La reconversion, parent pauvre des politiques d…
L'avenir de notre paysage commercial dans nos rues et sur le web ?
Bernard Darty, fondateur de l’enseigne éponyme, évoque dans son livre publié début septembre l’immense difficulté des enseignes classiques à concurrencer Amazon. Le géant du e-commerce est tout simplement imbattable sur les prix, et Bernard Darty tire la sonnette d’alarme ; ce n’est pas seulement les enseignes comme les librairies Chapitre qui sont amenées à disparaître, mais tout le paysage urbain français qui pourrait s’appauvrir en voyant ses rues commerçantes disparaître. Pourtant, entre 2014 et 2017, le nombre de commerces à Paris est resté stable. Le paysage a simplement changé ; certains magasins directement concurrencés par Amazon disparaissant, pour laisser apparaître de jeunes marques souvent issues d’internet, qui cherchent à s’implanter dans les grandes villes. Ces marques se regroupent sous un nouvel acronyme : les DNVB (Digitally Native Vertical Brand).
Ce terme a été inventé par Andy Dunn, le fondateur de Bonobos, une marque de vêtements pour homme rachetée plus de 300 millions de dollars par Walmart l’année dernière. D’après lui, sa marque correspond à un nouveau type d’entreprises, nées sur Internet et qui s’adresse d’abord aux digital natives, jeunes, en quête de produits répondant parfaitement à leur besoin.
Pour être pertinentes auprès de leurs clients, ces startups développent une stratégie de marque centrée autour de l’expérience client. Afin de maîtriser leur image et proposer une expérience client intime et cohérente, ces DNVB se sont développées verticalement en créant une marque de toute pièce qui désigne tout autant leurs produits, leur site web et leurs points de vente physique. L’idée derrière cette verticalisation est de pouvoir dégager une marge supérieure à un simple site e-commerce, mais surtout de devenir l’interlocuteur unique avec les consommateurs et de maîtriser de bout en bout la chaîne de valeur. Les feedbacks client sont meilleurs et les données clients plus complètes car les interactions sont directes sur tous les points de contact avec le client (magasins, site web, service client).
C’est pour cette raison que Sézane a, par exemple, développé sa première boutique comme un appartement, avec une expérience d’achat repensée et un soin très particulier aux clientes. Si ces marques utilisent Internet comme leur principal canal de vente et de communication, leur développement physique vient naturellement car elles sont des marques de retail avant tout. Leur force c’est également de pouvoir développer toute leur distribution en omnicanal dès le départ : chez Sézane le point de vente physique vient compléter et enrichir l’expérience en ligne (essayage, conseil personnalisé…), mais ne s’y substitue pas.
Aujourd’hui en France, un nombre important de marques dans tous les secteurs (beauté, mode, fleurs…) revendique suivre le modèle des DNVB. Et il convient de s’apercevoir que loin d’être concurrencé par Amazon et Alibaba, ce modèle semble fonctionner. Contrairement aux sites e-commerce des années 2000 comme PriceMinister ou Cdiscount, les DNVB créent une marque plutôt qu’un réseau de distribution et donc un attachement et un engagement client plus forts. L’investissement est orienté sur le marketing et la qualité des produits ; il s’agit de convaincre les clients un par un, mais qui reviendront pour cent ans. C’est pour cette raison que le fleuriste Bergamotte ou le barbier Big Moustache développent des produits sous abonnement. L’objectif est de fidéliser une communauté à qui les DNVB proposent une expérience unique : un prix disruptif associé à un design tendance et un environnement cosy pour Jimmy Fairly, du sur-mesure comme pour les crèmes Laboté… La DNVB fonctionne à partir du moment où ce qu’elle offre est fortement différencié du retail classique, à la fois au niveau du produit et de l’expérience.
Ces marques engagent le consommateur émotionnellement et c’est pour cette raison que les devantures des rues de demain viendront sûrement les accueillir nombreuses. Elles ne viennent pas concurrencer les retailers classiques ou Amazon, dont la visite est réservée aux achats utilitaires et rapides. Mais dès lorsqu'il s’agit d’un achat émotionnel, les consommateurs se tourneront davantage vers des marques inspirantes, avec qui ils ont construit un lien fort, intime. Les Digitally Native Vertical Brand ont un positionnement complémentaire et peuvent résister au géant américain en proposant un mode de consommation différent.
Au vu du succès de certaines DNVB françaises, certains géants du retail vont très certainement vouloir créer à leur tour des marques au modèle similaire. Andy Dunn insiste cependant sur la difficulté de créer ces marques modernes, et de la nécessité d’être une startup pour réussir. Les marques qui se lancent sur le web font face à un défi immense ; convaincre des clients et les fidéliser sur un canal où la visibilité d’une marque est très réduite de prime abord. Parce que construire une marque prend du temps, que les retours des premiers clients sont primordiaux, l’investissement initial notamment marketing est plus élevé et la courbe de croissance bien plus lente. Pour cette raison, une organisation de type startup, avec une équipe flexible, capable de réduire ses coûts et de créer une expérience proche du client est nécessaire, sous peine de repousser le breakeven de l’entreprise à très long terme.
Aux Etats-Unis, les grands groupes de retail comme Unilever (qui a acheté Dollar Shave Club) essaient d’apprendre au maximum de ces entreprises pour répliquer ces modèles et se rapprocher des nouveaux consommateurs. Aujourd’hui, la tâche paraît immense pour les grands retailers, qui ne possèdent pas les compétences pour lancer une marque 100% digitale et ne connaissent pas les difficultés associées. Quand bien même les grands groupes réussissent à développer une offre en ligne, il leur manque souvent la flexibilité et la proximité avec le client. Il leur est aussi difficile de créer une vision omnicanale, car leur activité est encore souvent pensée en silo (séparation des ventes physiques et des ventes en ligne dans des équipes différentes). Créer une réelle complémentarité entre les réseaux physiques et les réseaux web est un véritable challenge pour ces marques aujourd’hui, alors que les DNVB pensent dès le démarrage leur modèle en omnicanal.
Ainsi, Bic et Gillette ont réagi aux abonnements de rasoirs en France en lançant leurs offres en ligne, mais celles-ci ont nécessité une réelle transformation des modèles opérationnels internes (logistique, communication…) Leur offre manque aujourd’hui de personnalisation et de proximité avec le client par rapport à l’abonnement de Big Moustache : la startup connaît personnellement ses clients, et peut les rencontrer par exemple dans les salons existants. Jusqu’à présent, les géants du retail ne développent pas ces relations privilégiées qui fidélisent si bien les clients des DNVB. En faisant le choix des circuits courts, avec une grande partie de produits made in France, ces jeunes marques sont donc plus adaptables aux besoins des clients ; une rapidité d'exécution qui fait défaut aux retailers classiques, mais qui semble nécessaire pour se faire une place auprès des moins de 35 ans.
Pour répondre aux inquiétudes de Bernard Darty quant à l’avenir de nos rues commerçantes, il est évident que les enseignes classiques françaises ont du souci à se faire. Si elles sont concurrencées sur les prix par Amazon et Alibaba, elles ont cependant un autre challenge ; le changement de mode de consommation des jeunes français. Une porte dans laquelle s’engouffre ce qui reste de la vague “made in France”, incarnée par ce nouveau modèle de marques d’abord digitales, mais dont les devantures accueillantes apparaissent progressivement dans les villes françaises. Les DNVB n’ont pas forcément l’ambition d’un impact social à leur création, mais ensemble, elles représentent une alternative forte à Amazon, garantes du dynamisme de nos allées commerçantes.
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