La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Pour la première fois, les prix du pétrole sont déterminés par les marchés. L'Arabie Saoudite ayant décidé de ne pas répondre à la baisse de la demande mondiale par une diminution de sa production, le prix du Brent a baissé de 110$ en juin 2014 à 46$ en janvier 2015.
Le raffinage européen, en proie à de fortes surcapacités, est dans la ligne de mire de certains groupes intégrés.
Le groupe Total, 1er acteur pétrolier français et 4e au niveau mondial(2), a ainsi dévoilé en début d'année un résultat net en baisse de 62% en 2014. Malgré ces résultats et des pertes nettes sur le territoire français dans le secteur du raffinage, Total confirme la ligne directrice de son «plan d'adaptation»(3) de ses raffineries : aucun site ne subira de fermeture.
Entre réalisme économique et sauvegarde du tissu industriel français, quel état des lieux peut-on dresser du secteur du raffinage en France, avec quelles perspectives pour les sites ?
Avec près de 10 000 emplois directs et indirects, le raffinage français est un secteur stratégique pour notre indépendance énergétique et pour notre activité industrielle. Or, depuis 2010, le nombre de raffineries est passé de 12 à 8, avec des fermetures retentissantes comme celle de Pétroplus à Petit-Couronne.
En effet, nos raffineries sont structurellement déficitaires depuis plusieurs années. D'après Jean-Louis Schilansky, ex-Président de l'UFIP, le secteur n'a connu qu'une seule année de rentabilité depuis 2009 totalisant ainsi 2,7 Mds € de pertes en 5 ans. La marge brute nécessaire à la pérennité d'une raffinerie est estimée à 32 € par tonne(4). Or, les marges moyennes pour 2013 et 2014 étaient respectivement de 18 et 22 € par tonne (cf. Figure 1).
Malgré une accalmie fin 2014 et en ce début d'année 2015, les marges de raffinage européennes, en moyenne 2,5 fois moins élevées qu'aux Etats-Unis, témoignent de problèmes structurels sur le Vieux Continent (cf. Figure 2)
Depuis la crise économique de 2008, la demande intérieure de produits pétroliers raffinés a chuté de près de 12%. La production, quant à elle, a connu un effondrement de près de 30% entre 2008 et 2012 (cf. Figure 1).
En Europe, les surcapacités sont estimées à 2 millions de barils par jour (soit une dizaine de raffineries) ; surcapacités que n'absorbent plus le marché américain dopé par le renouveau de son industrie du raffinage et de la pétrochimie. Non seulement les Américains n'importent plus nos surplus de carburants (notamment d'essence) mais ils viennent même concurrencer nos raffineurs en Afrique de l'ouest, débouché historique pour l'Europe.
En outre, la construction d'installations modernes gigantesques au Moyen-Orient ou en Asie, qui bénéficient souvent d'intrants moins coûteux (au même titre que les Etats-Unis), contribue à la mise en concurrence de nos vieilles raffineries.
Dans un tel contexte, la structure de la demande française en carburant, fondamentalement déséquilibrée, ne fait qu'accroître les difficultés du secteur : la consommation de diesel est 4 fois supérieure à celle de l'essence, alors qu'une raffinerie standard produit davantage d'essence. La France se retrouve à devoir importer massivement du diesel et à exporter l'essence qui ne trouve pas preneur.
Avec 5 raffineries représentant 3000 employés et 60% des capacités de raffinage, Total est de loin le 1er acteur du raffinage en France(5) (cf. Figure 3). Cependant, entre 2009 et 2013, le taux d'utilisation moyen de ses raffineries était inférieur à 80%(6), illustrant ainsi les surcapacités de production du pays.
Pour faire face à des pertes substantielles en France (500 M € en 2013 et 200 M € en 2014), la stratégie du pétrolier consiste à procéder à des investissements ciblés : près de 1 Mds € ont été investis entre 2011 et 2012 sur sa plateforme de Normandie (740 M€ pour le raffinage et 250 M€ pour la pétrochimie), permettant ainsi d'augmenter la production de gazole de 10%, de réduire l'excédent d'essence de 60% tout en améliorant la performance environnementale de 30%(7).
Total se tourne également vers les marchés émergents pour suivre la demande mondiale qui s'est déplacée vers l'Orient : en 2012, 65% de ses capitaux dans le raffinage et la pétrochimie étaient concentrés en Europe, mais le pétrolier français souhaite inverser la tendance en portant la part de ces capitaux en Asie et au Moyen-Orient à 70% d'ici 2017.
En concentrant les investissements (hors maintenance) en Europe sur les 2 sites pétrochimiques de Normandie et Anvers, la stratégie de Total consiste à se doter de super-raffineries, comme l'illustre la joint-venture de Jubail avec Saudi Aramco(8) qui aura nécessité près de 10 Mds € d'investissement. Les autres raffineries françaises de Total (dont 2 sont déficitaires(9)) seraient susceptibles de voir leur production diminuée, voire reconvertie (en biodiesel, notamment). Certaines réductions de capacités pourraient prendre la même forme que celle appliquée à la raffinerie anglaise de Lindsey avec l'annonce de la fermeture d'une unité de distillation qui va conduire à la suppression de 180 postes sur 580.
Rappelons cependant qu'en France, Patrick Pouyanné l'assure, il n'y aura ni licenciement, ni fermeture de site. Le rendez-vous est fixé au printemps pour l'annonce de ce plan.
Notes et sources :
(1) Source : Boursorama
(2) Note : Total est la 4ème major pétrolière en termes de chiffre d'affaires sur l'année 2014
(3) Note : A paraître au printemps 2015
(4) Source : UFIP
(5) Note : Total est également le premier raffineur européen devant ExxonMobil
(6) Source : Total
(7) Source : Total
(8) Note : Jubail se situe en Arabie Saoudite et bénéficiera ainsi d'intrants à un coût optimal
(9) Source : La Mède et Donges selon la déclaration du 30/01/15 de Patrick Pouyanné au Monde http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/01/30/raffineries-total-s-engage-a-ne-fermer-aucun-site-en-france_4566615_3234.html