La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Villes, groupements communaux, départements ont été invités à présenter un projet concret de transformation énergétique, environnementale, mais aussi économique et sociale.
Les Territoires à Energie Positive pour la Croissance Verte (TEPCV ou TEP) sont nés d’un appel à initiatives lancés par Ségolène Royal en 2014 afin de répondre aux objectifs de la loi de Transition Energétique pour la Croissance verte promulguée en 2014.
Villes, groupements communaux, départements ont été invités à présenter un projet concret de transformation énergétique, environnementale, mais aussi économique et sociale. En effet, les citoyens français doivent être largement impliqués dans cette métamorphose grâce aux innovations proposées par leurs communes.
Quatre ans après le lancement de la démarche, le pari de la conversion massive des territoires vers un mode de fonctionnement et de consommation durable a-t-il été tenu ?
Lors du premier appel à initiatives lancé le 4 septembre 2014, Ségolène Royal a proposé une enveloppe de 500 000€ aux 200 projets lauréats. L’engouement des collectivités locales est tel que finalement, 212 candidatures seront retenues, et 163 bénéficieront du statut de « TEP en devenir » et pourront présenter un projet plus abouti par la suite. Le 6 avril 2016, le cap des 400 TEP est dépassé, le 1 janvier 2017, on en dénombre 430, et aujourd’hui, il y a 545 TEP répartis dans tout le pays, couvrant au total 2/3 de la population française. La transformation qui s’opère n’est donc plus locale mais nationale. Le pari de cette modernisation de notre société s’annonce colossal et devra être relevé par tous les acteurs : Etat, entreprises, collectivités et citoyens.
Les objectifs concrets recherchés par cet appel à projets sont très diversifiés et représentent les caractéristiques des villes de demain. Si à très court terme, le but est de réduire l’impact de ces territoires sur le dérèglement climatique afin qu’ils soient présentés comme modèles voire précurseurs à la COP21, il y a aussi une volonté de voir s’agrandir le secteur du développement durable avec la création de 100 000 postes sur 3 ans. Cette accélération de l’emploi doit permettre de maintenir les efforts effectués en efficacité énergétique[i], mais aussi favoriser la biodiversité dans les villes, développer l’économie circulaire[ii], avancer vers une mobilité plus durable[iii], améliorer la gestion des déchets et donner une éducation environnementale aux citoyens. Il s’agit donc de positionner les territoires au cœur de la transition énergétique en leur insufflant une dynamique.
L’appel à initiatives récompense les projets correspondant à un panel d’idées très large, avec plusieurs leviers sur lesquels tirer pour une métamorphose réussie. Cet appel dénombre 6 domaines prioritaires à développer, eux-mêmes déclinés en 20 actions[iv] plus précises.
Un projet répondant à une de ces actions est donc éligible à une subvention plafonnée à 80% du montant total prévu pour l’action. Ces actions, dans leur globalité, font intervenir les élus des collectivités locales, des entreprises, des agences gouvernementales, mais aussi la population des TEP. La symbiose entre tous ces acteurs doit alors s’opérer parfaitement pour que des projets innovants et efficaces, naissent, mûrissent et aboutissent.
Le lancement des TEP a été particulièrement bien reçu par le public visé, et les acteurs se sont mobilisés à différentes échelles -secteur privé, collectivités et particuliers- pour obtenir ce statut[v]. Les collectivités locales apprécient fortement ce coup de pouce financier, les entreprises y voient de multiples opportunités de contrats, et les particuliers, souvent convaincus de la nécessité de la transition énergétique, adaptent volontiers leur mode de vie à cette tendance. En effet, une enquête Euros/Agency[vi] montre que 83% des citoyens français estiment que la transition énergétique est une urgence, et 93% d’entre eux se disent prêts à adopter des comportements quotidiens qui favorisent les économies d’énergie.
Les habitants de 9 TEP ont ainsi modifié leurs habitudes de consommation en participant au défi Famille à énergie positive. Ce concours vise à promouvoir les « éco-gestes » et à transformer les comportements des citoyens dans leur logement pour réaliser des économies d’énergie et d’eau. Le TEP y a joué un rôle d’organisateur local : mise en relation des participants, financement d’expositions/forums… Chaque TEP a reçu le taux maximal de subvention (80%) pour cette action.
Le TEP du pays de Saverne (Bas-Rhin) a quant à lui souhaité impliquer ses habitants en leur proposant de contribuer au développement des ENR locales :
La formule est simple pour des particuliers souhaitant offrir leur espace, leur argent et/ou leur temps pour des projets visant à accroître le recours aux énergies renouvelables sur leur territoire.
Les énergéticiens français ont eux aussi décidé d’adhérer au mouvement en proposant des réponses à l’appel à initiatives innovantes et financièrement accessibles, aussi bien aux particuliers qu’aux collectivités locales. EDF a par exemple noué un partenariat avec le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, pour la distribution gratuite d’1 million d’ampoules LED[vii] aux habitants des TEP de moins de 250 000 habitants. Du côté des collectivités, Engie a lancé en 2013 sa démarche Terr’Innove[viii], qui consiste à se positionner au plus près des TEP pour constituer une feuille de route. Le géant français propose de dresser un bilan des ressources présentes sur le territoire concerné afin de mettre en place une stratégie reposant sur trois actions principales : les ENR, l’efficacité énergétique et la mobilité décarbonée. Le livrable est une feuille de route, dressée après environ 1 an de travail, listant les actions à mettre en place. L’expertise de ce groupe industriel a aussi permis de donner naissance à des projets particulièrement innovants lauréats de l’appel à initiatives, comme la récupération de chaleur fatale dans les usines, la construction de centrales microhydrauliques sur le Rhône ou le développement d’un parc éolien avec conversion en hydrogène à Dunkerque. Engie insiste sur le développement économique des régions accompagnées en proposant aux territoires de travailler avec des entreprises locales, et répond en ce sens à l’objectif de création d’emplois aussi promu par les TEP. En juin 2018, ce sont 36 territoires qui ont été ou sont accompagnés par Engie.
De nouveau sur le TEP de Dunkerque, TIRU (entreprise du groupe EDF spécialisée dans la valorisation énergétique des déchets) travaille avec une société locale, Terraotherm sur une technologie totalement innovante : l’échangeur Terraosave. Il permet de traiter les fumées de combustion des déchets, d’une part en captant une proportion importante des polluants, d’autre part en récupérant de la chaleur fatale se dissipant normalement dans l’atmosphère pour l’utiliser dans un réseau de chaleur. Ce projet est un pilote et doit prouver sa rentabilité pour intéresser d’avantage d’entreprises industrielles à installer ce dispositif sur leurs sites.
Les grands énergéticiens voient ainsi dans les TEP une belle opportunité de s’investir dans des projets tout à fait innovants grâce à un soutien financier et politique, tout en soutenant la création d’emplois.
Le constat est sans appel : les projets fleurissent partout en France dans des TEP dont le nombre a largement augmenté depuis la création du processus. Au total, les territoires ont investi près de 650 M€ dans ces initiatives, dont 311M€ de subventions de la part de l’Etat. En revanche, le CLER – Réseau pour la transition énergétique, estime que 5 actions sur les 20 susmentionnées monopolisent à elles seules 74% des actions menées et 82% des financements : la rénovation énergétique des bâtiments publics, l’aménagement des espaces publics pour favoriser la mobilité propre, la modernisation de l’éclairage public, le renouvellement des véhicules publics et le développement des énergies renouvelables locales. Ces actions relèvent donc majoritairement du domaine de la réduction de consommation des bâtiments et de l’espace public.
Les travaux de rénovation énergétique des bâtiments, de modernisation de l’éclairage public et de pose de panneaux photovoltaïques présentent des retours sur investissement très intéressants avec un temps de retour généralement inférieur à 10 ans. Il est donc compréhensible que les TEP s’orientent vers ces domaines dans un premier temps, car en réduisant leurs dépenses énergétiques, plus de moyens pourront être attribués à l’avenir à des actions ayant moins de retours sur investissement (biodiversité, éducation...).
En réalité, les collectivités locales s’intéressaient depuis longtemps aux chantiers de transition énergétique, et beaucoup de projets étaient déjà votés depuis plusieurs années. Les collectivités locales ont donc profité de l’enveloppe pour réaliser ces travaux compromis suite à l’abaissement des dotations aux collectivités locales qui a accéléré chaque année de 2011 à 2017. L’effet de levier voulu par le gouvernement lors de la diffusion de l’appel à initiatives n’a donc pas pu prendre, ressemblant plus à un bol d’air pour les comptes des collectivités.
Cependant, est-il vraiment juste de critiquer le manque de diversité dans les projets menés par les TEP ? Certains actifs du patrimoine public sont archaïques et leur consommation énergétique les rend totalement obsolètes de nos jours. Ces chantiers ont sûrement été désignés comme prioritaires pour cette raison, ainsi que par l’expérience des entreprises dans ces secteurs. Les actions moins développées, comme la gestion des déchets à la source ou l’écocitoyenneté sont plus novateurs et seront sûrement traités dans les années à venir. La métamorphose des territoires est un processus de longue haleine et extrêmement complexe à cause du nombre de secteurs concernés.
Si des résultats à court terme sont visibles notamment en termes d’efficacité énergétiques et de promotion des énergies renouvelables locales, le véritable défi des territoires est encore devant eux pour que l’on puisse parler d’une véritable conversion. Leur mission est maintenant de poursuivre le mouvement, par la diversification des opérations et l’ouverture vers des solutions plus ambitieuses.
Il n’y a plus eu d’appel à projets depuis l’élection d’Emmanuel Macron et la reformation du gouvernement en 2017. En effet, la dénomination TEP a été mise de côté au profit des contrats de transition écologique. L’Etat veut cesser les appels à projets massifs et accompagner d’avantage les territoires, en les aidant à construire leur feuille de route, et en gardant le pouvoir de décision sur le montant de la subvention.
Notes et Sources :
[i] Amélioration de l’efficacité énergétique du parc tertiaire : quels leviers réglementaires et techniques ? – Blog Energie Sia Partners
[ii] L’économie circulaire : vers l’émergence de nouveaux modèles économiques – Blog Energie Sia Partners
[iii] Grand Paris : quelles initiatives pour une mobilité durable ? – Blog Energie Sia Partners
[iv] Actions des Territoires pour la Transition Energétique – Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
[v] La mobilisation des territoires pour la transition énergétique - Gouvernement
[vi] Résultats de la grande enquête nationale sur la Transition Energétique – Euros/Agency
[viii] Terr’Innove – Engie