La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Trois ans après l’adoption de l’Accord de Paris, la 24ème conférence des parties signataires de la Convention-Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) se tient du 2 au 14 décembre à Katowice en Pologne afin de mettre en application les décisions prises lors de la COP21.
Dans la lignée des autres COP, l’enjeu principal du sommet de Katowice est de définir un ensemble de règles et procédures visant à ce que chaque pays signataire respecte les engagements pris à Paris en 2015. Le principal étant le maintien du réchauffement climatique global en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici à 2100.
Cette année, les négociations de la COP24 doivent aboutir à la définition des mécanismes de coordination et de pondération des plans climats nationaux, ainsi qu’à la mise en place des règles en matière de transparence et de vérification des financements. L’élaboration du programme de travail, au travers du « rulebook », viendra affiner les modalités pratiques de la mise en application de ces mesures. Face à l’ampleur des négociations à venir, les réunions préparatoires se sont multipliées en 2018, avec une question centrale : le financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Entre les attentes des pays en voie de développement, les engagements initiaux annoncés par les pays développés qui peinent à se concrétiser et la sortie d’acteurs signataires majeurs comme les Etats Unis, la mise en application de l’Accord de Paris perd de sa crédibilité.
La COP23, organisée par les îles Fidji en 2017, avait déjà pour objectif de travailler sur l'élaboration de règles contraignantes (voir notre article sur la COP 23). Sans y parvenir, elle a cependant instauré le « Facilitative Dialogue » visant à dresser un premier bilan des mesures prises par les Parties. Rebaptisé « Dialogue de Talanoa », son objectif, plus symbolique, était également de réaffirmer les attentes de l’Accord de Paris et de proposer des solutions pour que les pays puissent renforcer leurs engagements sur le plan national.
Menée par les présidences fidjienne et polonaise de la COP, la phase préparatoire s’est articulée autour d’une plateforme interactive invitant les gouvernements nationaux, les pouvoirs publics et les acteurs non-étatiques à répondre à l’une de ces trois questions : « Où en sommes-nous maintenant ? Où voulons-nous aller ? Comment y parvenir ? ».
En parallèle du discours de Talanoa, une intersession de négociation a été planifiée à Bonn au mois de mai pour garantir un suivi des propositions émises et avancer sur les lignes directrices de la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Cette instance s’est conclue par l’ajout d’une session supplémentaire qui s’est déroulée à Bangkok en septembre afin d’accélérer le processus de négociation en vue de la COP24. A la fin de cette dernière intersession, le seul résultat tangible a été la compilation de 300 pages avec l’ensemble des propositions. Alors que certains se félicitent de l’avancement sur des thématiques précises comme l’organisation des marchés du carbone, à la veille des dernières négociations, les pays semblent persister à défendre leurs intérêts. La Chine, par exemple, qui se place toujours comme pays émergeant, tente encore de négocier des marges dans l’appréciation des règles de l’Accord de Paris, auxquelles les Etats-Unis s’opposent totalement.
Bien que les différentes intersessions n’aient pas permis de dresser la « short list » attendue pour la COP24, le rapport de synthèse de la phase préparatoire du Dialogue de Talanoa a pu voir le jour le 20 novembre dernier. Ce rapport a vocation à servir de support lors de la négociation des règles obligatoires, la phase politique du dialogue : la COP24. Cette dernière a elle-même été symboliquement avancée d’une journée afin de prolonger les négociations à Katowice.
Au cours des différentes sessions intermédiaires, la problématique du financement des mesures visant à contenir le réchauffement climatique a cristallisé les tensions. Alors que l’Accord de Paris prévoit expressément que la définition des modalités de comptabilisation des ressources financières devra être établie pour la 24ème COP[i], l’heure doit être désormais au consensus entre les parties.
Lors de la COP15 qui se tenait en 2009 à Copenhague, les pays industrialisés ont pris un engagement conjoint de mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, provenant de sources innovantes publiques et privées, en faveur des pays en développement. Ces sources multiples et variées doivent provenir de fonds multilatéraux et bilatéraux. La mobilisation des financements des pays développés doit par ailleurs s’établir sur « la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives »[ii].
Ainsi, selon le principe du pollueur-payeur, les niveaux d’émissions actuels et historiques définissent le montant que chaque pays doit payer. Ces montants doivent également répondre au principe des « capacités respectives » qui sont établis en fonction de la richesse nationale et de la trajectoire de développement économique et social des pays[iii]. L’obligation, pour un pays, de financer la lutte contre les changements climatiques, via des transferts financiers internationaux ou des actions domestiques, ne s’applique que si le niveau de vie dans le pays considéré est durable et universellement accepté[iv].
Les fonds rassemblés doivent ensuite être administrés de manière transparente et responsable. Ils sont également tenus de suivre une représentation équitable qui consiste à inclure, dans les structures administratives et décisionnelles, un groupe divers de parties prenantes, issues notamment de la société civile et des groupes de personnes ou de communautés affectés par le changement climatique dans les pays bénéficiaires.
Le Fonds Vert pour le Climat, créé en 2010 lors de la COP16 à Cancún, est ainsi le bras armé du financement de la lutte contre le réchauffement climatique. C’est un mécanisme financier rattaché à la CCNUCC qui a pour objectif de réaliser le transfert de fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables afin de mettre en place des projets pour combattre les effets des changements climatiques. Cet instrument financier, qui favorise également l’investissement privé, est appelé à devenir à terme le principal canal multilatéral de support financier pour le climat.
Mais pour l’heure, les financements multilatéraux sont en majorité effectués par les six plus grandes Banques Multilatérales de Développement (BMD), soit 35,2 milliards de dollars en 2017[v]. La Banque Européenne d’Investissement (BEI), se place comme le premier bailleur de fonds multilatéral. Elle a pour ambition de jouer un rôle de chef de file en consacrant 19,4 milliards d’euros pour le financement de l’action climatique[vi].
Les financements bilatéraux sont quant à eux effectués en grande partie par les aides publiques au développement (APD) et par le biais de dons et prêts à conditions très favorables accordés par les organismes publics ou privés.
Les pays développés sont également encouragés à soutenir les mesures visant à débloquer des sources nouvelles et alternatives sur le plan national et international, comme la taxe carbone ou la taxe sur les transactions financières, dont le produit est affecté à l’aide au développement des pays pauvres, notamment mises en place en France et en Allemagne.
L’OCDE avait annoncé dans son plan de prévisions en 2016 que « les financements publics pourraient représenter 66,8 milliards de dollars en 2020 » et que la part restante des 100 milliards serait comblée par des capitaux privés. Bien que, d’après les derniers chiffres, les financements publics mobilisés en 2017 ($56,7 milliards en 2017) correspondent à la trajectoire linéaire de ces prévisions, la multiplication des sessions de négociations et les premiers retours des spécialistes remettent en question l’atteinte des objectifs. En mai dernier, le rapport indépendant de l’Oxfam[vii] sur l’avancée des financements est venu appuyer les doutes en affichant un bilan des estimations de financement bien en dessous des objectifs de Copenhague. D’après les analyses de ces experts, il existe des décalages entre les montants déclarés par les bailleurs et la réelle partie affectée aux problématiques climatiques (l’assistance nette spécifique au climat). Concrètement, face aux 48 milliards de dollars déclarés par les bailleurs sur la période 2015-2016, l’Oxfam estime que « l’assistance nette spécifique au climat pourrait avoisiner seulement 16 à 21 milliards de dollars ».
En parallèle, les doutes continuent d’être alimentés par les initiatives de pays tels que l’Australie, qui a annoncé qu’elle ne verserait plus de contributions après 2018, ou le Brésil qui envisage de suivre la voie des Etats-Unis (qui a réduit son engagement à 2 milliards de dollars malgré l’engagement pris à Paris).
Cependant, la COP s’est ouverte avec une nouvelle rassurante pour l’avenir des financements climatiques : la Banque Mondiale a annoncé la mobilisation d’environ 200 milliards de dollars de 2021 à 2025. Cette annonce vient compléter les prévisions de financement de $40 milliards de dollars par an et « envoie un signal important à la communauté internationale, pour qu’elle fasse de même ».
Les capacités d’atténuation et d’adaptation au changement climatique des pays sont au cœur de l’éligibilité aux aides financières[viii].
L’ensemble des critères d’éligibilité aux fonds ont ainsi été établis par diverses organisations internationales : les marqueurs de Rio élaborés par le comité d’aides au développement (CAD) de l’OCDE, la typologie commune des activités d’atténuation dressée par les BMD, et les travaux du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC). Les allocations doivent être équitables et efficientes en distribuant les fonds aux pays en fonction de leurs niveaux de vulnérabilité, d’urgence et de risques face au réchauffement climatique. Le Fonds d’adaptation intègre également un critère de sélection en fonction des « leçons apprises » et capitalisées par les pays dans la conception et la mise en œuvre de projets et programmes pour la lutte contre le réchauffement climatique. Les bénéfices (économiques et environnementaux) des projets entrepris sont aussi regardés dans l’analyse des capacités d’adaptation des pays éligibles.
Les principaux pays éligibles sont les pays signataires particulièrement vulnérables, comme les petits pays insulaires, les pays avec côtes à faible altitude, les zones arides et semi-arides, les zones sensibles aux inondations ou à la sécheresse. Aux vues des besoins de ces pays bénéficiaires de mettre en place des stratégies long-terme, les apports financiers au service des actions d’adaptation restent encore trop faibles par rapport aux objectifs de renforcement fixés par l’accord de Paris. La dernière annonce de l’allocation des 200 milliards de dollars pour le plan 2021-2025 de la Banque Mondiale vient à nouveau apporter du soutien à ces inquiétudes car sur les $100 milliards de financements directs, 50% seront destinés aux actions d’adaptation aux effets des dérèglements climatiques.
Dans ce contexte tendu de préparation et de négociations, les pays du Sud s’impatientent et réclament plus de visibilité sur les plans de financement. Avec les modalités de comptabilisation des financements, la prévisibilité est une des attentes majeures de la COP24. Elle résulte du besoin de transparence des pays du Sud sur les financements prévus par les pays industrialisés afin de construire leurs politiques climatiques et leurs contributions déterminées au niveau national (CDN). Ce dernier élément ajoute au manque de crédibilité de la mise en œuvre de l’Accord de Paris un enjeu de confiance, qui est à renforcer au sein même des Etats-Parties.
[i] Décision 1-/CP.21, article 57 du « Rapport de la Conférence des Parties sur sa vingt et unième session, tenue à Paris du 30 novembre au 13 décembre 2015 »
[ii] Art. 2 de l’Accord de Paris
[iii] Art. 3.4 de la CCNUCC
[iv] Notes Fondamentaux du financement climatique, données de Climate Funds Update (www.climatefundsupdate.org)
[v] Banque Mondiale
[vi]Banque Européenne d’Investissement
[vii] Rapport Oxfam : Les vrais chiffres des financements climat
[viii]Deux stratégies politiques principales sont aujourd’hui envisagées pour agir dans la lutte contre le réchauffement climatique : l’atténuation et l’adaptation. La première a pour objectif la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre. La deuxième vise à limiter les impacts négatifs du réchauffement climatique, au travers des modes d’organisation, de localisation des activités ou encore des techniques alternatives utilisées. Dans ce cadre, l’Accord de Paris enjoint les Etats à étudier « comment renforcer les liens et créer des synergies entre ces deux voies d’action mais aussi avec le financement, le transfert de technologies et le renforcement des capacités »