La reconversion, parent pauvre des politiques d…
En février 2018, le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) s’interrogeait sur le développement des ENR en France lors de son 19ème colloque qu’il titrait : « La France peut-elle rattraper son retard ? ».
Le retard français s’accentue en comparaison avec les autres pays européens, et ce, malgré un potentiel de production très diversifié entre les différentes sources d’énergies renouvelables et une forte ambition des acteurs énergétiques.
Les caractéristiques géographiques de la France lui permettent d’envisager le déploiement de technologies ENR très diversifiées. En Europe, elle possède la plus grande façade maritime et ainsi la plus grande ressource en vent offshore, le deuxième plus grand potentiel éolien terrestre, le cinquième potentiel solaire, et le premier potentiel hydroélectrique[i] [ii] [iii] [iv] [v].
En 2015, seuls la France, les Pays-Bas et le Luxembourg se sont écartés de leur trajectoire nationale prévue dans le « paquet Energie Climat 2020 ». La France accusait alors un retard de 0,8 points par rapport à l’objectif minimal à atteindre dans sa trajectoire (écart à 1,8 point par rapport à la trajectoire idéale) pour atteindre l’objectif de 2020[vi]. La puissance du parc français d’énergies renouvelables au 31 décembre 2017, représente 17% du mix énergétique national sur l’année 2017, alors qu’elle aurait dû atteindre 19,5% pour se trouver en phase avec l’objectif de 23 % en 2020i [vii] [viii].
Malgré un ensoleillement bien plus important qu’en Allemagne et qu’au Royaume-Uni, la filière solaire est moins développée en France : la production d’électricité qui en est issue représente 6,2% de la production annuelle d’électricité en Allemagne contre 2% en France en 2017 [ix] [x]. Cette situation se retrouve en ce qui concerne l’éolien : la France possède le deuxième potentiel européen, pourtant, sa capacité globale installée ne la classe qu’à la 4ème place. Sur l’année 2017 cela représente une puissance éolienne installée de 13,6 GW, tandis que l’Allemagne a une capacité cumulée de 55,6 GW, et l’Espagne de 23,2 GW. Les dynamiques de développement n’ont pas le même rythme : 1 346 MW installés en France en 2016 contre 5 443 MW en Allemagne, bien que l’écart se soit atténué en 2017 [xi] [xii]. En matière d’éolien en mer, onze pays européens ont développé des parcs tandis qu’en France ils se trouvent toujours à l’état projet, ceux-ci rencontrant de nombreuses oppositions et souffrant de procédures réglementaires particulièrement longues et contraignantes.
En France, l’importante part du nucléaire dans le mix énergétique permet de bénéficier d’une électricité décarbonée au coût maitrisé. Le déploiement des ENR dans une logique de transition énergétique est donc rendu moins urgent que dans la situation de l’Allemagne par exemple, qui, suite à sa sortie du nucléaire actée au début des années 2000 s’est vue dans l’obligation de déployer massivement de nouvelles sources d’énergies propres pour limiter le recours aux centrales fossiles. C’est ainsi que différents mécanismes incitatifs ont été mis en place avec des tarifs d’achats pour le solaire, des primes au kilowattheure autoconsommé (mis en place en 2009), des subventions sur les technologies de stockage (depuis 2013), alors que l’autoconsommation n’est encadrée que depuis 2017 en France, le stockage devant suivre [xiii] [xiv] [xv].
Dans le cadre du solaire, une particularité française fut de vouloir privilégier le développement du solaire intégré au bâti avec, en 2006, le doublement du tarif de base, qui est ainsi passé à 30 c€/kWh, assorti d’une « prime d’intégration au bâti » d’un montant de 25 c€/kWh. L’objectif principal était de développer une expertise française sur les installations domestiques au détriment des grandes centrales au sol. Cela a certes valorisé le développement de ces technologies en France, mais sans avoir le succès attendu. De nombreuses technologies photovoltaïques profitant de ces tarifs étaient importées, la concurrence mondiale étant très importante. Le nombre de projets a ainsi explosé et créé une bulle spéculative. Pour y pallier et revoir les conditions permettant de bénéficier des tarifs, le gouvernement a mis en place un moratoire solaire fin 2010. Ce dernier a gelé de nombreux projets : c’est toute l’activité de la filière qui a ainsi très fortement chuté entre 2010 et 2013xvixvii.
Les mentalités françaises prennent du temps à évoluer, vis-à-vis de l’éolien et les projets français se heurtent aussi au symptôme NIMBY (« pas dans mon jardin »)[xvi] [xvii]. La plupart des projets fait l’objet de concertations, et les procédures étant particulièrement longues, les projets s’enlisent. Alors qu’en Allemagne un projet éolien prend en moyenne quatre ans avant d’être opérationnel, cette durée est de huit ans en moyenne en France[xviii].
En raison de ces délais, les tarifs d’achat accordés lors de l’attribution des projets deviennent caducs et l’Etat peut être amené à renégocier les montants de rémunération de l’électricité des projets ENR pour les aligner sur une valeur actualisée. Dès 2015, le gouvernement exprimait cette volonté, et, en mars 2018, il a ainsi fait une demande d’amendement aux lois de simplification des projets ENR : pouvoir diminuer le tarif de rachat de l’électricité défini lors des appels d’offres. Cet amendement a été rejeté par le Sénat, la nouvelle version qui doit encore être validée, ne concerne que les projets éoliens en mer dont les appels d’offres sont antérieurs 2015 et dont les chantiers n’ont pas encore débuté[xix] [xx]. Cela se ferait en accord avec le promoteur des projets, mais en cas d’échec, des négociations, pourrait conduire à l’annulation des projets. Cela est perçu par les acteurs du secteur comme un nouveau désengagement du gouvernement dans les ENR, et freine les développeurs, remettant en cause leurs investissements et la rentabilité de leurs projetsvii [xxi].
Le retard pris par la France ces dernières années dans le déploiement des ENR est à nuancer. Dans le cas du solaire à titre d’exemple, les (faibles) objectifs de puissance à installer fixés dans la PPI de 2009 (5,4 GW en 2013 et 8 GW en 2020), ont été revus à la hausse dès 2013 afin de ne pas ralentir le développement de la filière. Les objectifs pour le solaire ont ainsi quasiment triplé, passant à 10,2 GW pour fin 2018, atteint à 94,4% actuellement, et 15,5 GW pour 2020[xxii].
EDF a annoncé en décembre 2017 sa volonté de se positionner comme premier acteur solaire français : en augmentant la part de la production solaire dans le mix énergétique français de 1,6% à 6% en 15 ans. Ceci implique de porter la capacité de production solaire en France à 30 GW d’ici 2035 alors qu’elle est aujourd’hui de 7,5 GW ; la capacité du parc d’énergie renouvelable du groupe - hydraulique y compris - étant actuellement de 28 GW[xxiii] [xxiv].
EDF s’appuie sur l’annonce de Nicolas Hulot en décembre 2017 : l’augmentation progressive des capacités des appels d’offres du gouvernement, de 1 GW à 2,5 GW par an d’ici à 2020. La France s’aligne ainsi sur le rythme allemand des appels d’offres des projets solaires, permettant d’implanter de plus grands projets, à la rentabilité accrue. Par ailleurs l’ancien ministre avait également annoncé le lancement d’appels d’offres bi-technologies, qui mettent en concurrence les technologies éoliennes et solaires. Cette annonce, souhaite démontrer la compétitivité de ces technologies et combiner des projets avec les deux technologies, même si les caractéristiques d’implantation de parcs éoliens et solaires sont généralement sensiblement différentes. Il avait également annoncé poursuivre la simplification des procédures pour l’éolien terrestre et l’éolien en mer dès début 2018[xxv] [xxvi].
Les régions accélèrent également leur mutation en développant des accords de transition énergétique avec le distributeur ENEDIS. Ce dernier vient d’inaugurer en Vendée des offres de raccordements intelligents (ORI). Ils permettent de relier des centrales de production renouvelable au réseau électrique sans passer par les points de raccordement de référence. Ces derniers contrôlent ce qui est injecté sur le réseau et le maintiennent stable mais sont souvent situés loin des zones d’implantations des centrales nécessitant des coûts de raccordement élevés. Les ORI permettent des gains économiques grâce à des simplifications de raccordement. En contrepartie les producteurs s’engagent à ne pas injecter sur le réseau une partie de leur production lorsqu’elle celle-ci le rendrait instable. Ces pertes sont estimées à moins de 2% de la production[xxvii].
La France n’aura sans doute pas atteint ses objectifs pour 2020 mais les nouvelles dynamiques mises en place vont dans le bon sens. Il est nécessaire que ces dynamiques soient entretenues afin que la France conserve sa crédibilité sur la scène internationale après avoir affiché son ambition d’endosser le rôle de leader de la transition énergétique.
[i] European Environment Agency, Europe's onshore and offshore wind energy potential, 2009
[ii] ADEME, Les enjeux de l'Energie Eolienne, 2015
[iii] Syndicat des Energies Renouvelables, Les enjeux pour la France
[iv] European Union, Photovoltaic Solar Electricity Potential in European Countries, 2012
[v] France Hydro Electricité, L'énergie Hydraulique, chiffres clés, 2018
[vi] Observ’ER, Etat des énergies renouvelables en Europe en 2016, page 93, 2017
[vii] Libération, Energies renouvelables: sans réalité, pas de crédibilité, 2017
[ix] EurObserv’ER, Baromètre photovoltaïque 2017, 2018
[x] RTE France, SER, Enedis et l’ADEeF, Panorama de l’électricité renouvelable en 2017, 31 décembre 2017
[xi] EurObserv’ER, Baromètre Éolien 2017, 2018
[xii] EurObserv’ER, Baromètre Éolien 2016, 2017
[xiv] ADEME, Filière Photovoltaïque Française : Bilan, Perspectives et Stratégie, 2015
[xv] Vincent Boulanger, Le solaire entre la France et l’Allemagne : Une question de visibilité et de volonté politique, 2016
[xvi] Julie de la Brosse, L'éolien, énergie de la discorde
[xvii] Olivier Descamps, Libération, Eolien : comment en finir avec le retard français ?, 2016
[xviii] Vents contraires sur l’éolien, Élodie BÉCU
[xix] Eolien en mer : renégociation des tarifs de 2012 et 2014
[xx] Véronique Le Billon, Les Echos, Eolien en mer : la filière peine à comprendre ce que veut l'Etat, https://www.lesechos.fr/22/03/2018/lesechos.fr/0301461282586_eolien-en-m...
[xxi] Quotidien d'informations destiné aux élus locaux, Maire Infos, 2018
[xxiii] Libération, EDF veut se faire une place au soleil, 2018
[xxiv] Les échos, Solaire: le marché français reste largement morcelé, 2018
[xxvi] Observ’ER, Le baromètre 2017 des énergies renouvelables électriques en France, 2018
[xxvii] F. Thual, La Tribune, Enedis lance les premières offres de raccordements intelligentes en Vendée, 2018