La reconversion, parent pauvre des politiques d…
La crise financière des années 2000, a été l'occasion de voir réapparaitre au premier plan un serpent de mer né dans les années 1970, garant d'une « finance équitable » et régulièrement évoqué durant ces 30 dernières années : la taxe sur les transactions financières.
Initialement imaginée par le Prix Nobel d'Economie James Tobin, cette « Taxe Tobin » est déjà appliquée plus ou moins fidèlement par quelques Etats (voir plus bas).
En France, sous l'impulsion de l'ancien chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, elle est entrée en vigueur depuis le 1er août 2012. Critiquée aussi bien par les professionnels de la finance que par les ONG, elle n'a jamais été imaginée autrement que comme un signal symbolique fort à destination des autres pays de l'Union Européenne, en attendant un projet de plus grande envergure mené par la Commission Européenne.
Aujourd'hui, après bientôt deux ans de mise en place, quel bilan peut-on tirer de cette taxe française promise à disparaître le plus tôt possible et que peut-on attendre du projet européen ?
Bien que devant concerner 80 à 85% des échanges sur la place financière française, la 1ère version de la taxe imaginée par le gouvernement Sarkozy était déjà perçue comme symbolique. En effet, les transactions les plus controversées s'effectuant à Londres, des opérations comme les CDS souverains à nu auraient échappés à la taxe.
Le texte de loi des finances rectificative du 31 juillet 2012, à l'initiative de l'actuel gouvernement a conservé dans les grandes lignes le projet initial mais a durci la taxe en doublant le taux de taxation de certaines opérations.
La taxe vise principalement l'achat de titres d'entreprises ayant leur siège social en France et une capitalisation boursière supérieure à 1md d'€. Ces achats[1]sont taxés à hauteur de 0.2% sur la valeur d'acquisition et ce qu'importe le lieu de la transaction du moment que le produit est coté sur le marché français ou un marché règlementé[2]. A ce jour, 109 valeurs boursières correspondent à ces critères.
Les titres[3] représentants les actions de ces 109 entreprises (ex : certificats d'investissement) sont également concernés afin de ne pas exclure les entreprises françaises cotées à l'étranger, notamment à New York. L'entrée en vigueur de cette mesure avait initialement été décalée au 1er décembre 2012 afin de mettre en place ses modalités, plus complexes, et de vaincre le scepticisme des professionnels de la finance Américains.
La taxe est payée par l'intermédiaire financier ou à défaut par l'établissement assurant la fonction de tenue de compte-conservation quelque soit leur lieu d'établissement.
Le très polémique trading à haute fréquence est également taxé. Il s'agit d'opérations qui utilisent à grande vitesse les outils du trading algorithmique : 25 microsecondes suffisent pour émettre un ordre et l'annuler. La loi a retenu un seuil de 0,5s.
Les opérations de cette nature, lorsqu'elles sont fermes, sont taxées à 0,01% tandis que les annulations ou modifications d'ordre sont taxées eux au-delà du seuil de 80% de transactions annulées ou modifiées.
Tous les titres de capital sont éligibles et contrairement à la taxe sur les titres financiers, le lieu du siège de l'entreprise émettrice du titre et le volume de la capitalisation sont indifférents. La taxe est à acquitter par toute entreprise réalisant ce type d'opérations sur le territoire français (les succursales de sociétés étrangères exerçant en France rentrent dans le périmètre). Par ailleurs, les activités de tenue de marché sont exonérées.
Enfin, le texte prévoyait également la taxation à hauteur de 0.01% du montant notionnel des ventes à nu de Credit Default Swaps (CDS) souverains d'états de l'Union Européenne, réalisées sur le territoire français. Ce type d'opération est désormais interdit depuis le 1er Novembre 2012.
Tandis que les ONG et partisans d'une finance plus responsable ont dénoncé le manque d'ambition du texte, son inefficacité pour lutter contre la spéculation et le flou relatif à l'affectation des recettes, les professionnels du secteur ont, eux, mis en exergue son inutilité tant qu'elle ne serait pas appliquée au niveau européen et qu'elle n'inclurait pas La City.
Ils ont également dénoncé un poids sur les investissements en action ainsi qu'une pénalisation des petits épargnants par rapport aux professionnels mieux à même de contourner la taxe.
Les opérateurs critiquent également la lourdeur du dispositif : acquittement de la taxe par les intermédiaires puis recouvrement auprès de leurs clients.
Malgré ces critiques, force est de constater que les conséquences de la taxe sur le secteur sont à relativiser. Tout d'abord, le taux de prélèvement est faible (0.2%), la liste des exonérations du périmètre produit est longue[4] et les petites valeurs ont été exclues du périmètre.
De nombreux autres pays[5] appliquent déjà une taxe similaire avec parfois des taux de taxation plus élevés. Le Royaume-Uni taxe à hauteur de 0.5% les actions de nationalité britannique, lui permettant de collecter chaque année entre 4 et 6 milliards d'euros.
Alors qu'il était attendu 1.6mds d'€ de recette en année pleine, la taxe a seulement rapporté 250m€ en 2012 (août à décembre) et entre 600 et 800m€ en 2013, des sommes à relativiser pour le secteur. Les impacts ont néanmoins été visibles selon deux économistes de la BCE qui évaluent une baisse des échanges d'actions françaises de l'ordre de 10% traitées sur Euronext (environ 1/3 des actions françaises échangées quotidiennement), qui matérialise certainement l'accueil réservé à la taxe par les investisseurs.
La commission Européenne considère le principe d'une taxe sur les transactions financières comme un juste retour des choses car selon elle, les services financiers sont actuellement sous imposés car bien souvent exonérés de TVA (en raison des difficultés à déterminer la base imposable) et enregistre des marges bénéficiaires très élevées. Une taxe sur les transactions financières européennes poursuivrait plusieurs objectifs distincts :
Selon ses calculs, la taxe européenne pourrait rapporter 30 à35 Mds d'€ mais la question de l'affectation des recettes, comme la TTF française, reste à trancher même si l'on évoque une réduction des contributions nationales au budget de l'UE.
La taxe serait fondée sur le principe de la résidence fiscale de l'établissement financier ou du trader. L'imposition aurait alors lieu dans l'État membre où l'établissement financier participant à la transaction est réputé situé. Cette manière de procéder contribuerait à réduire le risque de délocalisation, car toute transaction financière à laquelle participe un résident de l'UE serait taxée, même si elle est réalisée en dehors de l'Union.
Par ailleurs, la transaction financière visée, est dans ce texte, définie comme l'échange d'instruments financiers[6] entre établissements financiers[7]. Le taux minimal prévu est de 0,1 % pour les obligations et actions, et de 0,01 % pour les produits dérivés, mais les États membres auraient la liberté d'appliquer des taux plus élevés (lorsque des pays de l'UE appliquent déjà une taxe sur les transactions financières nationales, celle-ci devra être conforme aux règles de l'UE).
Enfin, la taxe serait payée par chacune des parties à la transaction avec chacune des deux parties payant sa part de la taxe dans le pays où elle réside ou est réputée résider. Par exemple, une banque anglaise et sa contrepartie française s'échangeant un titre sur une place londonienne seraient l'une et l'autre redevables au fisc français. En l'état, la taxe couvrirait 85 % des transactions entre établissements financiers indifféremment effectuées sur des marchés organisés ou de gré à gré.
De nombreuses exemptions sont cependant à relever : toutes les transactions impliquant les ménages privés ou les PME (ex : emprunts hypothécaires, les prêts souscrits par les PME ou les primes d'assurance) ou les opérations de change au comptant etc.[8]
Le Parlement Européen a approuvé le 23 mai 2012 la proposition de la Commission Européenne présentée en septembre 2011. Consciente de la réticence de certains de ses états membres, la Commission a approuvé en février 2013, qu'en cas de blocage, la taxe puisse être mise en uvre dans une partie seulement de l'UE, suivant le mécanisme de la coopération renforcée. 11 Etats[9] membres ont donc pour le moment décidé d'y participer et eux seuls auront le droit de voter et de se mettre d'accord sur la directive. Celle-ci en cours d'élaboration devra ensuite être transposée dans leurs législations nationales.
Bien que toujours en discussion auprès des 11 Etats membres et des instances européennes, pour notamment définir son assiette et son affectation, la taxe sur les transactions européennes semble en bonne voie après des avancées significatives. Les jours de la très polémique taxe française sont donc comptés et l'on parle d'un accord avant les prochaines élections européennes de mai 2014.