La reconversion, parent pauvre des politiques d…
En réduisant ses émissions de CO2 de 635 000 tonnes par an grâce aux synergies développées entre ses entreprises, le site industriel de Kalundborg, au Danemark, fait figure de référence mondiale en matière d’écologie industrielle et territoriale (EIT).
En France, l’exemple du tissu industriel de Dunkerque se démarque, présentant un réseau de synergies complexe et mature, porté par un lien historique entre la société Arcelor Mittal et le réseau de chaleur de la ville. La récupération de la chaleur des hauts fourneaux permet de répondre à la consommation de 16 000 logements collectifs et bureaux, tout en évitant l’émission de 492 000 tonnes de CO2. Si Dunkerque semble particulièrement dynamique en matière d’EIT, les initiatives sur le reste du territoire sont pour la plupart récentes, et reposent sur une mutualisation de services et des échanges de flux énergétiques peu développés.
Au regard des bénéfices économiques et environnementaux envisageables, le déploiement de l’économie circulaire entre acteurs industriels est amené à s’intensifier et devrait progressivement devenir la norme dans une majorité des zones industrielles. Avec 30 projets soutenus par l’ADEME en 2017, la France amorce le déploiement de ces pratiques en s’appuyant sur de nouveaux leviers de croissance.
La mise en place d’initiatives durables au sein d’une zone industrielle implique des investissements de la part des acteurs présents dans la zone. Ces investissements portent notamment sur le déploiement d’infrastructures permettant d’optimiser les flux de matière et d’énergie transitant sur ces plateformes : les rejets d’une usine deviennent des intrants pour un autre acteur (flux de substitution) ou bien un approvisionnement groupé remplace les approvisionnements individuels (flux de mutualisation).
En mutualisant des services communs comme la centralisation et le traitement des déchets, la mobilité du personnel ou bien l’approvisionnement et le stockage des matières premières, les acteurs industriels peuvent réaliser des économies significatives. Ces gains économiques peuvent ensuite être accrus et pérennisés à travers l’optimisation des flux énergétiques au sein de l’éco-parc. A titre d’exemple, la chaleur fatale générée par certains secteurs d’activité (chimie, agroalimentaire…) pourrait être captée et redistribuée aux autres acteurs du parc pour répondre à leur propre consommation. Actuellement, 109,5 TWh de chaleur fatale sont rejetés chaque année par l’industrie, soit 36 % de la consommation de combustibles de ce secteur[1]. Au-delà de la chaleur, cela pourrait être appliqué aux réseaux fermés de distribution d’électricité où une source renouvelable (de type panneaux solaires) permettrait aux consommateurs industriels de bénéficier d’une électricité à coût réduit. Les réseaux d’approvisionnement publics serviraient de solutions d’appoint pour répondre aux pics de consommation énergétique ne pouvant être couverts par la production locale du site industriel.
La création de ces structures représente néanmoins un investissement élevé pour les acteurs industriels privés. Le Groupement d’Intérêt Économique (G.I.E.) OSIRIS, gestionnaire de services et d’infrastructures pour la plateforme chimique Les Roches-Roussillon (Isère), a ainsi engagé 23 millions d’euros d’investissement en 2013 pour installer une chaudière biomasse et déchets de bois. Cette installation permet aujourd’hui d’éviter le rejet de 60 000 tonnes de CO2 par an[2], en réduisant de 15% la consommation d’énergie fossile pour les industries de la plateforme. Bien que les résultats soient positifs, l’investissement initial conséquent constitue le principal frein au lancement d’initiatives par les entreprises.
Afin de favoriser ces initiatives d’économie circulaire, les pouvoirs publics déploient des mécanismes de soutien à l’investissement. Le Fonds Chaleur de l’ADEME a ainsi attribué 1,5 milliard d’euros à la mise en place d’équipements de captage, stockage, transport et distribution de chaleur. L’effet de levier généré par ce type d’aide est considérable : l’investissement privé généré par les financements du Fonds Chaleur est évalué à 5 milliards d’euros. Pour aller plus loin et favoriser la généralisation de ces pratiques, les pouvoirs publics devront également mettre en lumière les gains économiques permis par l’EIT. En ce sens, le Programme national de synergies inter-entreprises (PNSI) expérimenté sur 4 régions[3] avait pour objectif de servir de démonstrateur pour les porteurs d’initiatives. En deux ans, ce programme a permis d’impliquer 588 entreprises pour des économies évaluées à 500 000 euros, 25 000 tonnes de déchets réutilisés/recyclés, et plus de 2 100 tonnes de CO2 évitées. Ce type de projet permet aux industriels de capitaliser sur des retours d’expérience réels pour dresser des modèles d’affaires sur les courts et moyens termes, décrivant les stratégies d’investissement à la rentabilité optimisée.
Les premiers retours d’expérience soulignent, entre autres, le rôle central de l’acteur tiers dans les démarches EIT. Cet acteur tiers agit comme coordinateur des initiatives portées au sein d’une zone industrielle : il initie les démarches en identifiant les premières synergies à déployer, assure la coordination des partenaires impliqués et veille à la bonne réalisation de chaque projet.
L’acteur tiers peut prendre différentes formes, publiques ou privées. Cette structure peut être créée spécifiquement pour piloter les activités d’une zone industrielle (comme le G.I.E OSIRIS ou ECOPAL à Dunkerque) ou bien être une structure déjà existante, qui valorise son expérience acquise sur différents projets. En France, l’ADEME ou les CCI soutiennent l’affirmation de ces acteurs en finançant intégralement ou partiellement des postes d’animateurs de projets d’économie circulaire.
Dans un modèle d’EIT à la maturité avancée, les acteurs tiers pourraient suivre une feuille de route harmonisée à l’échelle nationale, décrivant les étapes successives pour pérenniser les synergies mises en place. Cette feuille de route pourra être formalisée en capitalisant sur les retours d’expérience dans un outil de référencement des initiatives à l’échelle nationale. Les expérimentations menées jusqu’à aujourd’hui mettent déjà en lumières quelques pistes : les premières étapes porteraient sur la mutualisation de services, qui peut être concrétisée rapidement et avec peu d’investissements pour des bénéfices quasiment immédiats. Ce type de mutualisation permet de communiquer sur les premiers résultats du programme et de maintenir l’intérêt des entreprises pour ensuite les entraîner vers des synergies plus ambitieuses.
Au-delà de la méthodologie industrielle, cette feuille de route serait avant tout un indicateur de suivi pour assurer la bonne rentabilité des projets engagés. Les résultats financiers seraient comparés avec les résultats réalisés par des éco-parcs plus matures, lorsqu’ils étaient à un stade de structuration similaire. Chaque étape clé du déploiement d’un parc EIT serait référencée avec un historique des dépenses engagées puis des retours sur investissement réalisés.
Dès à présent, les outils numériques interviennent dans les différentes étapes du déploiement et de la pérennisation des démarches EIT. Au démarrage d’un projet, des outils de modélisation et de prospective sont utilisés pour quantifier et géolocaliser les flux existants afin de simuler et d’identifier les pistes de synergies pertinentes. C’est le cas de la toile industrielle de Dunkerque, de l’outil RECYTER développé par EDF, ou bien de l’outil Acti’f développé par la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de France. En deux ans, ce dernier a répertorié plus de 9 500 flux auprès de 2 800 entreprises. Il a permis, grâce aux synergies mises en place, d’économiser 430 000 euros, de valoriser 65 000 tonnes de déchets, et de créer 25 emplois[4]. Dans la mise en œuvre de nouvelles synergies, les marketplaces se multiplient pour mettre en relation offre et demande de déchets[5] ou de stocks inactifs[6]. D’autres plateformes web telle que Factoryz proposent la mutualisation de ressources matérielles et humaines. En aval des initiatives EIT, les outils de pilotage permettent de quantifier les gains économiques et environnementaux des synergies mises en place. Avec 47 projets d’EIT, le Référentiel ELIPSE est aujourd’hui le plus avancé dans le domaine et répertorie près d’un tiers des projets de l’Hexagone.
Les innovations technologiques permettront aux démarches d’EIT des prochaines années de prendre de l’envergure et il faudra compter sur la 4e Révolution Industrielle propulsée par le digital pour « durabiliser » le système de production et atteindre les ambitions nationales et internationales en matière de développement durable et de réchauffement climatique. Certaines startups comme Upcyclea explorent déjà les nouvelles capacités de l’intelligence artificielle et du machine learning pour boucler les flux de matière et « upcycler » les ressources, c’est-à-dire maintenir la qualité des matières premières tout au long des multiples cycles de vie du produit afin de les rendre réutilisables. Pour cela, Upcyclea combine des algorithmes avec une base de connaissance des procédés de transformation, issus de missions Cradle to Cradle[7].
Les usines intelligentes exploiteront les capacités de l’Internet of Things (IoT) pour optimiser l’utilisation des outils de production et en révolutionner la maintenance. Cela participera considérablement à l’efficacité énergétique du secteur de l’Industrie, qui représente aujourd’hui 1/5 de la consommation finale d’énergie en France[8]. Grâce à la robotique et l’automatisation utilisées pour industrialiser les chaînes de désassemblage, le recyclage industriel pourrait devenir économiquement viable. Avec un taux de recyclage estimé à 70% pour l’acier et 56% pour le plastique[9], les usines automobiles de demain réduiront de façon conséquente leur demande de matière vierge. Apple explore d’ores et déjà cette piste avec son robot, Liam, qui désassemble un iPhone en 11 secondes et traite 2,4 millions d'unités par an.
L’écologie industrielle et territoriale est amenée à se généraliser en France, en s’organisant autour de modèles économiques pérennes, d’animateurs sur le terrain, de méthodologies efficaces et d’outils digitaux sans cesse plus performants. Ce déploiement de l’économie circulaire à l’échelle des parcs industriels se fera de concert avec une évolution des procédés dans les usines elles-mêmes. Les éco-parcs pourront alors s’imposer comme des entités intégrées sur la gestion des flux énergétiques et de matière.
Notes et Sources :
[1] ADEME, « Intégration des énergies renouvelables et de récupération dans l’industrie », 2018
[2] ADEME, « De la vapeur issue de biomasse pour 15 industries chimiques de la plateforme de Roussillon (38) », 2014
[3] Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Normandie et Nouvelle-Aquitaine
[4] Acti’f, « L’écologie Industrielle et Territoriale, retours d’expérience », 2016
[5] Plateforme en ligne « Direct-Déchet »
[6] A titre d’exemples, les plateformes en ligne « Pro-Spare » et « Easybulkplace »
[7] Concept visant le maintien de la qualité des matières premières tout au long des multiples cycles de vie du produit. La notion de déchet disparait, tout produit étant considéré alors comme une ressource.
[8] Selon l’Observatoire de l’Industrie Electrique, « La consommation d’énergie dans l’industrie en France », 2015
[9] Euractiv, « L’économie circulaire pourrait permettre de neutraliser les émissions de CO2 », 2018