La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le développement de l’urbanisation et la densification des villes ont entrainé un accroissement du trafic urbain. Cette amplification de la circulation, principalement motorisée, n’est pas sans conséquence sur la santé et l’environnement.
Malgré les efforts effectués sur les normes des véhicules, le transport routier représente toujours 18% des émissions mondiales de CO2 en 2016 selon l’Agence Internationale de l’Energie. Le transport public peut ainsi jouer un rôle déterminant sur les problématiques environnementales et sanitaires. Face au développement urbain, quelques villes tentent l’expérience de la gratuité des transports en commun pour répondre à ces enjeux.
Ainsi, au-delà des intérêts et/ou contraintes socio-économiques, quels sont les réels impacts environnementaux et sanitaires de la gratuité des transports publics ?
Dans l’objectif de réduire la dépendance aux énergies fossiles et de limiter la pollution de l’air pouvant entrainer 4,2 millions de décès prématurés dans le monde d’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)[i], mais aussi pour favoriser une mobilité équitable et un dynamisme économique, de plus en plus de villes envisagent la gratuité de leurs transports en commun. En effet, le trafic urbain est l’un des plus gros contributeurs tant sur le plan de la consommation d’énergie (environ 27% de la consommation d’énergie finale en France[ii]) que sur les émissions de polluant (65% des émissions de NOx et plus de 51% des particules PM10 à Paris[iii]). Le trafic automobile provoque également de nombreux désagréments tels que la congestion des routes, les risques d’accidents ou encore le bruit. La gratuité des transports en commun permettrait ainsi de répondre à plusieurs de ces enjeux en réduisant sensiblement l’utilisation de la voiture chez les particuliers. Plusieurs études de cas concrets, dont certaines en France, montrent une réduction de l’utilisation du véhicule dans les déplacements urbains[iv], même si celle-ci reste très variable selon le réseau de transport proposé.
L’exemple le plus notable vient de Tallinn (Estonie), qui est actuellement la plus grande ville au monde ayant instauré la gratuité pour ses résidents en 2013[v]. Son réseau de transport est composé de 5 lignes de tramway, 8 lignes de bus électrique et 57 bus pour répondre au besoin de plus de 400 000 résidents. La ville a instauré la gratuité des transports pour promouvoir le transport durable et réduire l’utilisation des véhicules particuliers, dont le nombre a plus que doublé en 20 ans.
La part modale mesure le nombre de déplacement selon un mode de transport divisé par l’ensemble des déplacements sur une ville à une période définie. Dans le cas de Tallin, la gratuité des transports en commun a permis d’augmenter la part modale des transports publics de 55% à 63% ainsi qu’une baisse de l’utilisation de la voiture de 10%.
Cependant, une baisse des transports électriques reportée vers les bus a été observée ainsi qu’une baisse de la part modale de la marche de 42% suite à l’instauration de la gratuité des transports en commun. Ceci pourrait s’expliquer par un système de tarification proche du système parisien[i] : un ticket de bus pris auprès du conducteur n’est valable que pour un voyage dans ce même bus. La gratuité aurait permis ainsi à des usagers sans abonnement, qui se déplaçaient à pied pour rejoindre des transports électriques (qui eux ont un ticket multimodal, donc valable sur n’importe quel tramway/bus électrique), d’utiliser le bus pour réduire leur temps de trajet.
Malgré certaines externalités écologiques négatives (usagers moins incités à pratiquer la marche ou le vélo, report vers l’utilisation du bus…), plus d’une centaine de villes partout dans le monde[ii] ont pris l’initiative de rendre leurs transports publics gratuits, notamment en Pologne (~30), au Brésil (~15) ou encore aux Etats-Unis (~35). Les initiatives les plus récentes sont européennes (3 villes Tchèques en 2018 de manière partielle) mais les villes concernées restent de taille modeste (entre 5 000 et 100 000 habitants).
Afin de pouvoir mesurer les impacts de la gratuité, il est nécessaire de connaître la consommation des différents moyens de transport urbain. L’étude des consommations d’énergie finale montre que le véhicule particulier est le plus consommateur d’énergie pour effectuer un trajet. Cela est notamment dû au faible nombre de passager (moins 1,1 en moyenne pour les trajets domicile-travail[i]) comparé à sa consommation. Au contraire, les transports en commun profitent d’une forte économie d’échelle grâce au nombre important de passagers transportés[ii].
L’étude comparée de deux réseaux différents permet d’appréhender des premières tendances sur l’impact de la gratuité, sans pour autant généraliser ces cas d’étude à l’ensemble des villes. Il s’agit de simuler les différentes consommations d’énergie ainsi que les émissions selon les parts modales de ces deux cas réels.
Dans le premier cas, l’analyse Sia Partners s’appuie sur les données de la commune de Châteauroux (77 000 habitants), où la gratuité des transports en 2001 a entrainé un doublement de la fréquentation du bus. Cette fréquentation est principalement due au report modal, qui est cependant resté limité (-1,1% d’utilisation de la voiture). Il faut aussi remarquer l’arrivée de nouveaux clients, qui sans la gratuité, n’auraient pas fait de déplacement.
Lors du report modal vers les bus, on suppose, pour préserver le confort des usagers, que les nouveaux clients seront dans de nouveaux bus avec un nombre de passager égal à 50. Les bus ayant des capacités maximales comprises entre 80 et 120 places, la consommation de bus par passager est ici légèrement surestimée. En considérant qu’un déplacement correspond à 3 km, près de 385 équivalents litres gazole par jour seraient économisés avec des bus diesel et 280 litres avec des bus GNV (Gas naturel Véhicule). Cette diminution est cependant a mettre au regard de la consommation totale, soit une réduction de 1,4% au total. Ainsi la réduction de la consommation d’énergie reste assez limitée pour ce réseau de moyenne taille du fait du faible report modal.
Afin d’évaluer les possibles gains sur un réseau de plus grande ampleur, ces calculs ont été appliqués à la ville de Tallinn[iii]. Dans ce cas précis, une diminution des transports électriques très peu énergivores (tram et bus électrique) est constatée, de même pour les transports doux (marche et vélo). La part de diminution du véhicule particulier reste cependant significative (10%). Le déplacement moyen est ici d’environ 2,3 km[iv].
Le report modal de la voiture vers les transports en communs, même s’ils sont carbonés, compensent largement les effets négatifs de la gratuité sur le système énergétique, à savoir une diminution des transports peu/non énergivore. La gratuité des transports en commun entraine donc une réduction de plus de 7,9% de la consommation d’énergie totale dans le transport.
Le report modal de la voiture vers les transports publics permet des gains énergétiques plus ou moins importants. Ces réductions de consommation de carburant vont ainsi réduire les émissions de nombreux polluants dans l’air. En se basant sur les calculs d’émission de polluant par type de transport[v] [vi] [vii], les effets de la gratuité des transports en commun sur l’environnement peuvent être déduits.
Les émissions de CO2 et de PMx sont donc fortement réduits par la gratuité des transports en commun mais les émissions de Nox ne semblent pas impactées. Ces différentes valeurs peuvent être expliquées via les procédés chimiques :
Des réductions plus importantes des émissions peuvent être attendues avec l’utilisation des bus GNV, certes plus consommateurs d’énergie, mais beaucoup moins polluants et bruyants.
La ville de Châteauroux présente des résultats similaires liés à sa consommation d’énergie (-0,92% de CO2, -1,6% de PM10 et 0,17% de NOx).
Mesurer l’impact de la gratuité des transports est un sujet complexe du fait des spécificités de chaque ville (réseaux, plan d’urbanisme, intensité carbone...). Cependant, l’étude de deux cas d’études différents montre que malgré des externalités négatives (réduction de l’utilisation de transports doux, augmentation des usagers hors report modal), la gratuité agit de manière bénéfique sur la consommation d’énergie et donc l’environnement. Ces résultats peuvent être encore plus importants si le réseau de transport était moins carboné (utilisation de bus au bio carburant ou électrique faiblement carboné par exemple). Il faut cependant noter que ces résultats ne prennent pas en compte les nombreuses contraintes (économiques, sociales, sécuritaires, structurels du réseau) qu’entraine la gratuité. Ainsi, sur un réseau déjà saturé, il peut être difficile de développer de nouvelles lignes de bus ou rames de métro, dont le trafic peut être déjà être très fort. Néanmoins, la cohérence de la gratuité pour répondre aux enjeux écologiques, si les conditions notamment techniques et économiques sont remplies, semble démontrée.