La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Les gares sont les nœuds essentiels d’un réseau de transport. Outre leur aspect déterminant pour ce dernier, une gare a un impact sur le territoire dans lequel elle s’insère. Réciproquement, l’environnement dans lequel elle est implantée conditionne en partie ses caractéristiques.
Les gares sont les nœuds essentiels d’un réseau de transport. Outre leur aspect déterminant pour ce dernier, une gare a un impact sur le territoire dans lequel elle s’insère. Réciproquement, l’environnement dans lequel elle est implantée conditionne en partie ses caractéristiques. Les gares sont des lieux de passage et d’échange au contact des usagers. Elles fourmillent d’innovations. Quelles sont celles qui constitueront l’ADN de la gare de demain ?
En première approche, nous distinguerons les grandes gares de métropole qui sont souvent de grands carrefours de flux et offrent à la fois des trajets courte et longue distance, des gares de moindre taille, rurales ou de banlieue. Ces 2 types diffèrent par la taille de l’infrastructure et par les voyageurs qui s’y rendent.
3 types de voyageurs se croisent en gare :
Dans une gare de moindre taille, voyageurs pendulaires ou réguliers sont majoritaires. Les grandes gares sont le lieu de rencontre des trois types de voyageurs. Or chaque typologie de voyageur a des besoins spécifiques.
Aussi, à l’image des grands projets de réhabilitation de certaines gares parisiennes, les gares ont vocation à devenir des lieux de rencontre en plus des lieux d’échanges qu’elles sont déjà. Il est donc tout à fait probable que ces trois types de voyageurs côtoient aussi des personnes ne voyageant pas. La gare ne crée plus de fracture urbaine mais s’insère de façon transparente dans la zone où elle se trouve comme un lieu incontournable dans la vie des résidents.
Nous nous pencherons sur les déploiements innovants en termes d'infrastructures, de services et de commerces en gare. La distinction des typologies de voyageurs nous permettra d’analyser le périmètre cible des innovations.
En premier lieu, la gestion de l’infrastructure fait partie des sujets capitaux. Sa conception d’une part et sa maintenance d’autre part sont deux activités complémentaires qui ont un impact direct sur le déroulé du parcours voyageur.
La conception de la gare définit les conditions d’accès aux quais, de correspondance entre deux trains, d’interopérabilité entre différents modes de transport, d’accès aux services. Outre le bon dimensionnement de ces accès pour absorber les flux en heure de pointe et assurer des échanges fluides, plusieurs technologies permettront d’accompagner voyageurs et visiteurs dans leur parcours. Les beacons par exemple permettent d’aiguiller les voyageurs le long de leur itinéraire à partir de leur smartphone. Ce push d’informations contextualisées en fonction de la localisation du voyageur permet un aiguillage plus efficient. En effet, un accompagnement de bout en bout en résulte. Par exemple WayFindr propose un guidage en gare des personnes aveugles ou malvoyantes à l’aide d’un smartphone et d’oreillettes connectées [10]. Cette technologie permet d’adresser également les voyageurs occasionnels qui ne connaissent pas la gare. Les autres types de voyageurs en bénéficieront de manière indirecte par la fluidification globale des flux. Les petites gares seront certainement moins concernées par les beacons étant donné leur infrastructure moins complexe et les flux moindres.
Un autre concept prend de plus en plus d’importance : le « nudge » et ses applications. Cette théorie des sciences comportementales désigne la capacité à influencer le comportement des personnes par des méthodes non intrusives et parfois même imperceptibles. La fluidification des échanges voyageurs en gare est une réponse à leur engorgement (jusqu’à un certain point). Les gares utilisent donc ce concept pour favoriser certains comportements bénéfiques pour les flux au global. En fonction des habitudes culturelles, les expérimentations ou projets mis en place n’ont pas le même degré d’avancement. A Londres par exemple, un premier challenge est de pousser les utilisateurs à attendre sur le quai de part et d’autre des portes du métro pour faciliter la descente. Autre exemple : inciter les personnes qui montent sans marcher dans les escalators à se tenir du même côté. Au Japon, les actions sont plus abouties. Un des problèmes majeurs est le taux de suicides sur les voies. Pour y remédier, deux solutions : des barrières dissuasives à mi-hauteur et un éclairage spécifique [7]. La première méthode est coûteuse et requiert des travaux. La seconde cependant présente l’avantage de pouvoir être mise en place sans grand investissement. Il a été prouvé qu’une lumière bleue a un effet apaisant. L’impact sur l’atmosphère de la gare est non intrusif mais a permis selon les études de l’université de Tokyo de réduire le nombre de suicides de 84% en 10 ans. Le nudge pourrait donc permettre de rationaliser les flux dans les grandes gares et d’assurer, sur l’ensemble des typologies de gares, des conditions de transport plus agréables via des éléments non perceptibles.
Les technologies présentées dans les paragraphes précédents ont un impact sur les voyageurs. Concentrons-nous sur les évolutions en lien avec les infrastructures. Le maintien en condition opérationnelle des actifs tels que les ascenseurs, escaliers, portiques… représente un enjeu décisif. Ils influent directement la mobilité des voyageurs en gare. Les méthodes de maintenance évoluent pour gagner en performance. La prévision des pannes ainsi que les opérations de maintenance sont deux points clés. Les actifs sont équipés de capteurs qui émettent des données relatives à leur état de fonctionnement. Cette dynamique ne cesse de s’accentuer depuis les premières expérimentations qui s’appuient sur l’internet des objets (IoT). Aussi, en injectant ces données dans des modèles auto-apprenant de prévision, les industriels cherchent à prédire les pannes. Une telle avancée a pour effet de diminuer les temps d’immobilisation du matériel tout en évitant des opérations de maintenance inutiles, en prescrivant des interventions « juste à temps ». Thyssenkrupp par exemple, constructeur d’ascenseurs, déploie un système de maintenance prédictive : MAX [8]. De plus, lorsque la panne intervient, les agents en charge des opérations de maintenance peuvent être étayés dans leurs tâches grâce à la réalité augmentée. En effet, cette technologie permet une projection en 3D d’informations complémentaires sur les pièces endommagées afin de faciliter le travail d’analyse ou aiguiller l’opérateur en action. Safran par exemple, a mis en place une solution de réalité augmentée pour la maintenance des câbles électriques dans l’aérien [6]. Cette technologie pourrait tout à fait être transposée au cas des gares. Au global, les évolutions dans le domaine de la maintenance auront des impacts positifs sur les voyageurs et les exploitants : sur les voyageurs en réduisant le nombre et le temps d’interruption du matériel en gare, sur les exploitants en leur donnant la possibilité de mieux dimensionner les équipes d’intervention et prévoir leur mobilisation.
Finalement, pour l’ensemble des gares, les problématiques de sécurité, sûreté ou surveillance sont cruciales. Des travaux sont réalisés sur l’analyse de vidéos par des logiciels d’intelligence artificielle pour permettre une détection plus efficiente des comportements à risque. Aussi, les drones pourraient permettre une surveillance vidéo dynamique plus aboutie grâce à la possibilité d’adapter les points de vue, suivre une personne (Drone Surveillance Systems) [1]. Cela permettrait par exemple de détecter des violences au sol qui échapperaient aux agents en gare. Cette technologie pourrait permettre de réduire le nombre de comportements nuisibles et diminuer le sentiment d’insécurité dans les grandes gares. Également, les dispositifs connectés permettent aux agents sur place de communiquer de façon plus efficace. Ces derniers sont à la fois émetteurs et consommateurs des informations (localisation, type d’intervention, alerte…) de leurs pairs pour une coordination optimale.
Ces différentes solutions permettront d’améliorer la gestion et la supervision des flux en gare. Naturellement, ces évolutions auront principalement un impact sur les gares qui rencontrent des problématiques importantes de congestion, à savoir, les grandes gares.
Le niveau de service continuera d’être un point clé pour les gares du futur. Nous incluons dans cette partie toute innovation ou service à destination des voyageurs pour faciliter leur trajet : achat de billet, validation du titre, information voyageur, agents en gare.
Les solutions de ticketing représentent un enjeu fort. Les technologies comme le NFC permettent aux utilisateurs de payer et valider avec leur smartphone. Ces innovations déjà déployées ou en cours de déploiement dans plusieurs agglomérations soulèvent plusieurs questions. Les gares sont le lieu d’échanges multimodaux. Les solutions de ticketing devront donc accompagner les modifications infrastructurelles pour permettre des échanges simplifiés. Cela nécessite en gare la mise en place de systèmes de distribution et validation de titres adéquats. Les solutions de ticketing sur mobile (achat et validation) réduisent les besoins de distributeurs physiques et libèrent de l’espace en gare. Les solutions comme le pass Navigo (NFC sur support physique dédié) ou les tickets de métro ne s’affranchissent pas de distributeurs. Autre mode de validation qui requiert des infrastructures particulières : le paiement sans contact avec sa carte bancaire. Ces éléments vont conditionner la façon dont l’utilisateur est dirigé vers le canal de distribution et les évolutions qui seront poussées sur ces différents canaux. Aussi, ces choix déterminants pour les gares, dépendent de la fréquentation. En effet, ils ont des conséquences directes sur le parcours client, à mettre en regard avec le type d’utilisateur concerné. Par exemple un voyageur pendulaire sera tout à fait prêt à télécharger une application dédiée pour payer son abonnement et valider avec son smartphone. Un utilisateur occasionnel le sera certainement moins. Dans la continuité de ce constat, le mode de validation a une autre fonction : reconnaître les types de voyageurs qui circulent en gare. Si nous prenons l’exemple de l’île de France, le pass Navigo annuel est utilisé par des utilisateurs pendulaires ou fréquents alors que le ticket t+ est plutôt utilisé par des voyageurs occasionnels. Il sera alors question de savoir comment mettre en place des dispositifs d’accompagnement des voyageurs adaptés à leurs besoins. A date, le personnel en gare est principalement dimensionné à partir du nombre de passagers qui montent dans les trains. Demain, ce dimensionnement devra se baser sur la typologie de voyageurs, décelée notamment grâce aux moyens de validation. Les voyageurs pendulaires ou réguliers ne requièrent pas le même niveau d’aide en gare. Pour les grandes gares comme les petites gares, les solutions de ticketing auront un impact clé : il sera nécessaire de mettre en place les solutions qui répondent aux besoins de tous les types de voyageurs pour assurer l’accessibilité au réseau pour tous.
L’information voyageur a longtemps été considérée comme une contrainte à faible valeur ajoutée. De fait, elle est aujourd’hui en deçà des attentes des voyageurs. Aussi, avec l’échange d’informations en instantané sur des applications collaboratives comme CityMapper, Moovit ou encore sur les réseaux sociaux comme Twitter, les voyageurs sont parfois plus informés que les agents qui continuent pourtant de porter un rôle d’accompagnement. Ce déséquilibre est préjudiciable pour les agents et l’image de l’exploitant en général. A ce titre, l’information en gare, à bord des trains ou sur des dispositifs mobiles comme les smartphones est un point important pour le déroulé des voyages. L’information voyageur de demain a plusieurs caractéristiques : résiliente, accessible à tous (y compris les personnes en situation de handicap), contextualisée, concise, nécessitant une faible maintenance (étant donné son positionnement dans des endroits congestionnés et donc peu accessibles) fonctionnelle 24h sur 24, 7 jours sur 7 et uniforme quel que soit le canal d’informations [11]. A ce titre, des chantiers d’amélioration sont prévisibles : affichages LED variables et plus lisibles, luminosité ajustée automatiquement en fonction de capteurs. Aussi, l’information devra être contextualisée. Elle pourra l’être en fonction de la localisation de l’utilisateur notamment grâce aux beacons ou à une contextualisation des messages en fonction de l’écran où il s’affiche. L’étape suivante sera de procurer des messages directement liés à l’itinéraire de l’utilisateur, sur leur mobile par exemple. Cela nécessite une connectivité accrue. Des entreprises comme Nomad [4] proposent déjà des solutions de réseau wifi en gare et à bord des trains permettant de localiser les utilisateurs pour leur pousser des informations sur leur voyage. Autre enjeu déjà adressé par certains acteurs comme MyMoov : l’agrégation de l’information sur l’ensemble d’un réseau indépendamment du mode de transport pour une diffusion en temps réel sur différents canaux.
Au sein d’une grande gare, les passagers en transit sont nombreux et de profils divers. Un même agent permet un accompagnement personnalisé et proactif pour l’ensemble des typologies de voyageurs. Leur nécessité dans les grandes gares n’est pas à contester et l’impact positif de leurs interventions représente un gain sur la qualité du parcours voyageur qui justifie le déploiement de telles ressources. Cependant, dans les petites gares de banlieue ou de campagne, bien que certains voyageurs aient besoin d’un tel accompagnement, leur fréquence de passage est faible et ne justifie pas nécessairement la mise en place d’un agent dédié à plein temps.
Plusieurs projets voient le jour en ce sens, à l’image d’un projet de borne digitale dans les gares Transilien. L’objectif est de mettre à disposition des voyageurs une borne interactive. Cette dernière permet :
Cet outil digital pourra tout à fait répondre aux besoins des voyageurs de nombreuses gares. Ainsi son utilisation peut s’avérer être une alternative viable et plus rentable à la mise en place d’un agent dédié dans une zone peu fréquentée.
L’accompagnement en gare par des agents, la signalétique ou les outils digitaux ont toutes les cartes en main pour s’adapter aux attentes grandissantes des utilisateurs. Cependant, le rôle des agents en gare va se transformer au fur et à mesure que les solutions technologiques remplacent de manière fiable certaines missions d’informations. Les agents effectueront donc des tâches à plus forte ajoutée et se concentreront sur l’accompagnement humain des populations qui nécessitent une aide plus importante (PMR, personnes âgées, etc.)
Les commerces ou services qui ne sont pas en lien direct avec la composante transport auront leur rôle à jouer pour faire de la gare un lieu de vie [3].
De façon contradictoire, les gares pâtissent de leur composante fonctionnelle. Leur efficacité est notamment jugée par la fluidité des échanges, la rapidité de déplacement. Autrement dit plus un usager passera peu de temps en gare, plus elle sera jugée performante. Or les exploitants des gares cherchent à faire des gares des lieux de vie et donc à diversifier les flux en gare avec des voyageurs ou visiteurs qui profitent de nouveaux services mis à disposition sans se contenter de traverser la gare. Ces derniers doivent faciliter le quotidien des utilisateurs pour être attractifs. Voici quelques exemples qui illustrent cette dynamique [2] :
Ces exemples sont nombreux et soulignent la dynamique visant à proposer des services nouveaux à forte valeur ajoutée.
Dans les gares de la filiale Retail & Connexions de la SNCF, les boutiques de prêt-à-porter féminin réalisent un chiffre d’affaire au m2 environ 50% plus élevé que dans les centres commerciaux [9]. Le potentiel des espaces en gare est donc une réalité. Cependant, pour s’insérer dans un parcours voyageur parfois contraint par le temps, sans possibilité de se charger avec des sacs supplémentaires, les boutiques devront développer de nouveaux parcours clients à l’image des suivants :
Ces types de parcours sont compatibles avec les contraintes des parcours voyageurs.
Motivé par une consommation qui se stabilise et des consommateurs qui sont plus réticents à se déplacer, le domaine de la grande distribution se voit obligé de trouver de nouveaux moyens d’attirer l’attention des clients. A l’image de l’implantation de grandes enseignes comme Carrefour dans les terminaux d’aéroport, une initiative est d’essayer de capter le consommateur quand il se trouve « bloqué » dans un espace délimité. Les gares et les aéroports sont donc des lieux propices pour répondre à ce besoin.
Néanmoins, aéroports et gares ont des caractéristiques différentes quant au parcours voyageur dans leur enceinte. Les temps d’attentes dans les aéroports sont parfois longs et les procédures administratives et logistiques chronophages. A l’inverse, les gares proposent des parcours fluides et rapides. Aussi, la gare est souvent en centre-ville, connectée au reste du réseau de façon efficace, accélérant le parcours porte à porte du voyageur. La démarche d’implantation de commerces et de services en gare doit prendre en compte ces caractéristiques. De plus, l’implantation en ville des gares pourrait également permettre de capter les personnes qui transitent à ses abords sans nécessairement utiliser le service ferroviaire.
La gare présente une population cible plus diverse que les aéroports. Aussi, l’implantation de commerces devra se faire sans entraver le parcours voyageur, avantage compétitif du mode ferroviaire. Cependant, pour devenir un lieu de vie pour les personnes du quartier dans lequel elle s’insère, la gare pourra accueillir des services plus variés que les aéroports.
La gare de demain met en place les technologies nécessaires pour fluidifier les échanges et accompagner les voyageurs, ainsi libérés d’une charge mentale importante. Le voyage cesse d’être une fin en soi et devient le fil rouge d’une expérience plus complète. Ainsi la gare s’insère dans un environnement qu’elle enrichit le reliant au reste du réseau d’une part mais surtout en devenant un lieu de rencontres, un concentré de services qui facilitent le quotidien des citoyens. Cette dynamique concernera plutôt les grandes gares et risque de creuser les écarts d’enjeux entre les différentes typologies de gare. Nous pouvons alors se poser la question de l’exploitation parallèle des gares rurales et de celles des grandes villes dans ces conditions.
Sources :
[1] Experimental drone uses AI to spot violence in crowds
[3] L'innovation entre en gare
[4] Nomad Digital
[5] Quand Decathlon invente le magasin sans produits à emporter
[6] Safran Group - Quand la réalité augmentée optimise la maintenance des câblages
[7] The Amazing Psychology of Japanese Train Stations
[8] Thyssenkrupp
[9] Voici à quoi ressembleront les gares du futur
[10] Wayfindr
[11] Tetrus, the future for passenger information