La reconversion, parent pauvre des politiques d…
En septembre 2013, la métropole Nice Côte d'Azur, qui regroupe 45 communes autour de la ville de Nice, reprenait en main la gestion des transports publics niçois au sein d'une régie.
En septembre 2013, la métropole Nice Côte d'Azur, qui regroupe 45 communes autour de la ville de Nice, reprenait en main la gestion des transports publics niçois au sein d'une régie. Auparavant, cette gestion était confiée à la société ST2N, filiale du groupe Veolia Transport, au travers d'une délégation de service public (DSP). Pour assurer la gestion du transport public, plusieurs possibilités s'offrent aux Autorités Organisatrices du Transport (AOT): soit gérer directement les transports publics (régie), soit en confier la responsabilité à des opérateurs tiers, privés ou publics au travers d'une DSP
Alors que cette dernière représente encore aujourd'hui le mode de gestion largement majoritaire, à l'instar de Nice, les exemples de passage en régie directe se sont multipliés ces dernières années. Quelles sont les causes de cette nouvelle tendance ? Dans quelle mesure peut-on considérer cette tendance comme durable ? Appréhender les points forts de chaque mode de gestion ainsi que l'impact des nouveaux statuts juridiques des entreprises publiques locales sont les clés permettant de comprendre les tendances actuelles.
Les acteurs publics sont en charge de l'organisation du transport public. En effet, le transport public est considéré comme un service public. Un service public désigne une « activité d'intérêt général, assurée sous le contrôle de la puissance public par un organisme (public ou privé) bénéficiant des prérogatives lui permettant d'en assurer la mission et les obligations et relevant de ce fait d'un régime juridique spécifique (le droit administratif) » (1).
Ainsi, pour le transport, la puissance publique est représentée par les autorités organisatrices du transport (AOT) qui sont en charge d'organiser le service public de transport.
Les différentes typologies d'AOT ont été définies dans le cadre de la loi LOTI de 1982. Celles-ci varient en fonction du maillage territorial, et c'est le Périmètre de Transport Urbain (PTU) qui permet de définir le niveau territorial de l'AOT en charge de la gestion du transport public.
Il existe cependant des particularités. Ainsi, les syndicats mixtes de transport ont été autorisés par la loi SRU votée en 2000. Ils permettent à plusieurs AOT (urbaines et interurbaines) de se regrouper. Par exemple, en Ile-de-France, les AOT se sont alliées pour coordonner l'ensemble de l'offre de transport public au travers du Syndicat des Transports d'Ile de France (STIF). Les AOT peuvent aussi déléguer leurs pouvoirs à des autorités de niveau territorial inférieur, et inversement. Ainsi, les transports scolaires, bien que de la responsabilité du département, sont gérés par l'autorité organisatrice urbaine lorsqu'ils sont au sein d'un PTU...mais l'AOTU peut aussi déléguer ses pouvoirs au département.
Une fois leurs périmètres de compétence définis, les AOT vont décider de la manière d'organiser le transport public.
Un service public peut être assuré de différentes manières : soit la collectivité peut assumer directement le service public et avoir son propre système de transport, soit la collectivité peut décider de le confier à un prestataire extérieur via une délégation de service public (DSP) ou via un contrat de marché (public ou hors marché public).
Lorsqu'une AOT opte pour une gestion directe du transport public, elle entend mettre en place sa propre structure dédiée à la gestion des transports : la régie. On distingue la régie directe, de la régie autonome et la régie personnalisée.
Dans le cas d'une régie directe, c'est la collectivité qui assure avec son propre personnel la gestion du service. La régie directe n'a aucune autonomie financière, ni d'organe de gestion, ni de personnalité juridique propre. En cas de litige avec un tiers, c'est la responsabilité de la collectivité qui est engagée. Une telle structure se retrouve par exemple à Marseille (Régie des Transports de Marseille - RTM) ou à encore Belfort (Régie des Transports du Territoire de Belfort - RTTB).
A la différence des régies directes, dans le cas d'une régie autonome, celle-ci est dotée d'une autonomie financière totale. Elle est administrée par un conseil d'exploitation qui répond devant le maire et le conseil municipal. Les produits financiers issus de l'exploitation font l'objet d'un budget spécial, lui-même annexé à celui de la commune...L'exemple le plus connu est celui de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP).
Les régies personnalisées quant à elles, sont dotées d'une personnalité morale propre et ont une autonomie financière totale. Elles sont administrées par un conseil d'administration et un directeur, désignés par le conseil municipal sur la proposition du maire. C'est la forme de régie la plus souple et la plus autonome: elle peut passer des contrats, agir en justice, et posséder des biens. C'est le cas de la nouvelle régie Péribus en place depuis le 1er juillet 2013 dans l'agglomération de Périgueux.
Au final, à la différence de la régie directe qui n'offre que peu de souplesse de gestion, la régie personnalisée met en avant l'autonomisation de l'activité.
L'AOT peut également décider de confier la gestion du transport public au travers d'une délégation de service public (DSP). L'AOT, le plus souvent au terme d'un appel d'offres, confie le monopole de la gestion à un acteur privé ou public pour une durée fixe. Une DSP peut être organisée selon 3 modèles: l'affermage, la concession et la régie.
Dans le domaine du transport, les contrats de fermage sont souvent associés au domaine aérien (gestion des aéroports) : la collectivité délégante assure les investissements, le fermier (souvent une société privée) supporte les frais d'exploitation et d'entretien courant.
Concernant les contrats de concession, ils sont comparables aux contrats de fermage à la différence que le concessionnaire doit prendre en charge les investissements. Ce type de DSP est essentiellement utilisé dans le domaine de l'aménagement du territoire, notamment pour la gestion des autoroutes.
La régie intéressée est un contrat dans lequel une collectivité fait assurer le fonctionnement du transport public par un délégataire tiers. La collectivité conserve la responsabilité financière de l'exploitation et supporte donc le risque d'exploitation. Un gestionnaire d'une régie intéressée ne peut cependant obtenir une DSP qu'à condition que sa rémunération varie en fonction des résultats de sa gestion.
La DSP est différente d'un marché public. Alors que dans le cadre d'un marché public, le risque est intégralement reporté sur la collectivité (un besoin de la collectivité est couvert via un contrat onéreux), dans le cadre d'une DSP, le délégataire en revanche supporte une partie substantielle du risque financier de l'exploitation.
Que ce soit via la gestion directe ou via une DSP, l'AOT doit mettre en place le système de gestion qui lui permet de couvrir au mieux ses priorités.
Chaque mode de gestion comporte des points forts. Dès lors, le choix de recourir à l'un des deux modes doit se faire en fonction de priorités : l'AOT souhaite-t-elle mettre l'accent sur la performance financière en ces périodes de restrictions budgétaires ou souhaite-t-elle une offre de transport variée ?
Actuellement, la gestion déléguée du transport public est très largement majoritaire. En 2013, près de 90% des réseaux de transports urbains sont en gestion déléguée (2). Très souvent, en cas de procédure de renouvellement des modes de gestion, le système actuel est maintenu. Ainsi, sur la période 2006-2008, dans plus de 70% des cas, le réseau n'a pas changé de délégataire (3). La raison principale d'une telle stabilité s'explique par les coûts de transition qui sont souvent élevés et largement sous-estimés pour passer d'un mode de gestion à un autre. Par exemple, en cas de passage d'une DSP vers une gestion directe, l'AOT se voit dans l'obligation de reprendre le personnel du délégataire. A Nice, la municipalisation du transport public a ainsi obligé la mairie à reprendre les 1700 collaborateurs de l'ex-gestionnaire Veolia : l'impact sur les comptes publics a été conséquent.
Malgré ces barrières, ces dernières années, nous assistons à la résurgence d'une préférence pour la gestion directe. Quelles sont les raisons d'un tel revirement ?
Au-delà des avantages fiscaux dont bénéficient les collectivités dans le cadre d'une gestion directe, le retour en force de la gestion directe est notamment dû à la levée d'une incertitude juridique liée à l'encadrement européen: le règlement n°1370 dit règlement OSP permet d'attribuer directement le service de transports par la collectivité à un « opérateur interne », entité juridiquement distincte de la collectivité locale. Cela a encouragé les AOT à confier la gestion du transport public à des Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial (EPIC), qui sont assimilables à des opérateurs internes, contrairement à des régies municipales / régie autonomes. La création du nouveau statut SPL pour les entreprises publiques en 2010 a également été un facteur d'accélération du passage en gestion directe.
Principal effet de ces évolutions, le passage en régie directe s'étend dans les grandes agglomérations :
Ces exemples illustrent le renouveau de la gestion directe, en partie permis par les nouvelles formes juridiques que peuvent prendre les sociétés publiques, créées par l'AOT pour prendre en charge le transport public.
Les entreprises publiques locales peuvent prétendre à la fois aux DSP et à la gestion directe du transport. Pour assurer la gestion du transport public, il existe deux grands formats d'entreprises publiques locales : les sociétés d'économies mixtes (SEM) et les Sociétés Publiques Locales (SPL).
Les sociétés d'économie mixtes (SEM) disposent d'au moins 7 actionnaires (privés et publics) dont la majorité doit être publique. Elles fonctionnent sous droit privé et peuvent prendre la forme d'Etablissement Public à Caractère Industriel ou Commercial (EPIC). Elles n'ont pas de limite d'action territoriale et peuvent travailler pour d'autres clients que leurs actionnaires. Les SEM doivent gagner leur marché à la suite d'une mise en concurrence. Ce point est important : ainsi, pour prétendre à une DSP, les SEM sont soumises à une procédure d'appels d'offre, contrairement aux sociétés publiques locales (SPL). Quelques exemples de SEM en charge de réseaux interurbains: la Régie des Transports de l'Ain, la Régie des transports de l'Aisne, ou encore la Régie Départementale des Transports du Doubs...
Les SPL, quant à elles, sont des sociétés anonymes dont le capital est détenu à 100% par des collectivités territoriales. Leur statut a été pérennisé en 2010. A l'instar des SEM, elles fonctionnent également sous droit privé. En revanche, elles ne peuvent pas travailler pour d'autres clients que leurs actionnaires mais ne sont pas soumises à concurrence. Elles peuvent donc prétendre à une DSP tout en étant exemptées de mise en concurrence dans l'attribution de cette DSP. Cependant, le statut de SPL est généralement un format utilisé surtout pour une gestion directe du transport public en lieu et place d'une régie. Quelques exemples de SPL en charge de réseaux interurbains : Valence Roman déplacement et Sud Bourgogne Transport Mobilité.
Mais les SPL n'en restent pas moins des structures récentes et controversées. En effet, elles cumulent les avantages « administratifs » des secteurs public et privé tout en ne supportant pas les contraintes d'une mise en concurrence :
Au-delà, les SPL affichent leur volonté de transparence : en tant qu'entreprises publiques locales (EPL) elles cumulent les contrôles et les obligations de droit privé et de droit public et sont de ce fait fortement contrôlées. La présence des collectivités au sein du conseil d'administration qui valident les budgets prévisionnels, comptes et rapports annuels est aussi un gage de transparence.
Cependant, les SPL conservent une certaine opacité et un manque de responsabilisation. Non soumises à concurrence, aucun cahier des charges, ni de réponse à appel d'offre et critères de sélection ne permettent de faire un état des lieux préalable sur la capacité de la SPL à mettre en place une bonne gestion. Par ailleurs, elles n'ont pas nécessairement d'objectifs ou de résultats contractualisés. Au-delà, la séparation des comptes avec la collectivité est parfois incomplète, renforcée par le statut de « client actionnaire » de la collectivité qui peut nuire à la responsabilisation de l'entreprise et fait peser un risque de conflit d'intérêts. Tout cela peut entraver la bonne gestion du transport public.
Les AOT ont donc le choix entre gestion directe ou déléguée pour organiser leur transport public. Actuellement, une très large majorité d'AOT ont préféré déléguer la gestion des transports. Néanmoins, plusieurs grandes agglomérations ont récemment décidé de reprendre en main leur transport public en repassant en gestion directe.
Bien que le système de gestion en place soit souvent reconduit, ces évolutions sont le reflet de la nouvelle attirance des AOT pour la gestion directe au travers d'entreprises publiques locales. Ces entreprises publiques locales ont vu leurs statuts juridiques évoluer, notamment grâce à la mise en place du statut de Société Publique Locale, structure récente et controversée.
Cette structure peut à la fois être utilisée pour la mise en place d'une gestion directe mais également dans le cadre d'une DSP. Cependant le passage d'une DSP vers une gestion directe est complexe et coûteux : un bilan à l'issu des transitions en cours à Nice, Périgueux ou encore Cannes permettront d'avoir une meilleure visibilité sur la réussite de tels changements.
[1] Source : Wikipedia - 2013
[2] Source : Revue des Transports publics - Un projet de directive européenne menace la DSP «à la française» - 2012
[3] Source : Union des Transports Publics - 2008