La reconversion, parent pauvre des politiques d…
En France, près d’un véhicule particulier (VP) neuf immatriculé sur deux rejoint les flottes de véhicules d’entreprises privées ou du secteur public. Chaque année, ces acteurs font l’acquisition de près de 800 000 véhicules. (1)
Entreprises de logistique, services postaux, services commerciaux, fonction publique ou encore services d’urgence, ont pour la majorité d’entre eux déjà engagé des actions pour baisser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et réfléchissent de plus en plus à intégrer des motorisations alternatives. De leur côté, les constructeurs se préparent également à ces évolutions majeures et étoffent leurs offres. Le nombre de véhicules électriques proposés sur le marché français devrait être multiplié par 5 d’ici 2025.
Sia Partners a modélisé 3 scénarios de déploiement des VP électriques au sein des flottes d’entreprise et des collectivités. Ces 3 scénarios démontrent l’importance des réglementations et du respect des cibles d’électrification par les gestionnaires de flottes. Dans un scénario réaliste, un véhicule (VP) sur deux serait électrique en 2030 (soit 1,3 million de véhicules) si les cibles de la loi LOM sont respectées. Dans un scénario plus optimiste, les flottes compteraient 2 millions de VP électriques, ce qui représenterait 75% du parc.
Les entreprises privées ou le secteur public renouvellent leurs flottes de véhicules tous les 3 à 6 ans et participent activement à la diffusion de nouvelles motorisations. En France, 29% des gestionnaires de flottes ont déjà intégré des motorisations alternatives à leur politique en matière de véhicules (car policy), ce nombre monte à 70% pour les grandes entreprises. (2)
Bien que sensible aux aspects environnementaux, la majorité des gestionnaires pilote ses investissements et suit le renouvellement de ses véhicules en se basant sur la rentabilité économique des solutions. Aujourd’hui, malgré des investissements plus importants à l’achat, les véhicules électriques demeurent néanmoins intéressants pour les professionnels, notamment car les coûts d'entretien et en énergie (électricité) sont significativement moindres que pour des véhicules thermiques. L’indicateur le plus parlant et le plus utilisé est le coût total de détention du véhicule (TCO), calculé sur toute la durée de vie du véhicule en tenant compte de la dépréciation du véhicule et des coûts opérationnels. Le graphique ci-dessous propose des premiers éléments de comparaison entre plusieurs types de motorisation.
Sur 4 ans, le véhicule électrique revient à environ 4% moins cher qu’un véhicule diesel et 7% moins cher qu’un véhicule à essence, soit des économies respectives de 1230 euros et 2180 euros.
Longtemps dominées par le diesel jusqu’alors bien adapté à une utilisation intensive et aux kilométrages annuels élevés, caractéristiques des déplacements professionnels, les flottes des entreprises commencent à convertir leur parc. Contraints par les réglementations, animés par une prise de conscience écologique ou par une rentabilité économique naissante, ou encore pour améliorer leur image, les gestionnaires de flottes s'orientent vers des motorisations plus propres.
Dans ces démarches d’électrification, les entreprises font également face à des enjeux plus complexes qu’avec des véhicules thermiques, notamment lorsqu’il s’agit de véhicules professionnels, car il n'est pas toujours possible d’installer une borne de recharge au domicile des employés.
Depuis 2015, deux lois s’appliquent aux entreprises avant de s’étendre aux collectivités territoriales : la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et l’article 26 de la loi d’Orientation des Mobilités (LOM).
Le graphique ci-dessous reprend les objectifs de la loi LOM et de la loi LTECV.
La loi LOM vise également à la mise en place de zones géographiques à faibles émissions ou ZF, dans lesquelles les véhicules les plus polluants seront bannis pour lutter contre la pollution atmosphérique. Les collectivités de plus de 150 000 habitants devront instaurer ces zones si les exigences en matière de qualité de l’air ne sont pas respectées, impactant directement les flottes d’entreprises et de collectivités évoluant en milieu urbain. À date, 4 ZFE ont déjà été instaurées (Paris, métropole du Grand Paris, Grenoble et Lyon), et 7 autres seront mises en place en 2021. (4)
Les gestionnaires de flottes bénéficient d’avantages supplémentaires non négligeables lorsqu’ils choisissent des véhicules électriques, rendant le TCO d’autant plus attractif. Afin d’accompagner la croissance sur le secteur de l’électromobilité en France, le plan de relance du secteur automobile de mai 2020 a multiplié les mesures d’aides : augmentation du bonus jusqu’à 5 000€ et prime à la conversion jusqu’à 2 500€. (5)
Sous réserve d’éligibilité, les professionnels peuvent également bénéficier de la déduction fiscale sur l’amortissement, de l'exonération de la taxe sur les véhicules de société et de la carte grise, d’un abattement sur l’avantage en nature, ou encore une récupération de la TVA sur la consommation d’électricité. Ces aides peuvent s’accompagner de subventions supplémentaires versées par les collectivités locales. (6) (7)
Enfin, le passage aux véhicules électriques ne peut se faire sans l’installation de bornes de recharge pour les parcs de véhicules. Afin de compléter les initiatives publiques de soutien à l’électromobilité et d’intensifier l’implantation des bornes sur le territoire, le Ministère de la transition écologique a reconduit le programme CEE Advenir pour 2020-2023. Ce dispositif prévoit une aide financière, allant jusqu'à 960€ par point de charge, pour l’installation d’un total de 6 000 bornes de recharges en entreprise.
Sia Partners a modélisé 3 scénarios de pénétration des véhicules électriques dans les flottes de véhicules particuliers (VP) dans la prochaine décennie. Le tableau ci-dessous présente et détaille les scénarios et principales hypothèses.
Scénario I | Scénario II | Scénario III | |
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Modèle de continuité | Modèle LOM | Modèle LOM bonifiée | |
Réglementation | Les flottes sont soumises à la loi LOM mais l'absence de sanctions ou pénalités ne favorise pas la conversion au-delà de la dynamique actuelle. | L’ensemble des flottes (entreprises et collectivités) suivent les objectifs imposés par la loi LOM aux entreprises. | L’ensemble des flottes (entreprises et collectivités) suivent les objectifs imposés par la loi LOM aux collectivités jusqu’en 2026. A partir de 2026, vision extrapolée. |
Quotas de véhicules à faibles émissions sur les véhicules renouvelés | N/A | 10% en 2022 / 20% en 2024 / 35% en 2027 / 50% en 2030 | 20% actuellement / 30% en 2022 / 50% en 2026* / 75% en 2030** |
*Quota de 34% de véhicules à très faibles émissions dans la loi LOM. Pour inclure les véhicules hybride rechargeable et pouvoir comparer les scénarios, il semble réaliste de considérer que 50% des véhicules seront à faibles émissions.
**Extrapolé. De nouvelles réglementations devraient complémenter et étendre la portée de la loi LOM 2019.
Dans un scénario de continuité (scénario I), environ 18% du parc des flottes (privées et publiques) auraient été électrifié d’ici 2030, soit 1 véhicule sur 5. Ce scénario constitue une base pour analyser l’impact de la réglementation sur le verdissement des flottes.
En effet, le scénario II montre que l’impact de la LOM pourrait permettre d’atteindre un taux d’électrification du parc des flottes françaises 2,5 fois plus important en 2030 : si l’ensemble des flottes françaises, privées et publiques, respecte au moins les quotas et objectifs fixés pour les entreprises (qui sont plus faibles que les objectifs fixés aux flottes publiques), en 2030 un véhicule de flotte sur deux (VP) serait électrique (100% électrique ou hybride rechargeable), soit plus de 1,3 millions de véhicules électriques dans le parc de flottes français.
Cependant, pour que de tels objectifs soient atteints, il est essentiel que le Gouvernement continue à accompagner les entreprises sur plusieurs années, notamment à travers des aides et subventions (qui peuvent prendre également la forme d'avantages fiscaux) et en incitant les constructeurs à diversifier l’offre. D’importants investissements devront également être réalisés pour soutenir le déploiement des infrastructures de recharge. Par ailleurs, bien que les obligations réglementaires ne soient pas assorties de sanctions pour le moment, de telles mesures pourraient être mises en place par le Gouvernement dans un second temps afin d’inciter plus fortement les entreprises et collectivités à ne pas prendre de retard.
Le scénario III permet de mesurer l’effet d’un potentiel élargissement des obligations réglementaires. Dans ce scénario, les quotas d’intégration de véhicules à faible émission prévus pour le secteur public sont appliqués également au secteur privé : ainsi, les entreprises seraient soumises à un quota de 30% dès 2022, plutôt que de passer progressivement de 10% à 35% entre 2022 et 2027 (scénario II). Un tel cas de figure permettrait d’atteindre plus de 50% du parc de flottes électrifié dès 2025, et 3 véhicules électriques sur 4 en 2030 dans les flottes. Ainsi, un renforcement des obligations réglementaires sur cette cible permettrait une pénétration plus rapide du véhicule électrique dans les flottes, donnant un coup d’accélérateur au marché de la mobilité électrique et aux actions de décarbonation des transports.
Ces modélisations soulignent l’importance de la réglementation dans l’essor de la mobilité durable en France. L’électrification des flottes d’entreprises et de collectivités constitue un élément-clé, puisqu’elle va fortement contribuer à la démocratisation de cette motorisation : elle va permettre d’augmenter le nombre d’utilisateurs de véhicules électriques et hybrides, diffusant leur usage dans la société et facilitant leur adoption. Elle va également contribuer à l’extension du réseau de solutions de recharge : sur les parkings privés des entreprises et collectivités tout d’abord, pour permettre la recharge des véhicules sur le lieu de travail, mais également au domicile des particuliers pour les employés disposant d’un véhicule électrique professionnel. Enfin, l’électrification des flottes et le renouvellement des parcs professionnels vont in fine permettre de déverser des véhicules électriques et hybrides sur le marché de l’occasion, favorisant ainsi leur acquisition par des particuliers.
Pour parvenir aux objectifs énoncés dans la LOM, les gestionnaires de flottes d’entreprises et de collectivités vont donc être confrontés à des problématiques nouvelles, pour certaines inexistantes en motorisation thermique : quels véhicules électrifiés / quel mix énergétique dans la flotte ? Quel rythme de conversion ? Quelles solutions de recharges proposer sur le site, chez l’employé ? Quelles adaptations/évolutions de la mobilité (arrêt pour recharge, itinéraires optimisés…) ?
Le besoin d’accompagnement de ces gestionnaires est donc fort, et constitue une opportunité pour les acteurs du secteur (constructeurs automobiles, énergéticiens, opérateurs de bornes de recharge).
Segment de poids dans le parc automobile actuel, l'électrification des flottes de véhicules d’entreprises et de collectivités est indispensable pour atteindre les objectifs de lutte contre les changements climatiques, de transition énergétique et des questions de santé publique. Les freins à la transition vers l’électromobilité pour les flottes s’estompent : l’offre se diversifie, les performances des véhicules et batteries augmentent, les infrastructures de recharge se multiplient, les réticences culturelles s’effacent et les solutions électriques deviennent plus compétitives que les véhicules thermiques. L’augmentation conséquente de la part de véhicules électriques et hybrides au sein des flottes entraîne l’émergence de nouveaux modèles d’affaires et de services innovants, sur lesquels les acteurs de l’automobile et de l’énergie se positionnent pour bénéficier des nombreuses opportunités commerciales qui accompagnent ce mouvement.