La reconversion, parent pauvre des politiques d…
« Donner du sens ». L'idée est très à la mode dans le monde du travail, sous l'impulsion de la révolution managériale et de ses réflexions au sujet de la place du travail dans la vie des individus.
Aux premiers rangs des préoccupations des travailleurs, la reconnaissance gagne du terrain. Autrefois circonscrite à la rémunération, la reconnaissance au travail est devenue un enjeu transversal de la gestion des ressources humaines, qui intègre de plus en plus d'éléments non quantifiables. Comment valorise-t-on le travail autrement qu'en argent ?
La reconnaissance du travail et au travail est un enjeu majeur de management pour les entreprises. L'enjeu est l'engagement des collaborateurs, selon une approche aussi bien négative (risque grave de désinvestissement au travail, désaffection, baisse de productivité, absentéisme, conflictualité, voire à terme, risque de santé) que positive (en temps de crise, bien reconnaître permet de compenser une propension plus faible à agir sur le levier de la rémunération). Pour répondre aux besoins de reconnaissance des salariés, les entreprises doivent d'abord l'identifier, ce qui n'est pas nécessairement chose facile.
Il n'existe pas une seule définition : il faut donc faire un choix. Nous dirons [à la suite de Guéguen et Malochet 2012] que la reconnaissance est la valorisation du sens de la prestation de travail. C'est l'aspect rétributif de la reconnaissance. Dans un monde du travail où le salarié travaille non seulement pour gagner de l'argent, mais aussi pour se réaliser, se faire des amis ou par passion, ce « sens de la prestation de travail » est de plus en plus large.
Il demeure toutefois compliqué d'identifier et de définir la reconnaissance. La tendance aujourd'hui est à une acception individualiste du terme, dans un contexte trentenaire de déstructuration des appartenances collectives et de dissolution des rapports dits « de classe ». Aujourd'hui, la définition de la reconnaissance est « individuelle » : chacun entend la reconnaissance de son travail d'une manière différente.
Afin d'être synthétique, et en se fondant sur les études disponibles [Enquête CFDT de 2011], il est possible de dégager le panorama suivant :
P = C x M... La reconnaissance du travail est un élément d'engagement et de motivation : si l'on reconnaît, c'est pour impliquer, pour motiver, pour fidéliser. En tant que tel, la rémunération poursuit le même objectif : c'est le fameux « salaire d'efficience » cher à Joseph Stiglitz [1]. Or, celui que l'on veut fidéliser, impliquer et motiver, c'est celui qui est performant !
Rémunération, reconnaissance, fidélité, performance... s'auto-entretiennent :
La rémunération a su évoluer pour adresser performance (la fin) et motivation (le moyen). L'employeur dispose aujourd'hui des éléments pour la diversifier, et elle n'est pas un dispositif aveugle et automatique. Il est possible de diviser la rémunération en plusieurs éléments qu'il faut adresser pour assurer la rétention du collaborateur performant :
5 sources différentes de reconnaissance : subordination, potentiel, performance (individuelle et collective) et fidélité.
Reconnaissance de la subordination à l'employeur : le travailleur se mettant à disposition de l'employeur, il convient de compenser son engagement. C'est l'élément le plus basal, et l'objet des éléments fixes de rémunération, comme le salaire de base et les primes fixes (prime d'astreinte, 13ème mois, prime de vacances, etc.).
Reconnaissance du potentiel : le travailleur met ses compétences au service de l'entreprise. Plus ses compétences sont rares et valorisables, plus sa rémunération fixe augmente. Ici, l'employeur reconnaît la valeur ajoutée potentielle du salarié.
Reconnaissance individuelle de la performance : le salarié fournit à son employeur une force de travail quantifiable : chiffre d'affaires pour les vendeurs, deals réalisés, nombre de buts marqués... ou non quantifiable : engagement, dynamisme, qualités émotionnelles et interpersonnelles, etc. C'est la rémunération variable, soit les primes (commissionnement, prime de classement, prime qualitative, etc.) qui consacrent la reconnaissance de la valeur ajoutée effective du salarié.
Reconnaissance collective de la performance : les salariés dans leur ensemble contribuent au succès de l'entreprise. C'est ce que reconnaissent les dispositifs d'épargne salariale comme la participation et l'intéressement. Ils consacrent la reconnaissance collective des performances des salariés.
Reconnaissance de la fidélité au travail : c'est ce qu'organisent les dispositifs impliquant une condition de séniorité, comme la prime d'ancienneté (dans les primes fixes) ou les cas où la prime d'intéressement ne commence à être due au salarié qu'après 1 ou 2 années de présence.
Tous ces éléments sont valorisés : il leur est accordé une valeur que la rémunération reconnaît.
On ne saurait nier la relation étroite entre la rémunération et la reconnaissance au travail ; toutefois, la première ne peut suffire. Les enjeux de la reconnaissance qui dépassent le cadre de la rémunération sont en effet nombreux.
Nous l'avons abordé : la reconnaissance est un levier de performance, d'engagement, de fidélisation. Tous ces éléments ne peuvent être atteints par le seul biais de la rémunération : dans les TPE et PME, quand l'augmentation de salaire est difficile, dans le secteur public, où l'évolution des traitements est peu modulable, on peut aussi reconnaître efficacement ses collaborateurs en abordant d'autres aspects de la relation de travail.
Pour reconnaître efficacement, à l'ère de la révolution managériale et de l'implication toujours plus grande du travail dans la vie du salarié, il est souhaitable d'élargir sa vision : il faut « donner du sens ». A rémunération égale, deux salariés peuvent être très différemment reconnus ; et les conséquences sur les relations de travail peuvent être lourdes (démission, désengagement, RPS, etc.).
On peut reconnaître par la confiance, l'avancement, mais la reconnaissance peut aussi être relationnelle.
La confiance est omniprésente dans la relation de travail, de l'embauche au licenciement (pour perte de confiance, justement... même si ce seul motif ne suffit pas). Dans ses relations managériales, l'employeur peut actionner le levier de la confiance en accordant à son salarié une autonomie, une liberté d'action, qui sont autant de formes de reconnaissance. La confiance au travail revêt plusieurs formes, et vise les mêmes buts, dont notamment :
Un exemple intéressant de reconnaissance non liée à la rémunération tient dans l'établissement du télétravail, ce dispositif de travail hors des locaux de l'entreprise récemment encadré par la loi (2012). La soustraction de facto du travailleur aux yeux de sa hiérarchie est une valorisation de la confiance que lui accorde l'employeur. C'est aussi la reconnaissance de sa performance, de son engagement et de son autonomie actuels, le télétravail étant largement vu comme un avantage octroyé par l'employeur.
Au-delà des promotions cette reconnaissance peut aussi passer par l'accès à la formation continue. C'est un moyen de reconnaissance du potentiel des salariés, au même titre que sa rémunération. C'est la reconnaissance « du droit à évoluer, à changer soi-même, à se développer » (Michel Wieviorka). La meilleure initiative est venue d'en haut : il s'agit du Contrat Professionnel Formation (CPF), qui accompagne désormais le travailleur tout au long de sa carrière. Couplé au développement des MOOCs et autres digitalisations de la formation, l'accès à la formation continue se démocratise.
Les initiatives en matière d'égalité hommes-femmes, notamment dans les comités exécutifs où elle est loin d'être une réalité, participent de la même idée : si en tant que femme je ne peux prétendre à évoluer, où est mon droit à me réaliser ? Consacrée dans les esprits et dans les récompenses (dont les Trophées Apec de l'égalité hommes-femmes), cette égalité est à la fois très facile (il suffit de pratiquer l'égalité des rémunérations et de l'avancement) et très difficile à atteindre : les chiffres montrent encore aujourd'hui un réel écart dans la répartition hommes/femmes au sein des CA.
Il s'agit de la bonne compréhension des tâches accomplies par le salarié et de ses objectifs. Elle passe par une définition adéquate des fiches de postes et des indicateurs de performance. Ici, les écueils à éviter sont : généralisation (« les RH », « les financiers », « les contrôleurs de gestion »), méconnaissance des réalités des postes, négliger la remontée d'informations... notamment.
C'est ici la reconnaissance de la spécificité du salarié qui est en jeu : la bonne compréhension de ce en quoi je peux contribuer, de ce sur quoi je suis attendu. C'est un moyen de valoriser le salarié dont l'apport est reconnu plus efficacement.
La reconnaissance relationnelle, entre le salarié et son encadrement, ses collègues, voire ses clients ne peut être organisée par la seule rémunération.
La reconnaissance relationnelle est pourtant un enjeu crucial de la relation de travail, où les gains possibles ne sont pas encore tous exploités. Il est aujourd'hui possible de valoriser ce qu'un salarié intégré socialement dans l'entreprise ou bien traité peut apporter en productivité et en créativité (voir, à ce titre, le prix de l'incivilité).
Ce concept est largement adressé par les entreprises, par la voie de moyens de socialisation :
- Séminaires ;
- Activités ludiques et culturelles de groupe dans l'entreprise ;
- Organisation de moments festifs (afterwork) ;
- Etc.
Au-delà de ces grandes catégories de reconnaissance des salariés, bien d'autres méthodes peuvent être imaginées, de la valorisation du travail d'un collaborateur en réunion à l'exploitation des talents de prise de parole d'un autre (en lui proposant d'introduire le prochain séminaire, par exemple). Dans tous les cas, la gestion et le pilotage RH de la reconnaissance sont désormais des enjeux majeurs de la gouvernance des organisations.
Mais Il ne faut pas confondre efficacité et philanthropie : si les entreprises doivent impérativement intégrer la reconnaissance à leurs packages de rétribution, ce n'est pas (seulement) pour des raisons morales. C'est la performance qui est en jeu, mais aussi la marque employeur, la rétention des talents et la fidélisation de la force de travail. Plus que jamais, bien manager, c'est bien reconnaître.