aiguisée des mécaniques digitales. A l’inverse, ils se fient principalement aux recommandations de leurs amis dans leurs choix de consommation. A ce titre, pour gagner la confiance des millennials et surtout leur fidélité, il peut donc être judicieux pour un média de se positionner comme un interlocuteur « amical », de chercher à construire une relation la plus dénuée d’artifice possible. C’est le choix qu’a fait Le Figaro jusqu’à maintenant, en ne souscrivant pas à Discover et en se positionnant comme un simple « ami » sur Snapchat, choix dont l’efficacité ne saurait se mesurer à l’aune des seuls résultats sur Discover de la concurrence : l’attachement à la marque et la confiance, valeurs qui importent aux millennials, doivent être considérés comme des indicateurs clés dans cette bataille numérique.