La reconversion, parent pauvre des politiques d…
La crise récente a fait prendre conscience à un large public que même les plus grandes entreprises pouvaient traverser une passe difficile, voire être poussées jusqu'à la faillite.
Pour les banques, et particulièrement les Banques de Financement et d'Investissement, la gestion des créances douteuses, c'est-à-dire des créances des entreprises en défaut de paiement, est une activité intrinsèquement difficile.
Tout d'abord, dans le contexte actuel où beaucoup d'entreprises sont affaiblies, rappelons ce qu'est précisément une entreprise en défaut. Selon la définition des textes Bâlois, le défaut d'un débiteur intervient dès que l'une des trois conditions suivantes est vérifiée :
Notons que le statut de défaut n'est que provisoire : soit la contrepartie fait faillite, soit elle retrouve une situation financière saine. Si la faillite implique presque systématiquement une perte pour la banque, l'autre alternative, le retour en sain, n'est pas indolore pour l'établissement prêteur. Dans la plupart des cas, il s'accompagne d'une renégociation de la dette : un rééchelonnement de la dette court terme, un apport de capitaux, voire un abandon de créances (notamment des intérêts).
La conséquence la plus notable de la mise en défaut d'une contrepartie est la constitution par la banque d'une provision spécifique pour risque de crédit. La provision est un montant affecté à la couverture de la perte future éventuelle (i.e. taux de perte attendue ou Expected Loss) des créances contractées par la contrepartie. Elle est spécifique car si la probabilité de non paiement des créances saines et sensibles est couverte par des provisions collectives, les créances douteuses doivent elles être couvertes par des provisions propres à chaque contrepartie en défaut. Enfin le montant de la provision doit être actualisé chaque trimestre, tant que la contrepartie est en défaut.
L'autre processus capital lié au défaut est la collecte des pertes et recouvrements. Ce processus a pour objectif de recenser avec précision les montants et typologies des flux de récupération sur les dossiers en défaut, afin d'alimenter le moteur de calcul et le backtesting de la LGD, c'est-à-dire le taux de perte attendue sur les engagements en défaut.
Alors que le processus de gestion du défaut est généralement bien maîtrisé et industrialisé dans la banque de détail, il en va différemment dans la BFI et ce pour trois raisons principales. D'une part, l'importance des montants en jeu et la complexité des dossiers, en particulier dans les financements structurés, nécessitent une expertise interne à la BFI et s'opposent donc à toute sous-traitance de la gestion du recouvrement. D'autre part, la faible proportion de dossiers en défaut dans chaque banque rend difficile les projets d'industrialisation, voire d'amélioration du processus, car ils ne génèrent qu'un gain limité. Ce processus est donc rarement complètement industrialisé.
En termes d'organisation, si certaines BFI centralisent la gestion du défaut dans une équipe spécialisée, dans d'autres au contraire, les contreparties en défaut continuent à être suivies par les équipes opérationnelles (Middle Offices) en charge des dossiers avant le défaut. Bien entendu, dans les deux cas les opérationnels travaillent en collaboration avec la direction financière et la direction des risques.
La deuxième forme d'organisation (gestion des dossiers en défaut par les Middle Offices en charge auparavant) présente l'avantage d'un suivi des risques a priori meilleur puisque le Middle Office connaît bien la contrepartie et les spécificités du secteur. En particulier, cela peut faciliter une restructuration ultérieure. En revanche, si le Middle Office connaît dans les détails son dossier, il n'est pas spécialisé en matière de gestion du défaut. En effet, ce processus est généralement mal connu et mal anticipé car, par définition, exceptionnel. De plus, la plupart des Middle Offices ne sont pas impliqués régulièrement dans ce processus, mais seulement quelques trimestres, le temps de la mise en défaut d'un de leur dossier. Ce manque de pratique est d'autant plus problématique que les tâches induites sont complexes et plutôt de nature comptable. En particulier, le calcul du montant de provision doit être fait dans plusieurs normes (French GAAP, IAS et french fiscale en France) avec certaines règles spécifiques à chaque norme (comptabilité des intérêts en IAS mais pas en French pour les créances douteuses compromises) et d'autres règles communes (nécessité de séparer les encours par devise et entre bilan et hors bilan etc.).
Autre difficulté, le provisionnement est avant tout une décision de gestion de portefeuille, décision qui relève donc de la direction générale. Ainsi, l'historique des contreparties en défaut d'un établissement permet de définir un taux de perte attendue statistique, propre à la contrepartie, en fonction de ces caractéristiques (nationalité, secteur, garanties, etc.). Mais en pratique, le taux de provisionnement final, propre à la contrepartie, est longuement discuté entre la ligne métier et la Direction Générale (qui peut selon les organisations être elle-même présente ou représentée par la Direction Financière ou la Direction des Risques). En effet, pour la ligne métier, l'impact des provisions est très important sur l'ensemble des indicateurs (résultat, RWA, coût du risque), et pour la Direction de l'établissement, c'est un des moyens de piloter les résultats.
Conséquence de ces longues discussions, pour certains dossiers, la décision finale peut n'être prise qu'en toute fin de trimestre ne laissant que quelques jours aux opérationnels en charge du provisionnement pour terminer leurs travaux dans les temps. Or, le respect des délais restreints constitue une difficulté supplémentaire. Ce processus entrant dans l'arrêté comptable, il doit être terminé très rapidement après la fin du trimestre, cependant, la définition du montant de provision nécessite de nombreux allers-retours entre les services impliqués, aussi bien pour la validation du niveau de provisions, que pour l'arrêté des montants d'engagement. Ceci force l'ensemble des acteurs à débuter leurs travaux très en amont (plus d'un mois avant la fin de trimestre), et donc à augmenter encore le nombre d'échanges, du fait des approximations induites par l'estimation d'une situation de fin de trimestre plusieurs semaines avant l'échéance.
Enfin, la multiplicité des acteurs impliqués sur ce processus transverse constitue le dernier obstacle : la Direction des Risques, la Direction Financière, les services juridiques, plusieurs lignes métiers sur les dossiers les plus complexes etc. La communication entre toutes ces entités est rendue d'autant plus difficile par les deux points précédents : le caractère exceptionnel et les délais restreints.
La gestion du défaut dans les BFI constitue donc un processus complexe et à l'inverse de la banque de détail, difficilement industrialisable et sous traitable. En revanche, en BFI comme ailleurs il semble préférable de centraliser ces tâches. La centralisation peut avoir plusieurs formes : soit au sein des lignes métiers via un Middle Office transversal (assurant les tâches seul ou en collaboration avec les Middle Offices historiques des dossiers), soit via une entité en charge de toute la gestion des contreparties en défaut et en contentieux qui peut être une ligne métier à part entière ou être rattachée à la Direction des Risques. Dans tous les cas, la qualité des provisions, et donc des indicateurs de la ligne métier, réside d'abord dans l'implication des opérationnels pour cet exercice. Par conséquent, la tâche de gestion du défaut ne doit en aucun cas être vue comme une tâche de gestion à faible valeur ajoutée, mais bien au contraire, elle doit être valorisée par le management.